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Personnes auxquelles la loi concède le droit de requérir expédition ou communication des minutes.

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Les personnes auxquelles il peut être délivré expédition ou donné connaissance des minutes sont, aux termes de l’article 23 de la loi de ventôse «les personnes intéressées en nom direct, héritiers ou ayants-droit. »

Il importe de préciser le sens de ces expressions. Le projet de l’article 23 portait «personnes intéressées », ce fut sur les observations du Tribunat que ces mots furent remplacés dans le texte définitif par les mots «personnes intéressées en nom direct» dont le sens est plus restreint bien qu’il soit plus compréhensif que le mot «parties contractantes» .

«Parties contractantes» c’était trop étroit. «Parties intéressées», c’était trop large. On a pris un moyen terme «Parties intéressées en nom direct» très bien, mais qu’est-ce que cela veut dire au juste?

Comme personnes intéressées en nom direct nous citerons d’après M. Amiaud:

1° Ceux pour qui on s’est porté fort; ils peuvent donc demander communication de l’acte avant de le ratifier;

2° Les légataires. Ils peuvent demander l’expédition du testament (ou plutôt un extrait, comme nous le verrons plus loin) à cause de l’intérêt direct qu’ils ont à l’obtenir, car le testateur seul y est partie;

3° Le donataire qui n’a pas accepté la donation faite en sa faveur peut demander communication de l’acte avant de l’accepter, car il doit en retirer un avantage direct par la volonté du donateur;

4° Ceux en faveur de qui le donateur a imposé une charge au donataire et ceux en faveur de qui un testateur a imposé une charge à un légataire ne sont parties ni dans l’acte de donation ni dans le testament, mais ils peuvent demander communication ou expédition (extrait?) de ces actes comme y étant personnes intéressées en nom direct;

5° Les enfants à naître du mariage en faveur desquels des avantages ont été stipulés dans un contrat de mariage, peuvent, dans la suite, en demander des expéditions quoiqu’ils n’existassent pas encore au moment du contrat, car ils doivent en retirer un avantage direct d’après la volonté de ceux qui ont fait le contrat.

6° Les créanciers au profit desquels on a fait une délégation sur le prix d’une vente ou sur le montant d’une obligation, sont des personnes intéressées en nom direct, qui peuvent demander communication ou expédition de l’acte;

7°La femme peut, après la dissolution de la communauté et avant de l’accepter, demander copie des actes faits par son mari pendant la communauté, car la loi la considère comme personne intéressée en nom direct;

8° Les créanciers en cas d’expropriation forcée sont aussi considérés comme personnes intéressées en nom direct aux termes de l’article 10 de la loi Belge du 15 août 1845 sur l’expropriation forcée ; aucune disposition législative analogue n’existant dans notre pays nous ne pensons pas qu’une décision semblable puisse être donnée en France.

On vient de voir que seuls les intéressés en nom direct peuvent pénétrer le contenu des actes et en lever des expéditions.

Un individu qui se présenterait chez un notaire prétextant un intérêt quelconque, serait évincé s’il n’appartenait pas à la catégorie des personnes intéressées en nom direct . Rutgeerts donne une nomenclature de gens simplement intéressés et n’ayant aucun droit à prendre communication:

1° Les créanciers dont les créances sont mentionnées dans un inventaire ne peuvent pas demander une expédition de cet inventaire, car cette mention est purement énonciative, et elle n’est pas faite dans l’intention de leur reconnaître un droit; ils ne sont donc pas intéressés en nom direct. Il en serait autrement si les héritiers avaient formellement reconnu leurs créances dans l’inventaire;

2° Les créanciers n’ont pas le droit non plus de se faire donner communication ni de se faire délivrer des expéditions des actes d’obligation ou autres, passés par leurs débiteurs sous prétexte qu’ils ont intérêt à connaître l’état de leurs affaires; ils peuvent avoir intérêt à connaître la situation pécuniaire de leurs débiteurs, mais ils ne sont pas personnes intéressées en nom direct dans les actes qu’ils ont passés;

3° Le propriétaire d’une maison qui apprend que son voisin a fait un bail dans lequel il a fait insérer la clause que le locataire doit respecter telle servitude de la maison de son voisin ne peut pas se faire délivrer une expédition de ce bail sous prétexte qu’il y a intérêt, car le bailleur n’a pas fait insérer cette clause dans l’intention de reconnaître un droit de servitude au voisin, mais pour ne pas avoir dans la suite des difficultés avec son locataire;

4° Ceux qui ne sont appelés à une succession, ni par la loi, ni par le testament, n’ont pas le droit de se faire communiquer le testament ou d’en demander des expéditions.

