Читать книгу Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies - Madeleine De Scudéry - Страница 8

III
AFFAIRES DOMESTIQUES.—LES CONVERSATIONS MORALES. SUCCÈS ACADÉMIQUES.—ILLUSTRES AMITIÉS.—VIEILLESSE ET FIN. 1660-1701.

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Table des matières

L'affaiblissement de la vogue des romans ne retrancha rien de l'estime qui continuait de s'attacher à Mlle de Scudéry. «Elle est plus considérée que jamais,» écrivait Tallemant vers 1660, et ces sortes de témoignages ont dans sa bouche une valeur toute particulière. Affranchie par la mort de son frère de plus d'une solidarité fâcheuse, elle vivait du produit de sa plume auquel venaient se joindre les cadeaux de ses amis et les marques de la munificence des princes. Outre les présents par lesquels les Condé avaient reconnu le dévouement du frère et de la sœur pendant la Fronde, les Rambouillet, les Montausier, Mmes de Rohan-Monbazon, de Guénégaud, avaient pris l'habitude d'offrir à Madeleine, dans diverses circonstances, des cadeaux utiles et à son usage personnel, soit pour ménager sa délicatesse, soit pour éviter que Georges ne mît la main dessus. Mais il y fallait du mystère, et voici comment elle-même en parle dans la Clélie: «Sachez que cette personne (une fille de Syracuse) qui a de la naissance, dont la fortune est assez mauvaise, dont le cœur est fort noble, et qui, sans faire le bel esprit, a plus de réputation qu'elle n'en cherche.... a eu plusieurs aventures qui prouvent que la vertu est encore considérée.... On lui a fait plusieurs présents d'une façon particulière, et, comme on sait qu'elle aimeroit mieux donner que de recevoir, on a pris des biais détournés.» Suivent des exemples de ces dons mystérieux dont Tallemant a confirmé plus tard la réalité et nommé les véritables auteurs [145]. Les moins riches, les littérateurs avaient aussi leur modeste offrande. Conrart offrait tous les ans un cachet de cristal, M. Bétoulaud des agates gravées, le père Commire des fleurs brodées à l'aiguille, et des pierres antiques ou qui passaient pour telles [146], Chapelain une gélinotte, et Ménage, dans la pièce même où il nous révèle quelques-unes de ces particularités, exprime l'embarras où il est de trouver pour son compte quelque chose de nouveau [147]. En 1694, Mlle de Scudéry écrivait encore: «Je fus tellement accablée à ma fête de fleurs, de fruits, de vers et de billets, qu'il m'a fallu plusieurs jours à remercier ceux qui me les avoient envoyés, et à recevoir les visites de ceux qui venoient voir les vers que j'avois reçus.»

Le mystère que l'on mettait dans ces cadeaux, et qui avait d'abord pour principal objet d'empêcher un refus, devint bientôt une mode, une espèce de jeu d'esprit destiné à exercer l'imagination des donateurs en même temps que celui de la donataire. Cette préoccupation est visible dans une lettre de mai 1656 [148], écrite par celle-ci à une personne inconnue qui lui avoit adressé un présent. Nous ne connaissons pas la nature de ce présent qu'elle traite de magnifique, mais voici ce qu'elle en dit: «Il me semble que vous vouliez m'obliger à porter une couleur où je croyois avoir renoncé, et que je ne croyois plus pouvoir porter avec bienséance, si ce n'étoit en œillets, en roses ou en anémones, m'étant résolue à ne mettre plus que du bleu, du gris de lin, de l'isabelle et du blanc.»

Vers 1671, elle recevait, au nom des Dames, une ode attachée avec des rubans de diverses couleurs à une petite guirlande de lauriers d'or émaillés de vert. Le tout était renfermé dans une jolie boîte. L'objet de cette gracieuse offrande répondit à l'illustre secrétaire des Dames, quel qu'il puisse être. On découvrit, quelque temps après, que l'ode était de Mlle de la Vigne [149].

Nous ne voulons pas trop insister sur ces épisodes un peu puérils, mais il en est un que nous ne pouvons passer sous silence, parce qu'il se lie à l'histoire littéraire et à celle des mœurs de l'époque, l'Affaire des voleurs, comme on l'appela, qui donna lieu à tout un cycle poétique, et qui, après avoir fait beaucoup de bruit dans son temps, a été reprise de nos jours par le roman et par le théâtre.

Le premier jour de l'an 1665, vers dix heures du matin, Mlle de Scudéry reçut «une corbeille de paille brodée où il y avoit une belle bourse de point d'Espagne, un bracelet d'aventurine et une quantité de petits bijoux de filigrane [150]. Ce présent étoit apporté par un homme de mauvaise mine et sentant son filou, comme de la part des voleurs en faveur desquels elle avoit fait un peu auparavant un placet au roi contre celui de M. Châtillon-Barillon.»

