Читать книгу Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies - Madeleine De Scudéry - Страница 9

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Non, elle cède aux ans et sa tête chenue

Lui dit qu'il faut quitter les hommes et le jour,

Son sang se refroidit, sa force diminue, etc.»

En dépit des vers:

L'oreille est le chemin du cœur

Et le cœur l'est du reste,

vers qui ont été attribués à Mlle de Scudéry, la surdité fut une des infirmités qui se déclarèrent de bonne heure chez elle et s'accrurent avec l'âge. Il y eut à ce sujet, au moins dès 1666, entre Cotin et Ménage, un échange d'épigrammes latines et françaises. Le premier engagea l'action par le quatrain suivant:

Suivre la Muse est une erreur bien lourde,

De ses faveurs voyez le fruit:

Les écrits de Sapho menèrent tant de bruit

Que cette nymphe en devint sourde.

Ménage riposta par une épigramme latine de 18 vers:

Proh scelus! incautam carpis, malesane, puellam,

Nec pudet, et surdam surdior ipse vocas, etc.

La querelle ainsi commencée continua sur le même ton. Les pièces en ont été recueillies par Cotin lui-même sous le titre de la Ménagerie [217]. Elle eut cela de particulier que le premier auteur de la guerre protesta toujours de son respect pour celle qui en avait été l'occasion, et prétendit que l'attaque était plus respectueuse que la défense, ce qui donna lieu aux vers suivants:

Quand le docte Cotin, l'amour des beaux esprits,

Veut plaindre de Sapho la surdité cruelle,

Il donne à sa disgrâce une cause si belle

Que l'on peut souhaiter d'être sourde à ce prix.

Et à ceux-ci:

Je prends pour votre ami celui qui vous attaque,

Et pour votre ennemi celui qui vous défend.

Cependant, Mlle de Scudéry s'était depuis longtemps résignée à vieillir. Disons mieux, dès le temps de la Clélie, elle prenait l'avance sur la vieillesse en traçant, avec une certaine complaisance, le portrait d'Arricidie, qui était encore à Capoue l'arbitre du bon goût et du bon ton, «quoiqu'elle n'eût jamais eu aucune beauté et qu'elle eût plus de quinze lustres» (soixante-quinze ans). Or l'auteur n'en avait guère alors que cinquante. Il faut lire ce portrait et l'agréable commentaire qu'en fait un critique, en montrant que, contre l'ordinaire des romans, la femme âgée a sa place dans la Clélie et vieillit sans devenir inutile ni déplaisante [218].

A partir surtout de 1692, la correspondance de Mlle de Scudéry avec l'abbé Boisot renferme sur sa santé des plaintes qui vont en s'aggravant d'année en année. «Mes genoux ne me permettent pas de monter et descendre mon escalier sans peine et de me promener dans mon jardin.»—«Ma santé est plus altérée qu'elle n'étoit, et je ne suis encore payée de nulle part.» 12 mai et 16 juin 1694, etc., etc.

Nous avons sur Mlle de Scudéry, dans les dernières années de sa vie, l'impression de deux témoins oculaires qui lui rendirent visite à peu de temps de distance. L'un et l'autre s'accordent à dire qu'elle avait conservé un esprit encore vigoureux dans un corps en ruines, et la comparent à une sibylle à qui il ne restait plus que la parole. Elle avait alors à peu près 92 ans. Au premier de ces visiteurs, Martin Lister, savant médecin et naturaliste anglais, elle montra, dans son cabinet, un portrait de Mme de Maintenon, son amie de longue date, qu'elle lui affirma être fort ressemblant, et qui, en effet, dit-il, représentait une femme d'une beauté remarquable. L'autre était Mme du Noyer, qui, dans ses Lettres historiques et galantes, a recueilli bien des commérages mêlés à quelques vérités. A l'en croire, Mlle de Scudéry, lorsqu'elle reçut sa visite, était tellement sourde qu'elle faisait écrire par une tierce personne tout ce qu'on lui disait, et répondait après avoir lu le papier sur lequel étaient couchés les discours de son interlocutrice [219].