Cette matière soulève bien des problèmes délicats; ainsi l’on peut se demander si un héritier évincé par un testament aurait le droit de demander communication et expédition du titre qui l’évincé, et dont certainement il a grand intérêt à connaître la teneur.

Est-il possible de considérer cet héritier évincé comme un «intéressé en nom direct» ?

Il y a sur ce point un arrêt de Paris du 29 avril 1864 qui, confirmant par adoption de motifs un jugement du Tribunal de la Seine, repousse la demande d’un parent qui requérait de Me Meignen, notaire dépositaire, communication ou expédition du testament d’un sieur Lambin. Mais cet arrêt n’est pas concluant parce que dans l’espèce la Vve Perleau demanderesse, ainsi que le jugement et l’arrêt ont soin de le constater, n’était pas appelée ab intestat à la succession du de cujus (On peut se demander si la décision de la Cour eût été la même dans le cas où la demanderesse eût été l’héritière évincée? M. Amiaud estime que dans cette hypothèse, il serait juridique et équitable d’admettre la communication . Et, si faible que soit la valeur d’un argument a contrario, on peut soutenir que la Cour a implicitement adopté cette solution par cela seul qu’elle a pris la peine de constater, dans les motifs de l’arrêt, que la dame Perleau n’était appelée à l’hérédité ni par le testament, ni par son degré de parenté, et que, par conséquent, elle n’était point partie intéressée dans le sens de l’article 23).

Dans le même ordre d’idées, toute communication devrait être refusée à un individu qui se prétendrait héritier, mais qui ne pourrait ou ne voudrait pas justifier de sa qualité . C’est ce qui résulte d’un arrêt de cassation du 28 janvier 1835 qui repousse une demande de compulsoire formée par de prétendus héritiers d’une dame Fontaine qui ne fournissaient aucune justification de leurs droits à la succession.

Autre question: Doit-on considérer comme partie intéressée en nom direct dans le contrat de mariage de son fils mineur un père qui s’est borné à assister à ce contrat pour valider les conventions et donations qui y étaient contenues?

La Cour de Gand a décidé la négative par un arrêt du 11 mai 1871 et a déclaré en conséquence que le notaire ne pouvait, sans une ordonnance de justice, lui délivrer une expédition du contrat.

En revanche, il est incontestable que, si un testament authentique contenait une reconnaissance de dette, le créancier devrait être considéré comme une «partie intéressée en nom direct».

Mais s’ensuit-il que ce créancier puisse demander la délivrance d’une expédition, ou même un compulsoire du vivant du testateur?

La négative ne saurait faire de doute; un testament qui peut être révoqué, devenir caduc aux termes de l’article 1039 du Code civil, n’acquiert la valeur d’un titre qu’au décès du disposant; et nous n’aurions pas posé cette question si un créancier n’avait eu l’idée singulière de la porter devant le tribunal de Bourgoing, qui d’ailleurs repoussa sa prétention par un jugement très bien motivé du 24 novembre 1897 .

Un sieur Drivon, créancier de la succession d’un sieur Jean Jouffroy, s’était avisé de demander la communication du testament par acte public du père encore vivant de son débiteur, sous prétexte que ce testament devait contenir une reconnaissance de la dette.

Le tribunal rappela au demandeur «que les légataires, ou les personnes désignées dans un testament ne peuvent en aucun cas en obtenir la communication du vivant du testateur: que la nécessité de protéger l’expression des dernières volontés contre toute divulgation prématurée dans l’intérêt de la sécurité du testateur et de la paix des familles explique et justifie amplement cette interdiction».

Par application des mêmes principes nous déciderions que le tuteur d’un interdit ne peut obtenir communication d’un testament fait par son pupille avant l’interdiction.

Ici pourtant il se présente une objection. Le testateur lui-même, s’il était integri status, aurait le droit incontestable de se faire donner connaissance de son propre testament; or, le tuteur exerce les droits de son pupille. Il semblerait donc qu’il peut exercer, au même titre que tous les autres, le droit de se faire communiquer le testament en question.

