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III

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Une semaine plus tard, vers une heure de l’après-midi, Mauret se présenta chez M. de Lansac. Les deux officiers se mirent aussitôt à l’étude et travaillèrent sans désemparer jusqu’à cinq heures.

–Vous m’émerveillez, Lansac, dit Mauret; lorsque vous commanderez en chef, la France, j’en suis sûr, comptera quelques victoires de plus. Comme vous avez raison de vivre retiré! votre supériorité m’écrase, vrai, et je compte suivre votre exemple. En attendant, habillez-vous; avant de dîner, nous rendrons visite à Mme de Lesrel.

M. de Lansac ne fit aucune objection et suivit son ami rue de Courcelles. C’était un lundi, le grand jour de réception; aussi de nombreux visiteurs se succédaient. La jolie femme, vêtue d’une robe de velours vert-bronze garnie de malines, reposait sur la chaise longue qu’elle affectionnait. Après l’avoir saluée, l’officier se plaça en arrière, se faisant nommer quelques-uns des hommes qui se trouvaient là, et qui tous portaient un nom connu dans la littérature, les arts, la politique ou la diplomatie. M. de Lansac se croyait oublié; Mme de Lesrel, par une interrogation directe, l’obligea soudain à prendre part à l’entretien. S’il lui fut reconnaissant de s’être souvenue qu’il était là, il n’admira pas moins le tact avec lequel elle réussissait, le plus naturellement du monde, à couper la verve des causeurs par trop envahissants. En la voyant écouter tout, répondre à tout et à tous, modérer celui-ci, exciter celui-là, il la compara, in petto, à un habile général, qui, à l’heure voulue, sait se servir de sa cavalerie légère, de son artillerie ou de ses fantassins.

Chaque fois que la porte s’ouvrait, retentissait un nom célèbre. M. de Lansac se sentait un peu noyé dans ce milieu, lui dont le nom n’était encore connu que dans l’armée. Il se disposait à se retirer lorsqu’un regard de Mme de Lesrel l’appela près d’elle.

–Nous ne pouvons causer aujourd’hui, lui dit-elle à mi-voix, et moi qui ai tant de choses à vous demander! N’allez pas croire que ce soit tous les jours ainsi chez moi.

–On est si bien près de vous, madame, dit le colonel, que j’en suis surpris.

–Seriez-vous complimenteur? lui demanda-t-elle, les prunelles à demi voilées.

–Franc, madame, rien de plus.

Elle lui frappa la main de la feuille de l’écran avec lequel elle jouait, et fit une objection à ce que disait la personne qui tenait la parole, comme si elle n’eût cessé de l’écouter avec attention.

A peine dehors, M. de Lansac, appuyé sur le bras de son ami, entama l’éloge de la jeune femme avec chaleur.

–Etes-vous pris? lui demanda Mauret.

–Non pas, répliqua M. de Lansac; j’en suis toujours à l’admiration.

–Vous êtes un homme très fort, Lansac; moi, il m’a suffi de voir une fois Mme de Lesrel pour perdre la tête; le coup de foudre de Corneille, vous savez.

–Mon cher, répondit M. de Lansac avec gravité, j’ai sept ou huit ans de plus que vous; j’ai donc, par bonheur, passé l’âge des coups de foudre. Je songerai à aimer dans trois ou quatre ans, pour me marier; car l’amour, qui, pour nombre de gens, semble un jeu ou un passe-temps, est pour moi chose douloureuse et tragique, j’en ai fait l’expérience. En tout cas, ce n’est jamais à une femme comme Mme de Lesrel que je m’attaquerai, surtout quand je sais que les qualités physiques et morales qu’elle possède ont un maître, puisque vous m’affirmez que M. de Lesrel existe.

–Il existe, dit Mauret, c’est même presque un savant avec lequel il ne vous déplaira pas de causer.

–Sa femme l’aime?

–Hum! un mariage de convenance. Vous avez un gros atout dans votre jeu, Lansac; vous préoccupez Mme de Lesrel; elle a entendu dire que vous n’avez jamais aimé.

–On l’a trompée, répondit le colonel, dont le front se plissa; j’ai aimé et j’ai trop souffert pour être tenté de repasser par les mêmes épreuves. J’oublie et me gare, voilà le secret de ma vie retirée.