Ce passage des Manuscrits Conrart [151] a besoin d'être expliqué. Dès 1650, Mlle de Scudéry écrivait à Godeau: «Depuis un mois ou six semaines, on vole si insolemment dans les rues de Paris qu'il y a eu plus de quarante carrosses de gens de qualité arrêtés par ces messieurs les voleurs, qui vont à cheval et presque toujours quinze à vingt ensemble [152].» Ces vols, qui passèrent à l'état chronique, et sur lesquels on trouve tant de témoignages dans les mémoires du temps, donnèrent lieu, en 1664, à des vers ayant pour titre: Placet ou Requête des Amans contre les Filoux, où les premiers se plaignaient au roi de ce qu'on ne pouvait, sans crainte d'être dévalisé, se promener le soir et faire la cour aux belles. Mlle de Scudéry adressa au roi une Réponse des Filoux à la Requête des Amans, dont la conclusion était:

Un amant qui craint les voleurs

Ne mérite pas de faveurs.

Le présent que les voleurs étaient censés faire à celle qui avait pris leur défense, était accompagné d'une pièce de vers commençant ainsi:

Ces hommes redoutés que l'on nomme filoux

Dont vous avez pris la défense

Sont de leur gloire trop jaloux

Pour demeurer dans le silence, etc.

Nouvelle Réponse de Mlle de Scudéry à une demoiselle qu'elle soupçonne de lui avoir fait cette galanterie [153]. Mais il y avait lieu de distinguer dans la galanterie le don lui-même et les vers qui l'accompagnaient. Ceux-ci, Conrart nous l'apprend, étaient de Mme de Platbuisson, l'une des muses satellites qui gravitaient dans l'orbite de Sapho, et à qui celle-ci, mieux informée, ne manqua pas de témoigner sa reconnaissance [154]. Quant au présent lui-même, il paraît qu'il émanait de Mme de Montausier, ainsi qu'on le découvrit plus tard. Cette indication fort vraisemblable nous est fournie par un savant allemand qui se trouvait alors à Paris, et qui, dans un gros volume sur la ville de Nuremberg, sa patrie [155], a raconté longuement et lourdement, à l'allemande, ce petit épisode de la vie parisienne à cette époque [156]; du reste, en position d'être bien informé, car, pendant son séjour à Paris (1665-1666), il fut en relation avec Chapelain et avec Mlle de Scudéry elle-même. Il raconte dans sa chronique qu'il lui rendit visite, et que, longtemps avant que le père Bouhours posât sa fameuse question: «Si un Allemand peut avoir de l'esprit,» elle lui demanda si l'allemand était véritablement une langue, ce dont elle était tentée de douter en entendant le rude jargon des gardes suisses et des suisses d'hôtels. Il l'étonna en affirmant que non-seulement l'allemand était une langue, mais que cette langue possédait des écrivains et même des poëtes. Il ajouta—et cet argument dut la convaincre—que l'on avait traduit la Clélie en allemand: «Votre incomparable Clélie, Mademoiselle, n'a rien perdu chez nous de sa forme gracieuse en passant par la plume aussi noble qu'habile de Johann Wilhelm von Stubenberg.» Ceci paraît charmer notre demoiselle, qui raconte à son interlocuteur comment elle a trouvé en Italie un traduttore traditore. «Un de mes romans, lui dit-elle, n'a pas eu la chance de tomber entre les mains d'un pareil interprète. J'avais dit qu'un roi d'Assyrie, assiégeant Babylone avec deux cent mille hommes, pour animer ses soldats, leur avait promis le pillage: puis se ravisant, la ville prise, avait donné en place à chacun quatre montres, c'est-à-dire quatre mois de solde [157]. Le traducteur me fit dire que le roi ordonna de distribuer à chacun quatre montres de poche [158], ce qui était l'absurdité même.»

Nous nous sommes laissé aller au plaisir d'entendre une conversation de Mlle de Scudéry. Revenons à l'histoire, ou plutôt à la légende des voleurs. De nos jours, le conteur allemand Hoffmann, empruntant à Wagenseil la donnée du présent fait par les prétendus voleurs, et y mêlant, sans se soucier des anachronismes, l'histoire de la Brinvilliers et de la Voisin, la chambre des poisons, la Reynie et d'Argenson, composa du tout une nouvelle véritablement fantastique, en ce sens que la fantaisie seule y avait rapproché les faits et les personnes, mais à laquelle la création originale de l'orfévre Cardillac valut en France une popularité attestée par le remaniement du spirituel Henri de Latouche [159], et par le succès du mélodrame de Cardillac, l'un des premiers rôles où se révéla le talent de l'acteur Frédéric Lemaître [160].