La raison que donne M. Amiaud en faveur de la négative: «que le testament est un acte exclusivement personnel, et que le tuteur ne saurait être, dans la circonstance, considéré comme mandataire légal, puisqu’il n’a pas agi dans l’acte, et qu’il n’est pas davantage un ayant-droit, car il n’a aucun intérêt direct à ce testament ». Cette raison, dirons-nous, ne nous suffit pas.

Si le tuteur de l’interdit pouvait demander la communication du testament de son pupille ce ne serait pas en qualité de mandataire, ni en qualité d’ayant-droit, c’est parce qu’il serait considéré comme l’interdit lui-même.

Mais on peut justifier la solution dé M. Amiaud par un autre argument.

Le droit de tester est du nombre de ceux dont l’exercice ne peut être délégué. Et l’espèce d’identification qui se produit entre la personne de l’interdit et de son mandataire légal (le tuteur) laisse en dehors d’elle trois actes essentiellement personnels: le mariage, la reconnaissance d’un enfant naturel, le testament . Quel que soit le parti que l’on prenne dans la controverse sur la validité de ces actes, il est un point sur lequel tout le monde est d’accord: c’est que le tuteur ne peut pas les faire pour l’interdit.

Il est donc, quant à ces actes, un étranger et doit être traité comme tel. Voilà, à notre sens, la vraie raison pour laquelle il n’est pas admis à se faire donner communication du testament de l’interdit.

Que l’on considère d’ailleurs que l’interdit pourra, avant sa mort, obtenir mainlevée de l’interdiction, et faire des dispositions nouvelles. Le testament qu’il a fait doit donc bénéficier de ce secret qui enveloppe les dispositions de dernière volonté, tant que le décès du disposant ne leur a pas imprimé un caractère définitif.

Que faudrait-il décider en ce qui concerne un testament authentique révoqué par un testament postérieur, ou par un acte de révocation reçu conformément à l’article 1035 du Code civil, ou un testament devenu caduc aux termes des articles 1039-1043 dont l’expédition ou la communication serait demandée après le décès du testateur?

Si des dispositions de ce testament, il ne reste rien, le testament n’a plus à nos yeux d’autre valeur que celle d’une confidence, ou du projet d’un acte auquel il n’a pas été donné suite, et la solution à donner est celle qui sera exposée plus loin au sujet de cette sorte de documents .

Mais la question devient délicate, si le testament révoqué ou caduc contient quelque disposition destinée à lui survivre, la discussion s’élève spécialement à l’occasion:

1° Des reconnaissances d’enfant naturel;

2° Des reconnaissances de dettes.

Reconnaissance d’un enfant naturel dans un testament authentique révoqué ou caduc. — Dans l’opinion de ceux qui prétendent que la reconnaissance d’un enfant naturel par un testament révoqué ou caduc ne produit aucun effet, la difficulté se trouve écartée par une sorte de question préalable. Et il faut dire que c’est là une opinion très soutenue .

Mais, l’opinion contraire compte aussi de nombreux défenseurs: pour ces jurisconsultes la reconnaissance d’un enfant naturel dans un testament authentique survit à la révocation ou à la caducité du testament dans lequel elle est contenue . Et cette doctrine a été admise par des arrêts déjà anciens ; il n’en existe pas de récents sur la matière.

Elle est également formulée avec quelques réserves, par Demolombe, t. V, no 455. Laurent, t. IV, n° 85. Mourlon, t. I, no 952 et ss., pour le cas où l’acte est avant tout une reconnaissance d’enfant naturel, contenant accessoirement une disposition testamentaire, comme par exemple l’acte ainsi conçu: «J’institue X... mon fils pour légataire universel». La survivance de la reconnaissance à la révocation du testament a été admise dans ces conditions par un jugement du tribunal civil de Villefranche du 27 juillet 1881 .

C’est donc une question avec laquelle il faut compter, et pour notre part, nous n’hésitons pas à dire que les parties intéressées en nom direct (l’enfant reconnu, ses héritiers, ses ayants-droit) ont le droit d’obtenir une expédition ou une communication de la minute du testament révoqué ou caduc.

Nous admettons au contraire très bien avec un arrêt d’Amiens du 9 février 1826 , que du vivant du testateur, on ne peut se prévaloir de la reconnaissance par lui consignée dans un testament authentique qu’il a révoqué depuis, à l’effet d’obtenir des aliments.

