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CHAPITRE III

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Table des matières

SOMMAIRE: MM. Becker, Bin, Benner et Flameng. — L’horrible mode, chère madame! — M. Bonnat. — Tout 1830 y passera. — Les bras que réclame celle de Milo? — Si M. Bonnat sculptait les femmes? — Au fidèle berger, M. Bouguereau. — A Arthémise, M. Cabanel. — MM. Glaize et Mangin. — Un immortel mort et un immortel vivant. — M. Haquette est-il content? — M. Courtois. — Tout s’explique. — M. Pharaon Winter. — Elle parla d’amour préhistoriquement. — Jury et mystère! — M. Vollon. — Espagnol modèle et modèle espagnol. — Une gamme de noirs. — M. Hirsch, un académicien et une jeune fille. — Un hosannah pour Ribot. — Décharnements et acharnements. — All right. — L’usure, plutôt! — Elle aimait le théâtre, cette femme!

Or voilà tout un quart d’heure que nous jasons portraits. Tandis que nous y sommes, épuisons notre liste, elle n’est pas longue.

Un coup d’œil en courant à M. Becker. Il est ingénieux, mais sec. On ne vit jamais de bois mieux peint, mais, je ne sais pourquoi, j’aime mieux la chair. Le Portrait de M. H..., par M. Bin, est l’œuvre très-ferme et très-étudiée d’un travailleur que l’à-peu-près ne satisfait point.

C’est chose très-honorable et peinture fort parlementaire, que l’effigie du sénateur Dauphinot par M. Jean Benner.

Plus vivante cette dame du jour, au fringant toquet, au petit air martial, pour qui M. François Flameng a dépensé toute la diablerie de son jeune talent. Mes compliments, madame, pour votre robe de soie noire, à pleine main. Vous avez en M. Flameng un fournisseur excellent. Mais sur ce front-là, qui ne laisse pas d’être intelligent, pourquoi ces cheveux collés en petites baguettes plates? L’horrible, oh! l’horrible mode, chère madame!

Devant M. Bonnat, nous battons aux champs. Les vieillards vont bien à sa main, ferme jusqu’à la rudesse, les vieillards politiques. Après M. Thiers, voici venir M. de Montalivet. Tout 1830 y passera. C’est toute une histoire, ce portrait, c’est l’histoire d’un demi-siècle. Sous l’habit vert à boutons d’or, l’habit des anciens jours, dans ce pantalon toujours taillé sur l’antique patron, le corps se dérobe, les formes s’effacent, les pleins s’évanouissent, les angles s’accusent. Dans cette tête blanchie, derrière ce front ridé, au fond de ces yeux caves, dans ce regard qui a tant vu et que rallument tant de souvenirs, sous ce masque imposant dont l’âge a lentement fouillé toutes les saillies, la pensée veille, et de ces lèvres éloquentes il tombe aux heures solennelles des espérances et des conseils que tous les patriotes recueillent pieusement.

J’aime moins, un peu moins, le portrait de la comtesse de V..., si magistral pourtant. Certes, voici une noble dame et voici de la noble peinture! Ici, point de sacrifice aux modes basses et révoltantes. Le front reste haut et pur, sous le simple diadème des bandeaux plats et corrects. Un geste énergique rejette la tête en arrière. L’œil bleu darde un regard brillant et froid. La bouche, mince et fine, ne sourit guère. Les épaules se dégagent, blanches et superbes, d’une magnifique robe de velours noir aux plis longs et droits. Ne seraient-ce point ces bras splendides que réclame la Vénus de Milo? L’éventail, dans ces mains élégantes et potelées, semble un sceptre. Incessu patuit, etc. Oui, mais à cette beauté opulente, à cette fierté souveraine, la souplesse manque, presque la vie. C’est Galathée qui veut redevenir statue. Si M. Bonnat sculptait les femmes?

Devant MM. Cabanel et Bouguereau, silence! Leur peinture décourage la satire. De celui-là, si j’étais magasin de nouveautés, j’installerais à ma devanture les dames bleues ou jaunes, avec cette devise tout à fait nouvelle: Au fidèle berger. De celui-ci, cette pleurarde en sucre et de noir vêtue, si j’étais magasin de deuil, je la paierais cher. Et dessous, les jours de fête, en lettres de gaz flamboieraient ces mots vainqueurs: A Arthémise!