Il ne faut pas confondre, comme on l'a fait souvent, cette fiction poétique, cette visite toute courtoise des prétendus filous de 1665, avec l'aventure beaucoup plus prosaïque qui arriva vingt-six ans après à Mlle de Scudéry, et qu'elle raconte ainsi dans une lettre à l'abbé Boisot: «Je ne sais, Monsieur, si je vous ai mandé que, durant un mois, des voleurs ont voulu me voler. Ils se servoient d'une vieille masure à monter sur le toit de ma maison. Ils firent par trois fois des trous à mon grenier et dans la chambre de mes laquais, et il m'a fallu avoir garnison toutes les nuits pendant vingt-quatre jours, parce qu'il m'a fallu ce temps-là pour faire abattre ma vieille masure. De sorte qu'ayant dit un jour que je ne savois pourquoi les voleurs me cherchoient, puisque je n'avois qu'un peu d'esprit droit et le cœur de même, un de mes amis, M. Bosquillon, m'envoya le lendemain un madrigal que je vous envoie [161].»

Le père Niceron, parlant des faveurs dont Mlle de Scudéry fut l'objet de la part de hauts personnages, s'exprime ainsi: «Le prince de Paderborn, évêque de Munster, la régala de sa médaille et de ses ouvrages. La reine de Suède, Christine, l'honora de ses caresses, de son portrait, d'un brevet de pension, et souvent même de ses lettres.» Passe pour le brevet de pension, quoique nous n'en rencontrions pas d'autres traces [162], mais pour le reste, tous ces régals et ces caresses des grands laissaient à Scarron le droit de dire:

Siècle méconnoissant, le dirai-je à ta honte?

On admire Sapho, tout le monde en fait compte,

Mais, ô siècle, à l'estime, aux admirations

Pourquoi n'ajouter pas de bonnes pensions,

Du bien pour soutenir une illustre naissance,

Et pour ne laisser pas le reproche à la France,

Que l'illustre Sapho qui lui fit tant d'honneur

Ne manqua point d'estime et manqua de bonheur [163]?

Ménage se faisait l'écho du même vœu, lorsque, à propos des largesses distribuées aux savants par Colbert au nom de Louis XIV, il ne craignait pas de reprocher à ce ministre d'aller chercher au fond des pays les plus éloignés les objets de ces faveurs, et d'omettre sciemment celle qu'il avait sous la main et que lui désignaient à haute voix et la cour et la ville [164].

Dès l'époque de son retour à Paris après la Fronde (1653), Mazarin lui donnait des gratifications annuelles [165]. Il lui laissa dans son testament une pension viagère de mille livres [166]. Le duc de Mazarin ayant cessé de l'acquitter en avril 1690, fut condamné le 30 septembre 1692, par arrêt du Grand Conseil, à payer à Mlle de Scudéry trois mille livres pour les arrérages et les intérêts de la pension [167].

Enfin le roi lui-même tint à se ranger parmi tant d'illustres bienfaiteurs. Il faut ici laisser la parole à Mme de Sévigné. «Vous savez, écrit-elle au comte et à la comtesse de Guitaut, comme le roi a donné deux mille livres de pension à Mlle de Scudéry. C'est par un billet de Mme de Maintenon qu'elle apprit cette bonne nouvelle. Elle fut remercier Sa Majesté un jour d'appartement; elle fut reçue en toute perfection; c'est une affaire que de recevoir cette merveilleuse muse. Le roi lui parla et l'embrassa pour l'empêcher d'embrasser ses genoux. Toute cette petite conversation fut d'une justesse admirable; Mme de Maintenon était l'interprète. Tout le Parnasse est en émotion pour remercier le héros et l'héroïne [168].»

Le chancelier Boucherat, avec qui elle était en relation dès 1675, établit sur le sceau en sa faveur une pension que Pontchartrain lui continua. Ces pensions n'étaient pas toujours exactement payées, comme le témoigne maint passage de sa correspondance. «Je ne suis payée de nulle part,» écrivait-elle à l'abbé Boisot le 16 juin 1694 [169], et le 10 juillet: «Je vous envoie, Monsieur, les deux journaux qui contiennent votre excellent extrait. Mais, quoique le port d'un écrit si bien fait ne puisse être trouvé trop cher, j'ai coupé le papier blanc pour le diminuer, car, pendant cette rigoureuse année, les petites épargnes ne sont pas honteuses, quoi qu'assez contraires à mon humeur.»

Vers la même époque, et comme un allégement providentiel à l'état de gêne que révèlent ces dernières confidences, une amie de quarante ans, Mlle de Clisson [170] comprenait Mlle de Scudéry dans des legs faits en faveur de quelques personnes qu'elle affectionnait. Quoique cette libéralité vînt pour elle on ne peut pas plus à propos, nous la voyons, dans les lettres de cette époque, moins préoccupée de ses propres intérêts que des devoirs de l'amitié. «Bien que ma fortune soit très-mauvaise, je ne sens en cette occasion que la perte d'une amie qui étoit touchée de mon malheur, et qui m'a voulu secourir en mourant.... Comme on m'a dit qu'il y a un grand nombre de legs, je voudrois bien savoir si le nom de Vaumale ou de Valcroissant ne se trouve pas parmi ceux à qui cette généreuse personne en a laissé [171].»