Dans les dernières années de sa vie, elle composa encore des vers à la louange du Roi, sur l'avénement du duc d'Anjou au trône d'Espagne, sur les victoires de nos armées, etc. «On aime à voir, dit un écrivain, la noble fille, presque centenaire, soutenir jusqu'au bout l'honneur de la grande génération dont elle était à cette date le dernier représentant [220].» En effet, par sa longue existence, qui commence avec les premières années du dix-septième siècle et le dépasse d'un an, qui embrasse la fin du règne de Henri IV, celui de Louis XIII tout entier, les deux ministères de Richelieu et de Mazarin, la jeunesse, la maturité et la vieillesse de Louis XIV, il fut donné à Mlle de Scudéry d'être contemporaine de Balzac, de Chapelain, de Voiture, de Corneille, de Scarron. Elle a vu naître et mourir Molière, La Fontaine, Pascal, Racine, Labruyère, et n'a précédé dans la tombe que de quelques années Bossuet, Despréaux, Mascaron et Fléchier [221].

Outre les ouvrages cités par nous, elle en a publié quelques autres de moindre importance [222]. Il est question dans les Lettres de Mme de Sévigné, t. II, p. 258, d'un commentaire qu'elle avait composé sur certains sonnets de Pétrarque, et Bosquillon parle à la fin de son Éloge «de courtes prières pour tous les dimanches de l'année et d'autres sur les 150 pseaumes, qu'elle avoit faites depuis longtemps pour son seul usage et pour celui d'un de ses plus illustres amis.»

Mlle de Scudéry, a dit M. Cousin, était pieuse sans être dévote, et la justesse de cette appréciation ressort de plusieurs circonstances énoncées par nous dans le cours de cette Notice. Ses Conversations sur divers sujets (1680) renferment un chapitre Contre ceux qui parlent peu sérieusement de la religion. Elle y dépeint ces hommes qu'on appelait alors des libertins, mais elle se refuse à admettre qu'il puisse y avoir des femmes sans religion. Il est question ailleurs d'une certaine Belinde à qui la dévotion ôta quelques amis, et elle ajoute: «Car, quoique Belinde ait une piété fort solide, elle ne convenoit plus à un de ces dévots de cabale qui, pour l'ordinaire, songent plus à concerter l'extérieur de leurs actions qu'à régler le fond de leur propre cœur [223].»

Nous avons déjà vu par la lettre à l'abbé Nicaise, citée plus haut, que les sentiments religieux de Mlle de Scudéry s'accentuèrent davantage vers la fin de sa vie. L'auteur de son Éloge nous la représente en proie, pendant plusieurs années, à de vives douleurs causées par un rhumatisme aux genoux et souffertes avec une résignation toute chrétienne, portant dans un corps usé un esprit toujours serein. Nous reproduisons d'après lui le touchant récit de sa mort, en l'abrégeant un peu, mais en lui laissant toute sa naïveté.

«Le 2 juin (1701) au matin, dit-il, elle se fit encore lever et habiller, malgré un gros rhume mêlé de fièvre. Étant debout, elle se sentit défaillir et dit: il faut mourir. Elle demanda le crucifix et le baisa. On le posa devant elle, et elle demeura les yeux attachés dessus. Son confesseur, qui demeuroit dans le voisinage et qui la voyoit souvent, ne s'étant pas trouvé, on avertit le père de Furcy, capucin. On lui redonna le crucifix. Comme il étoit un peu lourd, on voulut le lui ôter; mais elle le reprit de sa main mourante en disant: Donnez, donnez-moi mon Jésus. Elle l'appuya sur sa poitrine et, pendant qu'on lui donnoit la dernière absolution, elle expira doucement dans le baiser du Seigneur [224].»

Ainsi mourut Mlle de Scudéry, à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans. Deux églises se disputèrent l'honneur de lui donner la sépulture, celle de l'hôpital des Enfants-Rouges où elle avait dit souvent qu'elle souhaitait d'être enterrée, et celle de Saint-Nicolas-des-Champs, qui était sa paroisse depuis plus de cinquante ans. Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, jugea en faveur de sa paroisse, où son corps fut inhumé le 3 juin au soir [225].

E. J. B. RATHERY.

Mademoiselle de Scudéry, sa vie et sa correspondance, avec un choix de ses poésies

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