Le testament doit, pendant toute la vie du testateur, être enveloppé, quelles que soit les dispositions accessoires qu’il peut contenir, d’un mystère impénétrable.

Reconnaissance de dette consignée dans un testament révoqué ou caduc. — Nous nous heurtons encore cette fois à une question controversée.

Il y a trois systèmes sur ce point: Le premier, pose en principe que lorsque le testament est révoqué ou caduc, il ne subsiste rien de la reconnaissance de dette qui y a été insérée.

Le second, très peu soutenu, conserve à la reconnaissance de dette toute sa valeur.

Enfin, un troisième système attribue à la reconnaissance de dette contenue dans un testament révoqué ou caduc, la valeur d’un commencement de preuve par écrit. Cette doctrine a été consacrée par un arrêt de la Cour de Nîmes du 9 décembre 1822 .

Pour les partisans du second et du troisième système, la nécessité s’impose de décider qu’après le décès du testateur, le créancier aura le droit de requérir la communication de la minute ou la délivrance d’une expédition du testament, malgré la révocation, ou la caducité qui en a atteint les dispositions principales .

Pouvons-nous, en nous inspirant de la doctrine et de la jurisprudence, donner maintenant une définition des personnes intéressées en nom direct?

Ce seraient, d’après MM. Rutgeerts et Amiaud, les personnes qui, bien qu’elles ne figurent pas à l’acte, doivent en retirer un avantage direct par la volonté des contractants, du testateur et de la loi même .

Nous acceptons cette définition, un peu faute de pouvoir en trouver une autre, et surtout à raison de la grande autorité des auteurs qui l’ont formulée. Mais nous regrettons de ne trouver dans aucun arrêt un critérium satisfaisant.

Peut-être, pourrions-nous dire, en nous écartant très peu de la définition de MM. Rutgeerts et Amiaud, «les parties intéressées en nom direct sont les personnes qui peuvent fonder un droit sur un acte, et auxquelles cet acte, ou partie de cet acte, servirait de titre pour faire valoir leur droit en justice».

De là cette conséquence que nous avons cru apercevoir dans les arrêts précités de 1835 et de 1864, que le notaire ne doit pas délivrer expédition ou donner communication d’une minute à une personne non partie à l’acte qui ne demande à en avoir connaissance que dans le but de l’attaquer.

Mais, si c’est ainsi qu’il faut entendre l’expression «partie intéressée en nom direct», il n’y a pas lieu d’admettre, en ce qui concerne l’arrêt de Paris du 28 avril 1864 précité, la distinction de M. Amiaud que nous avons placée entre parenthèses . La personne appelée à la succession ab intestat qui demande la communication ou l’expédition d’un testament qui l’évincé, n’est ni une personne «qui doive retirer de ce testament un avantage», comme le dit M. Rutgeerts, ni comme nous le disons nous-mêmes «une personne à laquelle le testament (dans son ensemble ou dans une de ses parties) pourrait servir de titre». Qu’elle vienne ou non en ordre utile à l’hérédité ab intestat, elle n’a, pas plus dans un cas que dans l’autre, droit à la délivrance d’une expédition.

L’expression «parties intéressées en nom direct» est si peu claire, son sens est si peu défini et cette matière est hérissée de tant de difficultés, que l’on ne saurait recommander aux notaires trop de prudence.

Les peines sévères édictées par le législateur contre les officiers publics qui donneraient communication de leurs minutes à toutes autres personnes que les «intéressés en nom direct» prouvent toute l’importance qu’il a attaché au secret.

Au moindre doute, le notaire, d’après MM. Rutgeerts et Amiaud, ferait bien d’exiger une ordonnance du président du Tribunal.

Cela suffirait-il pour le couvrir? Et jusqu’à quel point le président pourrait-il consentir à abriter le notaire de son autorité ? Le problème ainsi posé revient à la question de savoir si un compulsoire peut être autorisé par une simple ordonnance de référé. C’est une question qui sera traitée au chapitre suivant.

Nous venons de voir ce qu’on entend par «intéressé en nom direct».

Que faut-il décider à l’égard de ceux qui ne sont intéressés qu’à une partie de l’acte?

Les notaires en général (et nous sommes de cet avis) pensent qu’il ne doit être remis qu’un extrait à ceux qui ne sont intéressés qu’à une partie de l’acte.