Pour compléter ce chapitre des affaires domestiques, on nous permettra d'ajouter ici quelques détails sur l'intérieur de Mlle de Scudéry, tel que nous pouvons nous le figurer jusqu'à sa mort. Dans le postscriptum d'une lettre au jurisconsulte Taisand, datée du 1er septembre 1675, elle disait: «Je loge à présent rue de Beausse, derrière le Petit-Marché, au Marais du Temple.» Il nous paraît évident, comme à M. Miller [172], que cette formule indique un changement récent de domicile, mais—et ceci explique l'erreur de ceux qui font remonter à une époque antérieure son installation rue de Beauce—elle était restée fidèle au quartier du Temple, à la paroisse Saint-Nicolas des Champs, à ce milieu de jardins, de cultures, que le projet inachevé de Henri IV avait créé dans cette partie de Paris demi-rurale, où des noms de provinces donnés à toutes les rues prêtaient encore à l'illusion.

Tracée en 1626, sur la Culture du Temple, la rue de Beauce n'avait été achevée qu'en 1630. Elle n'était encore qu'à l'état de ruelle. La maison de Mlle de Scudéry occupait le coin de cette rue et de celle des Oiseaux [173]. Elle continuait à y recevoir les samedis, et parfois les mardis depuis deux heures jusqu'à cinq, ses amis des deux sexes dont le nombre s'éclaircissait peu à peu, et les visiteurs accidentels que sa réputation y attirait. Quelquefois l'entretien, commencé dans sa chambre, se continuait dans le jardin, ou même chez quelqu'une de ses voisines et amies de la rue de Berry, Mlle Boquet ou Mme Aragonnais. Les arbres fruitiers ou d'agrément, les hôtes familiers ou de passage qui animaient l'enclos de la Vieille rue du Temple ne manquaient pas à celui de la rue de Beauce. La maîtresse du lieu aimait les animaux, croyait à leur intelligence [174]. On lui avait envoyé un petit perroquet et des caméléons qu'elle entreprit d'élever. Le perroquet était probablement celui à qui le grand Leibnitz ne dédaigna pas d'adresser des vers latins où il lui promettait d'aller à l'immortalité avec sa maîtresse [175]. Quant aux caméléons, leur histoire est presque un épisode scientifique de la Chronique des samedis, et, comme telle, nous la laisserons raconter à l'un de nos naturalistes les plus distingués.

«L'illustre Mlle de Scudéry, dit-il, avait reçu en présent trois caméléons envoyés d'Égypte. Elle les garda chez elle pendant plus de six mois [176], et l'un d'eux passa même l'hiver; il fit les délices de la société choisie qui se donnait rendez-vous aux Samedis de la rue de Beauce. Là venait Claude Perrault, admirable anatomiste autant qu'excellent architecte, quoi qu'en ait dit Boileau. On institua des expériences sous sa direction, qui furent fort bien faites. On vit que l'animal devenait pâle toutes les nuits, qu'il prenait une couleur plus foncée au soleil ou quand on le tourmentait, et enfin qu'il fallait traiter de fable l'opinion que les caméléons prennent la couleur des objets environnants. Pour s'en assurer, on enveloppait la bête dans des étoffes différentes, et on la regardait ensuite. Une seule fois elle était devenue plus pâle dans un linge blanc, mais l'expérience répétée ne réussit plus aussi bien. La gamme des couleurs que parcourt la peau du caméléon fut trouvée très-restreinte, allant du gris et du vert clair au brun verdâtre. Nous ne savons rien de plus aujourd'hui, et ces expériences de Perrault, instituées au milieu d'un cercle de beaux esprits du dix-septième siècle, marquent le dernier pas qui ait été fait dans cet ordre de recherches. Aucun naturaliste depuis ne les a surpassées [177].»

C'est au milieu de cet entourage que l'on peut se figurer la bonne demoiselle, en robe gris de lin, les cheveux grisonnants, mais la taille encore droite, avant que l'âge et les infirmités l'eussent forcée de garder la chambre, se promenant dans son jardin, ou assise avec sa chatte favorite sur ses genoux, par une belle soirée d'été, prêtant l'oreille au caquetage de son perroquet, auquel se mêlent les bruits confus du Petit-Marché et l'Angelus du couvent des Enfants-Rouges.