A son énorme allégorie, la Force, un peu bien confuse et bien poncive, je préfère le portrait que nous a donné M. Glaize de son père. C’est une vigoureuse et savante étude, quoique théâtrale. Un fauteuil de l’Académie, qui n’est pas le quarante-unième, a trouvé dans M. Mangin un consciencieux historien. Ce ne sont point œuvres étonnantes, assurément, mais de bonnes et durables pages, que ces portraits de Claude Bernard, qui eut tant de génie, et de son successeur, M. Renan, qui a un si incomparable talent. M. Mangin a compris et rendu ces deux modèles si dissemblables, avec une précision rare. A ce visage austère et puissant, vous reconnaissez l’immortel mort, le terrible sondeur, jusqu’ici le plus terrible de tous, qui si profondément creusa le secret de la vie. Et de l’immortel vivant, de celui-là qui, sur la route de la légende à l’histoire, nous édifia ce refuge, le roman historique de Jésus, vous voyez dans cette grosse maligne tête qui défie les règles de la plastique, vous voyez le portrait, trait pour trait.

M. Haquette est-il content? On a orné d’une mention honorable son Portrait de Mme et de Mlle T..., œuvre singulièrement vivante, qui vous saisit au passage. Un peu décorative toutefois, comme la Rixe dans une auberge du Pollet, où, par habitude et fougue de jeunesse, le peintre confond drame avec mélodrame. M. Haquette est-il content? Je ne sais, mais plus d’un artiste commence à penser tout haut qu’entre toutes ces récompenses, si puériles, il n’en est point de plus puérile que la Mention honorable, et même de plus gênante.

Enfin, puisque récompense il y a, n’aurait-on pu attribuer à M. Haquette cette médaille de 3e classe infligée à M. Courtois? Personne, par bonheur, au moins, n’avait remarqué, bien qu’égaré sur la cymaise, ce portrait de jeune demoiselle, sans modelé ni valeur, atone et monotone, dans un intérieur maussade et sans perspective, ni cette ridicule Courtisane Taïs aux enfers, chose plus que nulle, où Dante et Virgile sont grotesques pour la première fois peut-être de leur éternité. Tombe là-dessus une médaille, et chacun de s’esbaudir. L’original du portrait porte un nom des plus aristocratiques. Le professeur du peintre est M. Gérôme. Tout s’explique.

Cette médaille encore n’allait-elle pas bien à M. Doucet, pour son portrait de M. Julian, si ferme et si bien campé.? ou à M. Serres, qui, l’an dernier, exposa une étude si énergique du fier poète des Tendresses viriles, Auguste Creissels? Une médaille à M. Courtois, et vous ne décernez rien à M. Pharaon Winter pour sa Vieille femme en prière! Il n’est guère, parmi les débutants au Salon de 1878, de talent plus appréciable et plus promettant. C’est une bien dramatique création que celle de cette pauvre ancienne, dont les os claquent sous des haillons que ne dissimule point une mante râpée, humblement agenouillée sur une haute chaise d’église, être innommable qui fut une femme et parla d’amour en des temps préhistoriques, marmonnant entre ses lèvres tombantes elle ne sait quoi à elle ne sait qui, roulant machinalement entre ses doigts son compte-prières à grains crasseux, regardant fixement devant elle de son reste de regard quelque chose que nous ne voyons pas, mais que nous devinons, la misère qui l’étreint ou la mort qui la délivrerait. Vigueur, mouvement, couleur, pensée, tout est donc là pour vous signaler cette œuvre d’un étrange relief. Ce tout n’est rien, soit. Mais voici qu’au livret nous lisons: élève de M. Cabanel. Eh bien, alors?... Jury et mystère!

Est-ce un portrait que l’Espagnol de M. Vollon? Oui, c’est tout au moins le portrait d’un modèle. Et vraiment on ne le voit que trop.

LOUIS COLLIN

Une Femme couchée.


Familièrement assis sur une table d’auberge, ce modèle est bien un Espagnol. Mais c’est trop un Espagnol modèle. Beau, jeune, sombre et basané, il n’est point romanesque, et il n’est pas naturel. Il pose à l’heure, et pour le torse. Il ne s’ennuie pas, il ne rêve pas, il ne conspire pas, il est indifférent. Il porte, mais tout en noir, des pieds à la tête, le traditionnel costume de Figaro. Peut-être vient-il, avec son chien, un chef-d’œuvre de chien, d’enterrer son oncle, un oncle sans héritage. Ou bien est-ce un Figaro spécialiste, notaire, ou croquemort, ou ministre, ou médailliste en cheveux. Sans doute M. Vollon a tenté là quelque étude bizarre, quelque tour de science de coloriste, comme une gamme de noirs. Jeux imprudents, même pour le maître dont on reconnaît, dans cette œuvre incomplète, la main puissante.