Mais on nous répond: «que lorsque la loi organique a dit: qu’elle donnait aux personnes intéressées en nom direct, à leurs héritiers ou ayants-droit la faculté de demander une expédition de l’acte, le mot extrait n’a pas été prononcé (art. 23 de la loi organique et art. 839 C. pr. civ.)».

On nous dit encore (Rutgeerts et Amiaud): «que dans un acte, toutes les dispositions se lient au point qu’une clause, qui semble à première vue inutile et sans intérêts pour la partie extraite, peut modifier tout à fait la position des parties intéressées, ainsi que leurs droits respectifs.

Qu’aucune disposition légale n’autorise le notaire à se constituer juge de la question de savoir si les clauses qui précèdent ou qui suivent n’ont aucune influence sur celles qu’il veut bien extraire».

Ces auteurs concluent que ceux qui ne sont intéressés qu’à une partie de l’acte peuvent demander une expédition entière.

Ils s’appuient sur un arrêt de Dijon du 21 janvier 1847. Aux termes de cet arrêt, un notaire ne peut refuser la délivrance d’une expédition entière d’un contrat de mariage au cessionnaire d’une rente viagère constituée dans ce contrat.

Ils invoquent aussi, quoiqu’un peu timidement, une circulaire du Garde des Sceaux du 7 juin 1882 qui prescrit aux notaires de délivrer non pas un extrait, mais une copie entière des testaments aux légataires lorsqu’il s’agit de legs faits aux pauvres, aux hospices, aux établissements d’utilité publique .

Il y a même une seconde circulaire dans ce même sens du 3 novembre 1888 .

Un jugement de Brignoles du 13 août 1856 a adopté cette doctrine , elle est enseignée par un certain nombre d’auteurs .

Nous ne croyons point devoir nous y rallier: «Il y a dans l’espèce, dit Dalloz, deux choses à concilier: le secret des actes et le droit pour les intéressés de connaître les clauses qui les concernent; la faculté reconnue aux notaires de délivrer des expéditions partielles contenant toute la partie de l’acte qui intéresse le demandeur est le seul moyen d’opérer cette conciliation. D’une part, le réclamant obtient tout ce qu’il a intérêt à connaître et, d’autre part, les dispositions de l’acte restent inconnues à tous ceux auxquelles elles sont étrangères».

Les circulaires du Garde des Sceaux nous touchent peu, d’abord parce qu’elles n’ont que l’autorité relative qui s’attache à cette sorte de documents, ensuite parce qu’elles se réfèrent à un cas particulier (legs à des hospices ou établissements de bienfaisance) et que les ministres eux-mêmes n’ont peut-être pas entendu leur attribuer une portée générale.

La Cour de cassation a rendu, le 11 février 1868, un arrêt très net sur la question :

«Attendu, dit l’arrêt, que la demande formée par

«la veuve Riant en qualité de tutrice de ses enfants

«mineurs, avait uniquement pour objet la délivrance

«d’une expédition entière du testament de Désiré

«Riant, expédition que le notaire Dufour croyait ne

«devoir délivrer à la veuve Riant que pour la partie

«du testament concernant les deux legs particuliers

«faits par le testateur au profit de Joséphine et de

«Ferdinand Riant ses enfants;

«Attendu que l’article 23 de la loi du 25 ventôse

«an XI, et l’article 839 du Code de procédure civile,

«en prescrivant aux notaires de délivrer expédition

«des actes dont ils sont dépositaires aux parties

«intéressées en nom direct, héritiers, ayants-droit,

«n’ont pas ajouté que ces expéditions seraient dans

«tous les cas une reproduction complète de toutes

«les dispositions que ces actes pouvaient contenir.

«Que dès lors l’arrêt attaqué a pu, sans violer les

«lois ci-dessus citées, décider que le notaire Dufour

«avait suffisamment rempli les obligations qu’elles

«lui imposaient, en offrant à la veuve Riant expédi

«tion de la partie du testament de son beau-frère

«concernant les legs particuliers faits par ce dernier

«au profit de ses enfants, alors que l’arrêt consta

«tait en fait que cette expédition partielle assurait

«entièrement les intérêts des légataires particuliers

«et qu’une expédition plus étendue serait pour

«eux sans aucune utilité...»

Cette jurisprudence qui nous paraît d’une logique inattaquable était déjà celle d’un arrêt de Paris du 16 juillet 1866 et d’un arrêt de la Cour de cassation du 11 février 1868 , et elle a été suivie depuis par un jugement du tribunal de la Seine du 4 juillet 1873 .

