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La procédure de compulsoire.

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La procédure de compulsoire a pour but de contraindre un notaire à délivrer une expédition ou à donner communication d’une pièce à une personne qui ne peut être considérée comme étant intéressée «en nom direct». Nous avons dit comment cette procédure se pratiquait dans notre ancien droit.

Il ne faut pas confondre avec la procédure de compulsoire, l’instance par laquelle une personne qui prétend avoir droit à une communication ou à une délivrance d’expédition, demande la condamnation d’un notaire à communiquer la pièce ou à en délivrer l’expédition.

Les procès de cette nature sont faits par des personnes qui se prétendent parties intéressées en nom direct et qui plaident l’illicéité de la résistance du notaire. C’est à cette catégorie de litiges que se rapportent les arrêts de 1835, de 1868, de 1871 et le jugement du Tribunal de la Seine de 1873 cités plus haut.

Celui qui demande un compulsoire ne se prétend pas «partie intéressée en nom direct», mais simplement «partie intéressée». Il reconnaît la légalité de la résistance du notaire, mais il prétend être dans un cas où l’officier public peut être affranchi du secret des minutes. Il demande non une condamnation contre le notaire, mais une autorisation pour celui-ci de communiquer, sous une des formes prescrites par la loi, des actes qu’il n’aurait pu divulguer sans cette autorisation.

La question de savoir si un compulsoire peut être demandé par voie principale, est controversée. L’affirmative a été enseignée par Berriat-Saint-Prix, Chauveau, Sébire et Carteret.

Mais elle a trouvé des adversaires dans la doctrine: Carré, Pigeau, Favard, Thomine-Desmazures, et elle a été plus d’une fois repoussée par les tribunaux:

D’abord par de vieux arrêts de Paris de 1809 et de 1810 ; par un arrêt de Rouen du 13 mars 1826 .

Cette seconde doctrine nous paraît plus en harmonie avec les textes. En effet le Code de procédure ne semble nullement prévoir la possibilité d’une demande principale de compulsoire:

«Article 846: Celui qui, dans le cours d’une instance,

«voudra se faire délivrer expédition ou extrait «d’un acte dans lequel il n’aura pas été partie, se

«pourvoira ainsi qu’il va être réglé.

«Art. 847: La demande à fin de compulsoire sera

«formée par requête d’avoué à avoué portée à l’audience

«sur simple acte et jugée sommairement sans

«aucune procédure.

«Art. 848. Le jugement sera exécutoire nonobstant

«opposition ou appel.»

Pas de trace dans tout cela d’une demande de compulsoire à titre principal; pas de réserve qui laisse supposer que le législateur ait envisagé cette hypothèse.

Il y a d’ailleurs, selon nous, une considération d’ordre supérieur qui milite en faveur de la solution négative. Pourquoi demanderait-on un compulsoire lorsqu’aucun procès n’est engagé ? Pour en faire un. C’est dans un but purement agressif que l’on essaierait d’obtenir, pour ainsi dire à tout hasard, cette violation du secret des minutes. C’est là une arrière-pensée dont les tribunaux ne peuvent se faire les complices.

La solution que nous donnons à cette question nous conduit à en examiner une autre. Le Président pourrait-il prescrire un compulsoire par une ordonnance de référé ?

Il semblerait, en présence des termes de l’article 23 de la loi de ventôse an XI, que l’affirmative ne peut faire aucun doute.

Art. 23: «Les notaires ne pourront... sans l’ordonnance

«du Président du Tribunal... délivrer

«expédition ni donner connaissance des actes à d’au

«tres qu’aux personnes intéressées en nom direct...»

D’où l’on peut conclure a contrario, qu’en se munissant d’une ordonnance du Président du Tribunal, un tiers pourra obtenir une expédition d’un acte auquel il est étranger.

Et nous venons de voir d’autre part qu’aux termes d’une jurisprudence et d’une doctrine qui nous paraissent bonnes, un compulsoire ne peut être demandé par une instance principale.

Le Président du Tribunal pourrait donc faire à lui tout seul ce qui serait impossible au Tribunal tout entier?

Désespérant de triompher de l’antinomie qui semble exister entre l’article 23 de la loi organique et les articles 846 à 848 C. pr. civ., d’excellents auteurs n’hésitent pas à admettre que l’article 847 a modifié l’article 23 .