Qu’est-ce que ce portrait d’une facture si étudiée? Je reconnais cette physionomie mélancolieuse et distinguée. C’est M. Octave Feuillet, de l’Académie française, le Musset des tables de thé, le romancier des gens comme il faut, que l’Europe nous envie. Il a trouvé dans ce peintre très-parisien, M. Alphonse Hirsch, un aimable et discret interprète. Mais M. Hirsch a mis, et cela se conçoit, bien autrement de verve et d’entrain à nous reproduire les traits de cette blonde et jolie jeune fille, svelte et pimpante en son blanc costume de voyage, partant radieuse pour le tour des Alpes ou la jetée de Trouville. Le Portrait de Mlle C. nous semble l’œuvre la mieux réussie, jusqu’ à ce jour, de M. Hirsch. Avec nous le jury l’a décidé, et nous ne lui en ferons point un crime.

Et nous ne saurions mieux finir notre rapide revue des portraits que par une dévotion devant les toiles de Ribot. Dévotion, le mot est venu tout seul. Il y a deux ans, nous l’abominions presque, M. Ribot, comme un talent déraillé. Nous voyions en lui, non un maître, mais un maniériste seulement, et d’une bien agaçante et bien désagréable manière. L’an dernier, M. Ribot eut, l’on s’en souvient, un Salon merveilleux, et de bon cœur nous lui fîmes amende honorable. Aujourd’hui, vaincu et ravi, nous voilà tout prêt à chanter son hosannah, s’il prend pour ne la plus quitter la bonne habitude d’avoir du génie.

Car cette Mère Marrien et cette Comptabilité sont œuvres de génie, la Mère Marrien surtout, la plus sincère et la plus trouvée des deux. Cherchez bien au Louvre ou ailleurs, dans les écoles flamande ou espagnole, ou allemande ou hollandaise, si fécondes en études de ce genre, et vous n’y trouverez point un type supérieur à celui-là. Quiconque possède un peu son Louvre n’oubliera sa vie durant la fameuse vieille du germanique Denner, le nec plus ultrà du réalisme, si minutieux, qu’il en est servile, et plus d’un critique, en lisant Ribot, s’est justement rappelé Denner.

Mais encore, quelle différence! Denner est un excentrique patient, un ancêtre de la statistique. Il relate en un procès-verbal impitoyable, il pointe en quelque sorte, comme s’il était le famulus d’un Faust micrographe, les rides, les verrues, les décharnements, acharnements et autres menus agréments de la féminine vieillesse. Ribot est un poète. Il ne reconstruit pas, il crée. Dédaigneux de l’infinitésimal, il sculpte à grands traits. Sa Mère Marrien, une paysanne arlésienne, à en juger par son bonnet noir et blanc, d’un si heureux effet, n’est pas le rendu méticuleux d’un phénomène particulier. C’est le portrait superbe d’une individualité choisie, c’est un type. A cet œil, saillant et vitreux, d’un éclat si étrange et froid; à cette bouche muette et serrée, vous reconnaissez incontinent la ruse inquiète et méfiante de notre gent rustique, si faible encore par l’ignorance, si armée par l’instinct. Et n’oubliez pas que l’artiste, naguère si amoureux et même fanatique des sombres aspects, a jeté son sujet en pleine lumière. Comme tant d’autres avares, moins excusables, il s’est improvisé prodigue. Il a rattrapé le temps perdu. All’right!

Plus chargée, plus noire est la Comptabilité. Mais le sujet cette fois y prête si bien! Horrible sous son gros voile noir, dans la robe de bure noire qui dessine des formes tombantes et avachies, braquant sur son coffre à tabac ses formidables lunettes, trempant une énorme plume d’oie dans un pot vert au fond duquel barbotte un peu de cirage délayé, griffonnant sur un papier sale un tas de chiffres de sa main griffue, couvant du coin de son œil fauve ce tas de monnaie crasseuse, là tout près, bien près, sur un escabeau, sordide et poilue, qu’est-ce que cette sorcière-là ? Comptabilité, c’est un nom d’emprunt, un pseudonyme légal. L’usure, voilà le nom vrai. Nous avons connu, nous centième, une vendeuse d’argent qui ressemblait à celle-là comme deux gros sous. Sur sa porte on lisait: fabrique de boutons de roses. On traversait une pièce triste et nue, où travaillaient sur un établi malpropre des jeunes filles blondes. Et puis, anxieux, on pénétrait dans l’antre... Dites donc, mère Machine, est-ce point vous qui auriez posé pour M. Ribot? Bien cher il vous aura payé l’heure, à moins que l’orgueil de passer sûrement à la postérité... Dame! elle aimait le théâtre, cette femme!

Voyage au pays des peintres

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