Elle entretenait une correspondance étendue avec l'Allemagne, l'Italie, la Franche-Comté, la Provence, mais elle avait dû renoncer aux longs voyages, peut-être même aux séjours plus ou moins prolongés qu'elle faisait autrefois à Fontainebleau, aux Pressoirs, à Saint-Cyr. Plus de ces longues promenades avec Isarn au Raincy, ou de ces courses en bateau avec Mme de Saint-Simon [178]; tout au plus quelques excursions à Livry pour voir Mme de Sévigné, ou bien à Fresnes, chez Mme du Plessis-Guénégaud [179], où elles se retrouvaient ensemble, l'une toujours enjouée [180], l'autre toujours bonne. Les habitudes qu'elle avait contractées à Athis du vivant de Conrart paraissent s'être continuées après la mort de ce dernier (1675), ce qui a fait croire qu'elle y avait elle-même habité [181]. Du moins la tradition locale a rattaché à son nom plusieurs souvenirs. Dans une maison d'Athis ayant appartenu à M. Foucault, intendant de Caen, on avait conservé, par respect pour sa mémoire, un arbre à l'ombre duquel elle venait étudier [182]. Dans le parc d'une autre maison où le duc de Roquelaure avait passé les dernières années de sa vie, et qui appartenait en 1787 à la duchesse de Châtillon, on voyait encore, à cette dernière époque, un monument élevé à la chienne favorite de ce seigneur, avec l'inscription suivante attribuée à Mlle de Scudéry:

Ci-gît la célèbre Badine

Qui n'eut ni beauté ni bonté,

Mais dont l'esprit a démonté

Le système de la machine [183].

Cependant l'âge n'avait pas arrêté la plume de Mlle de Scudéry; il avait seulement donné une forme plus sévère à ses compositions. A l'ère des romans avait succédé celle des Conversations morales qui parurent de 1680 à 1692 [184]. Sans croire, ainsi que l'assure le rigide Arnauld, qu'elle avait «un vrai repentir de ce qu'elle avoit fait autrefois», et que, comme Gomberville, «elle eût voulu effacer ses romans de ses larmes» [185], on peut dire que, tout en conservant à la plupart de ces nouvelles compositions le cadre antique, les noms grecs, romains, africains et la forme des entretiens insérés dans ses romans [186], elle entend cependant les dégager des aventures purement romanesques, leur donner une allure plus décidément morale, en faire, comme on l'a dit, le bréviaire des honnêtes gens appelés à vivre dans le grand monde, caractère que n'hésitaient pas à leur reconnaître des femmes telles que Mmes de Sévigné et de Maintenon, des prélats tels que Mascaron et Fléchier [187], et que M. Cousin a résumé de nos jours en disant «qu'on pouvait offrir à une jeune femme ces dix volumes de Conversations, comme une suite de sermons laïques en quelque sorte, une véritable école de morale séculière, tirée de l'expérience de la meilleure compagnie [188].»

Les Conversations étaient devenues un genre de littérature à la mode, depuis que l'hôtel de Rambouillet et les Précieuses, grâce aux progrès du confort et au rapprochement régulier des deux sexes, avaient créé ce nouvel élément de la vie sociale, inconnu au siècle précédent. De même que les Portraits chez Mademoiselle, les Caractères à l'hôtel de Condé, les Maximes chez Mme de Sablé [189], les Conversations étaient en faveur dans les salons modestes de Mlle de Scudéry et de Mme Scarron. Saint-Évremond et le chevalier de Méré en avaient fait le sujet de compositions littéraires. Il appartenait à la reine des Samedis de donner en même temps le précepte et l'exemple [190]. C'est ce qu'elle fit dans son chapitre De la conversation, p. 16 du volume de 1680. Elle pose en principe qu'il y faut le concours des deux sexes, suivant sur ce point l'opinion du chevalier de Méré, qui avait été à son heure, dit Sainte-Beuve, un maître de bel air et d'agrément, et avec lequel elle avait eu quelques relations. Laissons-la parler sur ce point délicat, et honni soit qui mal y pense! «Les plus honnêtes femmes du monde, dit-elle, quand elles sont un grand nombre ensemble, ne disent presque jamais rien qui vaille, et s'ennuient plus que si elles étoient seules.... Au contraire, il y a je ne sais quoi, que je ne sais comment exprimer, qui fait qu'un honnête homme réjouit et divertit plus une compagnie de dames, que la plus aimable femme de la terre ne sauroit le faire.»

On trouve, soit dans cet article, soit dans ceux qui suivent, bien des choses fines et délicates, intéressantes comme peinture de la société du temps, et qui sont restées vraies dans le nôtre. Certains sujets de critique littéraire y sont touchés à l'occasion. Les conversations sur la manière d'inventer une fable—sur la manière d'écrire les lettres, etc., prouvent que l'auteur avait réfléchi aux règles des divers genres de littérature, quoiqu'elle n'ait pas toujours réussi à les mettre en pratique. On est étonné d'y rencontrer, au milieu d'une Nouvelle soi-disant historique et assez ennuyeuse, une espèce d'histoire de la poésie française au seizième siècle, qui suppose des connaissances réelles sur ce point alors peu étudié, et qui montre, par exemple, que Mlle de Scudéry avait mieux connu et jugé Ronsard que l'auteur de l'Art poétique [191].