MM. Rutgeerts et Amiaud, au contraire, admettent que l’article 846, qui ne s’occupe du compulsoire que dans le cas où il est demandé au cours d’une instance, n’a rien de prohibitif, que la seule formalité à remplir pour obtenir l’expédition d’un acte dans lequel on n’a pas été partie, est une requête au Président du Tribunal, et que le notaire est pleinement à couvert lorsqu’il délivre une expédition en vertu d’une ordonnance.

Quoiqu’absolument attaché à la doctrine qui n’admet pas qu’un compulsoire puisse être demandé par voie principale, nous ne pensons pas qu’il y ait entre l’article 23 de la loi organique et l’article 846 C. pr. civ. un antagonisme irrémédiable.

Trois hypothèses seraient à considérer: 1° Il y a procès: le compulsoire peut être demandé par voie incidente (846 C. proc. civ.);

2° Il n’y a pas procès, mais les parties contractantes ne consentent pas à la délivrance de l’expédition par le notaire. Le compulsoire est impossible, et ne peut être ordonné, ni par un jugement ni par le Président du Tribunal statuant en référé ;

3° Les parties contractantes ne s’opposent pas à la délivrance, et il n’y a à vaincre que les scrupules du notaire: une ordonnance du Président suffit, mais elle est nécessaire, le notaire n’ayant pas qualité pour délivrer sans elle une expédition (art. 23).

Si l’on n’admettait pas cette distinction on aboutirait à cette conclusion paradoxale «qu’il faut aux parties intéressées un jugement pour obtenir une mesure qui pourrait être accordée à des tiers quelconques par une simple ordonnance du président du Tribunal».

Nous ne considérons pas comme en opposition complète avec notre théorie un arrêt de Nancy du 31 octobre 1896 que nous croyons bien être le plus récent sur la matière .

La Cour a d’ailleurs rejeté, comme n’étant pas fondée sur un intérêt légitime et actuel, la demande de communication, mais elle pose en principe d’une part que l’article 846 du Code de procédure civile n’est pas inconciliable avec l’article 23 de la loi de l’an XI — ce que nous admettons nous-mêmes, — d’autre part que le Président du Tribunal, d’une manière générale, aurait le pouvoir d’accorder à un tiers intéressé la communication ou la délivrance d’une expédition d’un acte notarié, ce que nous n’admettons qu’avec des réserves.

La Cour, qui a rejeté la demande de communication, se trouvait précisément en présence de l’hypothèse dans laquelle nous ne croyons pas que l’ordonnance du Président du Tribunal suffise à autoriser la délivrance d’une expédition, c’est-à-dire au cas où une partie contractante s’oppose à cette délivrance.

L’appel de l’ordonnance du Président avait été interjeté par le sieur Douzain dont une demoiselle Lieber, se prétendant créancière, voulait connaître le contrat de mariage.

En droit, la Cour admet le pouvoir du Président, tout en repoussant en fait, l’usage que ce magistrat en a fait dans l’espèce. Nous allons plus loin, en ce sens que nous contestons le pouvoir du Président, dans le cas où une partie contractante s’oppose à la délivrance de l’expédition .

Lorsqu’un compulsoire a été obtenu, c’est d’ordinaire le notaire lui-même qui dresse le procès-verbal. Cependant, aux termes de l’article 25 de la loi organique, le Tribunal qui a ordonné la mesure peut commettre un de ses membres ou tout autre juge, ou un autre notaire.

Ce n’est pas sans quelque peine que les législateurs de l’an XI sont parvenus à cette formule. L’article 25 n’a pas passé par moins de trois rédactions avant d’acquérir sa forme définitive.

«En cas de compulsoire, portait la première rédaction, l’expédition requise sera délivrée par le notaire dépositaire de l’acte, sauf au requérant à se faire assister, si bon lui semble, par un second notaire ou par un autre officier ministériel».

Dans la seconde et la troisième rédaction on avait écarté l’assistance du second notaire ou la présence d’un autre officier ministériel (avoué, huissier). Le Tribunat fit observer que, si le compulsoire était dirigé contre le notaire lui-même, il ne conviendrait pas que ce fut lui qui dressât le procès verbal .

La rédaction actuelle fut enfin adoptée; elle écartait les officiers ministériels autres que les notaires, mais elle admettait le procès verbal dressé par un juge, ou par un autre notaire.

Mais, le procès verbal ne doit pas être confondu avec l’expédition. Celle-ci, dans tous les cas, doit être dressée par le notaire lui-même: — à la différence de ce qui se passait dans notre ancien droit, où, comme nous l’avons vu plus haut, copie de l’acte compulsé était prise par l’huissier de la partie qui avait obtenu le compulsoire.

