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Genèse du sentiment esthétique inspiré par les animaux Enquête sur l’enfant

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Il est bien entendu, n’est-ce pas? qu’en prononçant, jusqu’ici, les mots de beauté, de laideur, nous avons fait une anticipation. Anticipation! nécessaire, à la vérité, puisqu’il faut bien parler la langue de chacun, mais qu’il est à propos, maintenant, de d’énoncer comme une nécessité périlleuse.

En effet, déclarer du premier coup telle forme animale «belle», ou «laide», n’est-ce point demander crédit à l’opinion?

En soi, cette forme est tout au plus qualifiable d’harmonieuse, ou de discordante; même, pour la juger de raison avant que le sentiment ne s’en mêle, il faudrait des épithètes plus objectives encore que celles-là, plus dégagées du sentiment intime.

Car il en est du beau comme de la lumière: ces deux mots sont des «trompe-l’œil», die vrais mirages d’unité. Vous dites couramment: «bonne lumière, mauvaise lumière ». Mais prenez-vous garde que c’est votre œil dont vous traduisez ainsi l’impression? En soi, la lumière est un pur mouvement vibratoire, une sorte de courant qui traverse l’espace, venant d’une source enflammée, et si ténu, qu’il reste, en tant que mouvement, invisible. Ce n’est donc pas la lumière que vous deviez dire, mais l’agent lumineux. Cet agent, procédant par contact, — produit toutes espèces d’effets sur les pierres, les herbes, même nos épidermes; effets qui ne sont pas encore «la lumière» ; il fait détonner un mélange d’hydrogène et de chlore; il décolore l’étamine rouge ou bleue des drapeaux; il «impressionne» le papier photographique; son degré fort ou faible modère plus ou moins l’essor des tiges végétales, sert de frein à la montée de sève; enfin, chez les êtres qui déjà possèdent des yeux, cet agent prématurément nommé «la lumière» accomplit, avant de donner à ces yeux la fête du clair-obscur et du coloris, bien d’autres tâches: il dilate ou resserre les glandes chromatogènes du poulpe, du caméléon, faisant ainsi paraître ou disparaître à volonté les taches de pigment, assurant à l’organisme qu’il doue de la faculté de voir, le privilège, plus essentiel à sa vie, de n’être pas vu. Nous-mêmes, qui projetons notre sensation lumineuse au-dehors, et la matérialisons, pour ainsi dire, dans un rayon — nous vient-il en tête que c’est un seul agent qui, traversant ce trou, la pupille, nous illumine d’un si magique tableau, tandis qu’effleurant l’épiderme aveugle, à l’entour, il se borne à foncer le teint?

Aussi devrait-on distinguer plus soigneusement, en Optique, la sensation lumineuse — de l’agent lumineux: celui-ci constant, partout répandu, se passant de la présence des êtres; — celle-là changeante, localisée, dépendant du monde extérieur.

Or, un départ tout analogue s’impose en notre Esthétique; car, ici encore, l’homme a pris l’habitude de projeter ses sensations hors de lui, de manière à confondre, en toute occasion, les qualités des corps avec ses propres états d’âme: comme il voit et ne se sent pas voir, qu’il entend sans s’écouter entendre, son labeur personnel dans la contemplation des objets passe inaperçu de lui-même; au point qu’il ne vante, ni n’incrimine son regard, son tact, ou son ouïe, et reporte sur la Nature impassible le fort et le faible de sa propre nature humaine. De là naît l’illusion que le beau est quelque chose d’inhérent à l’être, à l’objet, qui fait corps avec lui, dont nous autres, placés autour, recueillons l’essence volatile, recevant tout, et ne donnant rien, et prenant, enfin, le plaisir comme on cueille un fruit sur un arbre...

Or l’arbre, en réalité, est en nous: le paradis terrestre où pousse cette essence fructifère du Bien et du Mal..., — du Beau et du Laid, veux-je dire, c’est nous-mêmes. En face du pouvoir de créer, se dresse une puissance de sentir, et notre goût humain vient à son heure, pour servir de complément au génie divin. Ce goût pourrait être défini: la faculté de transformer les qualités des choses en sensations de plaisir, — leurs défauts, en sensations d’ennui. C’est une Optique continuée; car déjà la pupille, se réglant sur le degré de lumière, s’ouvre à regret — ou largement — pour saisir cette lumière, ou la repousser; elle réagit. — Et le sens esthétique, aussi, réagit, blessé, — par l’aversion, la blessure; caressé, — par l’amour, la caresse. Or, voyez comme le parallélisme est fidèle: j’ai dit que l’agent lumineux accomplissait toutes espèces de tâches dans l’Univers, en dehors de sa mission éclairante: il fond, il transforme, il détruit, il refrène les croissances trop vives. Eh bien! l’être ou l’objet que vous nommez beau, qui, dans cet instant, vous charme ou vous fascine, — il fuit, avant vous, — après vous il sera, pour d’autres que pour vous, — que dis-je?... pour vous-même, objet de recherche pratique, ou bien d’enquête scientifique. Puisque nous en sommes à la faune, le cheval peut être cité, ce compagnon de tâche indispensable, et ce chef-d’ œuvre de sculpture naturelle; le cheval, dont les noms multiples accusent la variété de rôles; étalon des haras, dextrier des joutes et des batailles, haquenée pour mener à l’amble les nobles dames de jadis, trotteur pour l’attelage, limonier pour le gros charroi, bête de labour ou de manège agricole, que sais-je? — et, dans le même instant, pour les poëtes, Pégase ou Rossinante.

Ainsi l’Oiseau qui nous arrête, rêveurs, à son plumage, son vol, ou son chant, est le point de mire, aussi du chasseur, ou du naturaliste; cette fois, pour figurer à table, ou sous les vitres d’un musée; et lui-même, en cet instant ou moi, je l’admire comme œuvre d’art, il joue, tout ingénu, son rôle d’être, de vivant, qui ne vole pas pour nous montrer son adresse, mais pour chasser, ne lisse pas ses plumes par coquetterie, mais par prévoyance, — réalise enfin ce tour de force d’être poëtique, en vaquant aux tâches de vie les plus positives.

Par là se peut démêler la part, si mail connue, de l’homme en les phénomènes du beau: quand il se croit spectateur passif, il collabore au jeu de scène; et l’activité sympathique qu’il prête tout entière au monde ouvert devant ses yeux, est — au moins pour une moitié, sortie de son imagination personnelle, de sa sympathie. En attendant le regard d’une intelligence, le beau. le laid vivent, si l’on veut; mais vivent d’une existence virtuelle; ils sont «en puissance» et pour se réaliser, être littéralement le «beau» — ou le laid, il leur faut cette force de dégagement: l’âme humaine. Ainsi l’énergie lumineuse ne devient lumière que dans un œil.

Histoire esthétique de la nature

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