De même que les portraits du Cyrus et de la Clélie avaient donné naissance à ceux qui furent à la mode quelque temps après chez Mademoiselle de Montpensier, les Conversations de Mlle de Scudéry suggérèrent à Mme de Maintenon, qui avait été son amie avant d'être sa protectrice, l'idée d'en composer de plus simples destinées à être récitées par les demoiselles de Saint-Cyr [192]. Cela résulte non-seulement d'une lettre de Mme de Sévigné, déjà indiquée, mais d'un passage de celle de Mme de Brinon leur première supérieure, à Mlle de Scudéry, en date du 3 août 1688. On les trouvera l'une et l'autre dans la Correspondance.

En 1671, le premier prix de prose, fondé par Balzac, fut décerné à Mlle de Scudéry pour son Discours de la Gloire, qui certes n'ajoutera rien à celle de l'auteur. Il ne faut point y chercher de l'éloquence. On demandait, dans l'Écrit portant établissement des prix de prose et de poësie, que le premier traitât de certaines matières pieuses déterminées par le fondateur; qu'il fût revêtu d'une approbation de la Faculté de Théologie, et qu'il se terminât par une courte prière à Jésus-Christ [193]. La chose tenait à la fois du sermon et de l'amplification de collége.

A la mort de la savante Hélène Cornaro, l'Académie des Ricovrati de Padoue fit écrire par Charles Patin une lettre des plus flatteuses à Mlle de Scudéry pour lui donner place dans cette société qui se faisait gloire de compter dans son sein un certain nombre de dames françaises, telles que la marquise de Rambouillet, les comtesses d'Aulnoy et de la Suze, Mesdames Deshoulières, de Villedieu, Dacier, etc. Au milieu de ces Muses françaises qui avaient chacune leur épithète: la Lumière de Rome, l'Immortelle, l'Éloquente, etc., Sapho était surnommée l'Universelle [194].

Il aurait même été question de suivre cet exemple en France, et Mlle de Scudéry figurait la première sur une liste de dames illustres par leur esprit et par leur savoir qu'il fut question d'admettre à l'Académie française. La proposition attestée par Ménage, et appuyée par Charpentier qui invoqua le précédent des Ricovrati de Padoue, n'eut pas de suite [195].

Ses romans, ainsi qu'elle l'a rappelé plusieurs fois, avec une certaine complaisance, dans ses lettres, étaient traduits en anglais, en allemand, en italien, et même en arabe, à ce que lui écrivait un de ses amis et obligés, Bonnecorse, de Syrie où il était consul à Seyde. M. Lair, professeur à Caen, et Charlotte Patin traduisaient en vers latins ses poésies. Sa correspondance, soit dans la partie que nous avons pu en recueillir, soit dans celle qui ne nous est connue que par des fragments ou des indications, nous la montre en rapport avec ce que la France et l'étranger renfermaient de plus distingué. On a vu, dit son panégyriste, avec une pointe d'exagération que le genre comporte, «des souverains ne recommander autre chose aux princes, leurs enfants, qui venoient en France, que de ne point retourner auprès d'eux sans avoir vu Mlle de Scudéry» [196].

Elle disait à l'abbé Boisot: «Je ne rejette que les louanges de mon esprit, et j'accepte hardiment celles qui s'adressent à mon cœur et à mon amitié.» Elle lui écrivait aussi, au sujet d'un service rendu à un ami: «Je renferme tout cela dans mon cœur où rien ne se perd jamais.» Il était d'elle encore ce mot qui avait frappé sa digne amie, Mme de Sévigné: «La vraie mesure du mérite doit se prendre sur la capacité que l'on a d'aimer [197].» Aussi Ménage, lui dédiant l'édition des œuvres d'un ami commun, écrivait: «Si j'ai de l'estime et de l'admiration pour les qualités de votre esprit, j'ai du respect et de la vénération pour celles de votre âme, pour votre bonté, pour votre douceur, pour votre tendresse, pour votre générosité, pour votre candeur, et surtout pour cette incomparable modestie qui au lieu de cacher votre mérite, le fait éclater davantage [198].»

S'il est vrai, comme l'a dit une de nos muses contemporaines,

Que louer la vertu, c'est lui désobéir,

il semble qu'ici Ménage désobéissait beaucoup à Mlle de Scudéry.

