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VI

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Demeuré seul, M. de Lansac s’assit machinalement sur le fauteuil où Mme de Lesrel avait reposé. L’officier ne voyait qu’un seul dénouement possible à la tragédie dont sa destinée le faisait le héros, le suicide. Il eût mis sur l’heure à exécution ce sinistre projet, si sa vieille foi bretonne ne fût venue le combattre et retenir sa main. Soudain Louis pénétra dans le salon et posa devant son maître un large pli; la guerre avec la Prusse devenait à chaque heure plus probable, et le colonel recevait l’ordre de se rendre à Metz. Se tuer au moment de marcher à l’ennemi, c’eût été une lâcheté, M. de Lansac secoua donc sa torpeur et se mit en route dans la nuit.

Le désarroi dans lequel il trouva le quartier général ne tarda guère à l’épouvanter, et de patriotiques appréhensions vinrent encore oppresser son cœur malade. Il remua ciel et terre pour se faire écouter, et, n’ayant pu réussir à vaincre la folle confiance qui aveuglait tous ceux qui l’entouraient, il demanda un poste rapproché de l’ennemi. Deux mois après son départ de Paris, sous la tente qu’il occupait près de Reischoffen, il vit soudain paraître Mauret. Le jeune aide de camp apportait des ordres de Metz et devait repartir dans la nuit.

Les deux officiers ne s’étaient pas revus depuis leur résolution de travailler ensemble, ils se tinrent longtemps embrassés. Aucune allusion ne fut faite au passé, on ne parla que de la guerre. Le soir, alors qu’ils se promenaient en pleine campagne, le colonel dit tout à coup, presque à voix basse:

–Pouvez-vous, Mauret, me donner des nouvelles de Mme de Lesrel?

–Oui, répondit le jeune homme, dont le front s’assombrit, je l’ai vue il y a quinze jours et j’ai eu peine à reconnaître notre belle amie d’autrefois.

–Sait-elle, demanda M. de Lansac, après, un instant de silence, que j’exposais ma vie lorsque son mari, croyant à une feinte, s’est enferré sur mon épée?

–Elle le sait.

–Elle me maudit?

–Non, Lansac, elle ne vous maudit pas; elle… Sur mon honneur, s’écria le jeune officier, je ne crois pas qu’il y ait au monde un être plus malheureux qu’elle, si ce n’est vous.

–Elle prononce encore mon nom?

–Oui, comme celui d’un ami dont elle est à jamais séparée, dont elle espère de grandes choses.

Le colonel secoua la tête avec tristesse.

–Nous nous battrons en hommes, dit-il; mais rappelez-vous mes paroles, Mauret, nous serons vaincus.

Le jeune officier protesta, il voyait l’horizon moins noir que ne le voyait son ami, il avait confiance dans le soldat, dont le courage répare souvent les fautes de ses chefs. M. de Lansac l’écouta sans le contredire. Vers dix heures du soir, Mauret monta à cheval pour regagner Metz.

–Si vous écrivez à Mme de Lesrel, dit le colonel, si vous la revoyez… Mais non, rien.

Les deux officiers se séparèrent émus. Sait-on jamais, lorsque le canon se dispose à tonner, si l’on se reverra le lendemain? M. de Lansac ne rentra pas sous sa tente; il se promena longtemps solitaire. La nuit était tiède, les étoiles scintillantes, et, le regard levé vers ces mondes, le colonel songeait à la vie future, à ce lendemain de la mort dont nulle philosophie n’a pu soulever le voile. Il se demandait ce que pèsent nos actions dans la balance du Juge éternel, quel dédommagement attend ceux qui ont souffert ici-bas. Un peu avant le jour, il se jeta sur son lit, pour se réveiller en pleine bataille.

Vers le soir, après des prodiges d’énergie, d’audace désespérée, le colonel voyait tomber autour de lui la poignée de soldats que, par un dernier effort d’héroïsme, il venait de ramener au feu pour la troisième fois. Vaincu, un tronçon d’épée à la main, l’œil terrible, il regardait s’avancer les masses de l’ennemi. Il songea à l’armée maladroitement disséminée sur la frontière, et, derrière cette première bataille perdue, il vit la France, mal préparée pour la lutte, devenir la proie d’un implacable vainqueur. Tandis que les boulets pleuvaient, écrasant les blessés qui râlaient sur la terre rouge de sang, il entendit les cris lugubres de la défaite et envia le sort de ceux dont les cadavres l’entouraient. En ce moment l’image de Mme de Lesrel passa devant ses yeux. M. de Lansac, ne voulant pas fuir, marcha droit à l’ennemi et tomba bientôt foudroyé. C’était un véritable homme de guerre, destiné à faire parler de lui, et nul ne sait où est sa tombe.

Mme de Lesrel, atteinte d’une maladie de langueur, a vainement demandé à l’Italie l’influence de son doux climat. Elle s’est doucement endormie, il y a quelques années, entre les bras du général Mauret, dont Louis, depuis neuf ans, est le fidèle serviteur.

Les ailes brûlées

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