Mais il importe ici de ne pas se laisser égarer par une confusion. Une partie intéressée en nom direct n’a droit qu’à la communication de la partie de l’acte qui l’intéresse, et le notaire ne devra lui délivrer qu’un extrait; mais il n’en est pas de même en ce qui concerne une partie contractante (ou, ce qui revient au même, l’héritier d’une partie contractante).

Et c’est à tort que l’on présenterait comme contraire à la jurisprudence qui vient d’être exposée un jugement du tribunal civil de Gray du 30 décembre 1896 aux termes duquel: «Le notaire dépositaire de la minute d’un contrat de mariage est tenu d’obtempérer à la réquisition qui lui est faite par l’héritier de celui qui y a figuré comme donateur: il ne lui suffit pas de délivrer un extrait parte in qua de cet acte, sous prétexte qu’un pareil extrait contient tout ce qui, dans l’acte, intéresse réellement le réclamant».

Il s’agissait du contrat de mariage des époux de Jouffroy du Breuil, auxquels une donation par contrat de mariage avait été faite par le marquis et la marquise de Jouffroy d’Abbans.

Parties contractantes, M. et Mme de Jouffroy d’Abbans avaient un droit évident de se faire délivrer une expédition entière de l’acte. Eux décédés, le même droit revenait nécessairement aux continuateurs de leur personne, par conséquent à la dame Rocant, leur héritière.

Nous terminerons ce chapitre en ajoutant seulement quelques mots, pour préciser ce qu’il faut entendre par les «héritiers ou ayants-droit des parties intéressées en nom direct» auxquels, d’après l’article 23 de la loi organique, délivrance d’expédition ou communication est due comme à ces parties elles-mêmes.

Par les mots héritiers, la loi désigne non seulement les héritiers ab intestat, mais les autres représentants du défunt comme les légataires universels et à titre universel, et les institués contractuels, — à condition bien entendu qu’ils justifient de leur qualité et de leur identité s’ils ne sont pas connus du notaire.

Quant aux ayants-droit ce sont ceux qui viennent à titre particulier aux droits d’une partie, ce qui comprend:

1° Les légataires d’un objet particulier: ils ont qualité pour se faire délivrer expédition de tous les titres de propriété concernant la chose qui fait l’objet de leur legs;

2° Les acquéreurs d’un immeuble: ils pourraient se faire délivrer non seulement les titres établissant les droits des propriétaires antérieurs, mais même les baux faits par leur auteur. Nous ne croyons pas qu’ils pourraient, sans un compulsoire, réclamer les expéditions d’anciens baux faits, avant l’acquisition de la propriété par leur auteur direct, par d’anciens propriétaires;

3° Les cessionnaires d’une part héréditaire: ils ont droit de se faire délivrer toutes expéditions qui auraient pu être requises par leurs cédants;

4° Nous en dirons autant du cessionnaire d’une créance.

Peu importe d’ailleurs que le cessionnaire d’un droit quelconque vienne aux droits du cédant par un acte authentique ou par un acte sous seing privé.

Un mandataire ou un tuteur, peut-il demander l’expédition d’un acte qu’il n’a passé qu’en cette qualité ?

L’affirmative est enseignée par Loret , par Gagnereaux , mais nous ne la croyons pas juridique. Sans doute, comme représentants de leurs pupilles, ou de leurs mandants, les mandataires et tuteurs peuvent, pour l’exécution même de leur mandat con ventionnel ou légal, lever des expéditions des actes qu’ils ont faits ès-qualités; mais le jour où leur mandat a cessé, les droits qu’ils exerçaient en leur qualité respective s’évanouissent: ils deviennent étrangers à l’acte dans lequel ils ont comparu; et par conséquent ils n’en peuvent obtenir communication ou expédition que dans les conditions prévues et avec les formes prescrites par l’article 23 de la loi organique .

Les tuteurs et les mandataires ne sont pas en effet des ayants-droit: tant que leurs fonctions subsistent, leur qualité est celle de partie contractante. Le jour où leurs fonctions ont pris fin, ils ne sont plus rien du tout, que des tiers qui, à raison de leur responsabilité, sont intéressés (mais non pas en nom direct) à l’acte, et par conséquent qualifiés pour solliciter et obtenir un compulsoire.

Le secret professionnel des notaires

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