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XX – Les perles

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Je suis rentré au matin et je me suis frileusement couché, frissonnant d’un délire mélancolique et glacé, Tout à l’heure, dans ta chambre, tes amis de la veille, tes projets du lendemain, — autant d’ennemis, autant de complots tramés contre moi, — tes pensées de l’heure, autant de lieues vagues et infranchissables, — me séparaient de toi. Maintenant que je suis loin de toi, cette présence imparfaite, masque fugitif de l’éternelle absence que les baisers soulèvent bien vite, suffirait, il me semble, à me montrer ton vrai visage et à combler les aspirations de mon amour. Il a fallu partir; que triste et glacé je reste loin de toi! Mais, par quel enchantement soudain les rêves familiers de notre bonheur recommencent-ils à monter, épaisse fumée sur une flamme claire et brûlante, à monter joyeusement et sans interruption dans ma tête? Dans ma main, réchauffée sous les couvertures, s’est réveillée l’odeur des cigarettes de roses que tu m’avais fait fumer. J’aspire longuement la bouche collée à ma main le parfum qui, dans la chaleur du souvenir, exhale d’épaisses bouffées de tendresse, de bonheur et de «toi». Ah! ma petite bien-aimée, au moment où je peux si bien me passer de toi, où je nage joyeusement dans ton souvenir — qui maintenant emplit la chambre — sans avoir à lutter contre ton corps insurmontable, je te le dis absurdement, je te le dis irrésistiblement, je ne peux pas me passer de toi.

C’est ta présence qui donne à ma vie cette couleur fine, mélancolique et chaude comme aux perles qui passent la nuit sur ton corps. Comme elles, je vis et tristement me nuance à ta chaleur, et comme elles, si tu ne me gardais pas sur toi je mourrais.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

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