Un auteur que nous avons déjà cité, de Vaumorière, consignait également, dans la dédicace d'une Nouvelle historique, l'éloge chaleureux de la modestie et du mérite de Mlle de Scudéry. Rappelant le fait cité plus haut de la traduction en arabe d'un de ses romans, il ajoutait: «Pardonnez moi, s'il vous plaît, Mademoiselle, cette particularité qui n'est pas de votre goût, et permettez moi d'en dire une autre dont je suis incomparablement plus touché. C'est que vous êtes la plus généreuse, la plus ardente et la plus fidèle Amie qui fut jamais, et que votre cœur est peut-être au-dessus de ce grand esprit que toute la terre admire [199].» Ma bonne amie, ainsi l'appelaient naïvement quelques-uns de ses intimes, hommes et femmes [200], et elle fut en effet par excellence «une bonne amie», comme elle n'hésitait pas à le dire d'elle-même. Agréée par les plus austères, cette amitié ne s'effarouchait pas de quelques écarts, et, sur cette liste si nombreuse, à côté des Mascaron, des Montausier, des Sévigné, des Motteville, figurent d'autres noms moins irréprochables. L'indulgence de la femme sûre d'elle-même, pour des faiblesses qu'elle ne partageait pas, respire dans son commerce avec certains amis de l'un et de l'autre sexe. Elle écrivait à Bussy-Rabutin: «Votre fille que je vois souvent a autant d'esprit que si elle vous voyoit tous les jours, et est aussi sage que si elle ne vous voyoit jamais.» La galante Mme de la Suze adressait à la sage Daphné (Scudéry) une Élégie, où cette nuance de leurs rapports mutuels est délicatement indiquée:

Illustre et chère amie à qui dans mes malheurs

J'ai toujours découvert mes secrètes douleurs,

Qui sais ce que l'on doit ou désirer ou craindre

Et qui ne blâmes pas ce qu'on ne doit que plaindre,

Écoute-moi....

Ménage écrivait à la date du 21 août 1685:

«Mlle de Scudéry m'a obligé de me réconcilier avec M. Pellisson, et je dînai hier chez lui. Mortalis cum sis, odia ne geras immortalia [201].»

«Ennemie de la médisance et des médisans, juste dans ses choix, sûre dans son commerce, sincère, discrète et judicieuse, vraie en tout et toujours égale, elle faisoit souhaiter à tout le monde sa connoissance et son amitié. Incapable de changement comme de foiblesse, ses amis n'étoient jamais plus assurés de son cœur que quand ils étoient malheureux [202].»

Pour prouver combien cette fois son panégyriste est resté dans la stricte vérité, il suffit de rappeler les noms de Fouquet, de Valcroissant, de Corbinelli, de Bonnecorse, du gazetier Loret qui recevait par son entremise les bienfaits anonymes du Surintendant alors prisonnier [203]. Le 30 mai 1687, elle s'était associée à Pellisson pour faire célébrer un service funèbre à Nublé, leur ami commun [204]. Quant à Pellisson lui-même, il avait toujours occupé une place à part. Longtemps avant sa mort, et un jour qu'il n'avait pu assister à une réunion motivée par l'anniversaire de la naissance de Sapho, Ménage avait fait son épitaphe, où il disait en usant d'une fiction poétique:

Passant, ne pleure point son sort.

De l'illustre Sapho que respecta l'envie

Il fut aimé pendant sa vie,

Il en fut plaint après sa mort.

Lorsque cette fiction se réalisa, en 1693, elle dicta à Bosquillon, sur cet ami de trente-huit ans, de touchantes notices qui parurent dans le Mercure et dans le Journal des Savants [205], et toutes ses lettres de cette époque témoignent de l'ardeur passionnée [206] qu'elle mit à défendre Pellisson contre les attaques qui s'étaient produites en France, en Allemagne, en Hollande sur la sincérité de sa conversion et l'orthodoxie de sa fin. Elle écrivit à Mme de Maintenon, au chancelier, à M. Lepeletier, à Bossuet, et, en réponse à cette dernière lettre de 15 pages [207], malheureusement perdue, obtint de l'illustre prélat un témoignage aussi honorable pour ses sentiments personnels que pour la mémoire de son ami [208]. Elle concourut à l'édition du premier volume de son Traité de l'Eucharistie, donnée par l'abbé de Faure-Ferriès. Elle possédait toutes ses poésies inédites, probablement celles qu'il avait composées à la Bastille [209] et projetait de raconter sa vie [210]. Elle avait écrit dans le premier moment: «La douleur m'a rendue malade; je fais ce que je puis pour résister, car je suis nécessaire à conserver sa mémoire [211].» Depuis elle dit: «Je n'ai point eu de véritable santé depuis sa mort [212].» L'année suivante la perte de l'abbé Boisot de Besançon, avec qui elle était en correspondance suivie depuis près de dix ans, lui rappelait celle de Pellisson.