Le procès verbal est une pièce authentique qui constate: 1° la comparution de la partie requérante; 2° ses réquisitions; 3° la production de la grosse du jugement qui a ordonné le compulsoire; 4° la sommation à la partie adverse d’avoir à assister à l’opération; 5° l’annexion au procès verbal de la grosse et de la sommation précitées; 6° la production de la minute; 7° la copie du document ou de la partie qui en a été extraite ainsi que la collation de cette copie avec la minute.

L’usage est de mentionner sur la minute la délivrance de l’expédition intégrale ou de l’extrait ainsi que du jugement qui l’a ordonnée .

L’opération se passe en l’étude du notaire dépositaire de la minute, puisque les minutes ne doivent pas être déplacées. C’est pourquoi l’article 25 a soin de dire que le tribunal peut commettre, soit un de ses membres, soit tout autre juge (expression qui comprend même les juges de paix).

Il peut en effet arriver que le compulsoire soit ordonné par un tribunal autre que celui dans le ressort duquel le notaire dépositaire exerce ses fonctions.

De la communication oculaire. — Les parties intéressées en nom direct ont-elles le droit de prendre connaissance oculaire de la minute?

Cette question a fait l’objet d’une controverse assez vive.

Un premier système conclut à la négative. Il s’appuie d’abord sur un argument de texte: l’article 852 du Code de procédure civile, disent les partisans de ce système, porte que: «Les parties pourront collationner l’expédition ou la copie à la minute dont lecture sera faite par le dépositaire; si elles prétendent qu’elle n’est pas conforme à la minute, il en sera référé, au jour indiqué par le procès verbal, au président du tribunal lequel fera collation; à cet effet le dépositaire sera tenu d’apporter la minute».

Vous voyez bien, disent les champions de cette théorie, que le notaire a le droit, peut-être même le devoir de refuser la communication oculaire; car sans cela il serait bien inutile de déranger le président du tribunal et d’imposer à la partie requérante la nécessité de payer au notaire une vacation dont, aux termes de la disposition finale de l’article 852, les frais doivent être à sa charge.

D’ailleurs, ajoutent-ils, la communication peut être dangereuse. Et si la partie requérante lacérait ou jetait au feu la minute! cela s’est vu, le notaire encourrait une grave responsabilité .

Dans un second système on se fonde, pour soutenir que la communication oculaire peut être exigée, sur l’article 1334 du Code civil: «Les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée».

La «représentation», dit l’article 1334, et il est difficile de ne pas donner à ce mot le sens de soumission à l’examen oculaire de la partie intéressée.

D’ailleurs, il y a des cas où la communication par voie de lecture serait impossible; par exemple celui où la partie intéressée est, comme le suppose M. Rutgeerts , atteinte de surdité : et surtout dans l’hypothèse où la communication a précisément pour but de vérifier non pas si la copie est conforme à l’original, mais si la minute n’a point été altérée depuis sa confection.

La jurisprudence, qui n’a pas eu souvent à se prononcer sur cette question, a adopté le dernier système (communication oculaire): il y a dans ce sens un arrêt de Paris du 22 juillet 1809, et un arrêt de Pau du 12 février 1833; et M. Rutgeerts cite aussi une ordonnance du président du Tribunal de Bruxelles du 12 février 1851.

Mais les auteurs admettent tous que le notaire peut prendre des précautions pour que la sécurité de la minute ne soit pas compromise.

Nous n’avons pas précisément d’objection théorique à formuler contre ce système; mais, pratiquement, quelles pourraient bien être les précautions à prendre pour le notaire afin de soustraire la minute à tout péril?

Un ancien magistrat nous disait à ce propos: «Le tort de notre législation fondamentale est d’être vieille d’un siècle, et de nos lois nouvelles de ne pas oser parler la langue de leur temps. On crierait au scandale si le Parlement, par quelque disposition ajoutée à l’article 23 de la loi de ventôse, osait dire «que le Président du Tribunal (ou le Tribunal) pourrait ordonner la reproduction photographique de la minute. Mais par qui serait pris le cliché ? Par un photographe assermenté, par un huissier photographe... ou par le notaire lui-même qui ne feindrait sans doute que par modestie d’ignorer un art aujourd’hui comme de tout le monde. — Et le cliché ? — Il serait brisé ou annexé aux minutes» .

Le secret professionnel des notaires

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