–Alors vous me ferez perdre ma gageure avec notre général; il a prétendu que si je réussissais à vous entraîner chez Mme de Lesrel, vous ne vous apercevriez même pas qu’elle est belle.

–Vous avez gagné, Mauret; je trouve Mme de Lesrel parfaite. Mais ne parlons-nous pas un peu trop d’elle?

–Pas moi, puisque je l’aime.

–Sans espoir?

–Oui, comme tous ceux qui, avant et depuis moi, se sont du premier coup laissé brûler les ailes, selon votre expression.

–Fuyez la flamme.

–Vous oubliez que j’ai les ailes brûlées.

–Pour ma part, dit M. de Lansac, je romprais vite une chaîne qui ne lierait que moi.

–C’est facile à dire. Puis, avec Mme de Lesrel, on croit tout perdu le matin, et, le soir, un mot, un sourire vous rattachent à l’espérance. Tenez, Lansac, elle doit connaître les philtres qu’employaient Circé, Cléopâtre, Diane de Poitiers, et elle vous les fera boire quelque jour.

–Grand merci, s’écria le colonel; par bonheur, je suis trop bien averti pour succomber.

M. de Lansac, chaque semaine environ, rendit visite à Mme de Lesrel, et sa sympathie pour les séduisantes qualités de la jolie femme ne fit que croître. En dépit de son esprit, elle ne se permettait ni malices ni méchancetés à l’adresse de ses amies, et elle savait toujours maintenir la conversation à des hauteurs qui en excluaient la médisance. Mauret avait dit vrai: tous ceux qui approchaient la jeune femme étaient des adorateurs, maintenus dans les bornes du respect le plus strict par l’effet d’une dignité pleine de grâce. Les hommages que lui attirait sa beauté, Mme de Lesrel les rapportait si naturellement à l’amitié, que chacun, bon gré, mal gré, courbait la tête sous ce titre d’ami, et n’osait déclarer tout haut combien il le trouvait insuffisant.

M. de Lesrel, qui ne paraissait que de temps à autre, était, au moral comme au physique, un homme correct. Sûr de sa femme, il voyait sans ombrage l’essaim d’adorateurs dont elle vivait entourée chez elle; car, fière de sa réputation intacte, alors que la mode soufflait aux mœurs de la régence, Mme de Lesrel n’allait nulle part sans son mari.

A la longue, prenant goût à ce salon, surtout à l’intimité courtoise qui y régnait, M. de Lansac se fit une habitude de le traverser deux fois par semaine. Ses opinions en politique et en littérature étaient nettes et saines, il s’animait lorsqu’il s’agissait de les défendre, et lui, le taciturne, devenait soudain éloquent. Dans ces occasions, il voyait le doux regard de Mme de Lesrel s’arrêter sur lui avec curiosité; souvent la jolie femme le mettait aux prises avec un contradicteur, comme si elle eût été heureuse de l’entendre discuter.

Trois mois s’écoulèrent, et ce ne fut plus chaque semaine, mais chaque jour que M. de Lansac fit le pèlerinage de la rue de Courcelles. Il fréquentait les théâtres et ne dédaignait plus les fêtes officielles, heureux d’y voir briller sa belle amie. Un soir, son fidèle Louis, pénétrant dans sa chambre à l’heure où il s’habillait, leva les bras vers le ciel à la vue des fauteuils et du lit couverts de chemises dépliées. de cravates chiffonnées. Son maître, depuis quelque temps, se plaignait avec amertume du peu de soin des blanchisseuses, de l’infériorité de son tailleur sur celui de Mauret, et il recommença ses plaintes.

–Ce n’est pas ça, dit Louis avec le large sourire qui lui fendait la bouche jusqu’aux oreilles, et en secouant la tête d’un air entendu: le tailleur de monsieur l’habille toujours bien, il n’y a rien à lui reprocher; ce n’est pas ça.

–Et qu’est-ce donc, s’il te plaît?

–Oh! dit Louis, toujours souriant, monsieur a fait une connaissance; voilà tout.

M. de Lansac allait répliquer, il se contint et acheva lentement de s’habiller. Le soir, contre les prévisions de Louis, il rentra vers neuf heures, s’installa près de son feu et se perdit dans une longue rêverie.

Les ailes brûlées

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