«Je croyois perdre Acanthe une seconde fois,»

disait-elle dans un madrigal composé à cette occasion.

C'était aussi une amitié de quarante ans qui unissait Sapho, la Précieuse, la mondaine, la romancière à l'illustre et pieux Mascaron. Dès l'année 1646, elle se joignait à son frère pour recommander le père à leurs amis de Paris, et, dans une de ses dernières lettres à l'abbé Boisot, elle faisait du fils un éloge des mieux sentis. Celui-ci, de son côté, n'avait pas attendu, pour louer les écrits de son amie, qu'elle eût publié ses Conversations morales. Il lui écrivait le 12 octobre 1672: «L'occupation de mon automne est la lecture de Cyrus, de Clélie et d'Ibrahim. Ces ouvrages ont toujours pour moi le charme de la nouveauté, et j'y trouve tant de choses propres pour réformer le monde, que je ne fais pas difficulté de vous avouer que, dans les sermons que je prépare pour la Cour, vous serez très-souvent à côté de saint Augustin et de saint Bernard.» A peine investi de la dignité épiscopale, il éprouve le besoin de raconter à sa vieille amie l'espèce d'ovation dont il a été l'objet dans son diocèse de Tulle, et il ajoute: «L'amitié des peuples, toute grossière qu'elle est, a par sa sincérité un charme qui se fait sentir et qui console de la perte des choses qui ont plus d'éclat à la vérité, mais moins de solidité. Je ne mets point dans ce rang, Mademoiselle, cette bonne et généreuse amitié dont vous m'honorez depuis si longtemps; rien ne peut consoler d'être éloigné de vous, que la persuasion d'être toujours dans votre souvenir, et d'avoir une petite place dans le cœur du monde le plus grand et le plus généreux. Je ne manquerai pas de faire copier les sermons que vous désirez. Je souhaite qu'ils puissent vous plaire; votre approbation me donnera une joie moins tumultueuse à la vérité, mais plus solide que celle de toute la cour, et votre sentiment réglera celui que j'en dois avoir.»

Chargé en 1675 de prononcer l'éloge de Turenne, il faisait part à Mlle de Scudéry de l'embarras où le jetait le peu de temps qu'il avait pour se préparer à une semblable tâche. «Vous pouvez, ajoutait-il, m'aider à éviter ces inconvénients, si vous avez la bonté de penser un peu à ce que vous diriez si vous étiez chargée du même emploi [213].»

Moins ancienne, mais non moins glorieuse pour Mlle de Scudéry était l'amitié du grand Leibnitz. Nous en avons des témoignages plus sérieux que les vers adressés au perroquet de Sapho. A propos de la question de l'amour divin, débattue entre Bossuet et Fénelon, le philosophe avait dit: «De toutes les matières de théologie, il n'y en a point dont les dames soient plus en droit de juger, puisqu'il s'agit de la nature de l'amour.... Mais j'en voudrois qui ressemblassent à Mlle de Scudéry qui a si bien éclairci les caractères et les passions dans les romans et dans les conversations de morale [214].»

De son côté, l'abbé Nicaise écrivait à Huet, le 9 août 1698: «J'avois fait part à Mlle de Scudéry, qui est des amis de M. Leibnitz, de son sentiment sur l'amour désintéressé, en lui disant qu'il n'étoit contraire ni à M. de Meaux, ni à M. de Cambray, pour me venger un peu de quelques vers de sa façon dont elle m'avoit régalé. Elle me répond qu'elle ne veut point se mêler dans une dispute d'une matière si élevée, et qu'elle se tient en repos en se bornant aux Commandements de Dieu, au Nouveau Testament et au Pater. Car je crois, dit-elle, qu'une prière que Jésus-Christ a composée lui-même ne contient pas un intérêt criminel, quoique Mme Guyon la regarde comme une prière intéressée, ce qui renverseroit les fondements du christianisme [215].»

Ces derniers mots nous amènent à la vieillesse de Mlle de Scudéry, aux infirmités qui l'accompagnèrent et aux pensées sérieuses que lui inspirèrent les approches du moment suprême.

A ses amis qui lui promettaient l'immortalité, elle avait répondu:

J'en quitterois ma part pour un siècle de vie,

Ou mieux encore:

J'y renoncerois par tendresse

Si mes amis n'étoient immortels comme moi [216].

Ce siècle de vie, elle y toucha presque, et, depuis longtemps, les approches s'en faisaient sentir. Dès 1689, Richelet, dans son Choix des plus belles lettres, p. 295, insérant une épître de Balzac à elle, ajoutait en note: «Plût à Dieu qu'elle pût continuer à travailler et qu'elle fût encore en état de contenter ce qu'il y a de plus fin et de plus délicat dans l'un et dans l'autre sexe! Mais

Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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