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XVI – L’Étranger
ОглавлениеDominique s’était assis près du feu éteint en attendant ses convives. Chaque soir, il invitait quelque grand seigneur à venir souper chez lui avec des gens d’esprit, et comme il était bien né, riche et charmant, on ne le laissait jamais seul. Les flambeaux n’étaient pas encore allumés et le jour mourait tristement dans la chambre. Tout à coup, il entendit une voix lui dire, une voix lointaine et intime lui dire: «Dominique» — et rien qu’en l’entendant prononcer, prononcer si loin et si près:
«Dominique», il fut glacé par la peur. Jamais il n’avait entendu cette voix, et pourtant la reconnaissait si bien, ses remords reconnaissaient si bien la voix d’une victime, d’une noble victime immolée. Il chercha quel crime ancien il avait commis, et ne se souvint pas. Pourtant l’accent de cette voix lui reprochait bien un crime, un crime qu’il avait sans doute commis sans en avoir conscience, mais dont il était responsable, — attestaient sa tristesse et sa peur. — Il leva les yeux et vit, debout devant lui, grave et familier, un étranger d’une allure vague et saisissante. Dominique salua de quelques paroles respectueuses son autorité mélancolique et certaine.
«Dominique, serais-je le seul que tu n’inviteras pas à souper? Tu as des torts à réparer avec moi, des torts anciens. Puis, je t’apprendrai à te passer des autres qui, quand tu seras vieux, ne viendront plus.
— Je t’invite à souper, répondit Dominique avec une gravité affectueuse qu’il ne se connaissait pas.
— Merci», dit l’étranger.
Nulle couronne n’était inscrite au chaton de sa bague, et sur sa parole l’esprit n’avait pas givré ses brillantes aiguilles. Mais la reconnaissance de son regard fraternel et fort enivra Dominique d’un bonheur inconnu.
«Mais si tu veux me garder auprès de toi, il faut congédier tes autres convives.»
Dominique les entendit qui frappaient à la porte. Les flambeaux n’étaient pas allumés, il faisait tout à fait nuit.
«Je ne peux pas les congédier, répondit Dominique, je ne peux pas être seul.
— En effet, avec moi, tu serais seul, dit tristement l’étranger. Pourtant tu devrais bien me garder. Tu as des torts anciens envers moi et que tu devrais réparer. Je t’aime plus qu’eux tous et t’apprendrais à te passer d’eux, qui, quand tu seras vieux, ne viendront plus.
— Je ne peux pas», dit Dominique.
Et il sentit qu’il venait de sacrifier un noble bonheur, sur l’ordre d’une habitude impérieuse et vulgaire, qui n’avait plus même de plaisirs à dispenser comme prix à son obéissance.
«Choisis vite», reprit l’étranger suppliant et hautain.
Dominique alla ouvrir la porte aux convives, et en même temps il demandait à l’étranger sans oser détourner la tête:
«Qui donc es-tu?»
Et l’étranger, l’étranger qui déjà disparaissait, lui dit:
«L’habitude à qui tu me sacrifies encore ce soir sera plus forte demain du sang de la blessure que tu me fais pour la nourrir. Plus impérieuse d’avoir été obéie une fois de plus, chaque jour elle te détournera de moi, te forcera à me faire souffrir davantage. Bientôt tu m’auras tué. Tu ne me verras plus jamais. Et pourtant tu me devais plus qu’aux autres, qui, dans des temps prochains, te délaisseront. Je suis en toi et pourtant je suis à jamais loin de toi, déjà je ne suis presque plus. Je suis ton âme, je suis toi-même.»
Les convives étaient entrés. On passa dans la salle à manger et Dominique voulut raconter son entretien avec le visiteur disparu, mais devant l’ennui général et la visible fatigue du maître de la maison à se rappeler un rêve presque effacé, Girolamo l’interrompit à la satisfaction de tous et de Dominique lui-même en tirant cette conclusion:
«Il ne faut jamais rester seul, la solitude engendre la mélancolie.»
Puis on se remit à boire; Dominique causait gaiement mais sans joie, flatté pourtant de la brillante assistance.