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LES LETTRES

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Dès notre arrivée chez les Bonnechose, à Saint-Germain, nous les trouvâmes très agités, le teint gris, le regard ailleurs. Ce sont des gens inquiets par nature. Tout leur est souci. Chez eux, on vit dans l'angoisse. C'est l'air de la maison. A peine les eûmes-nous interrogés sur leur crainte du moment, qu'ils se débridèrent.

Ils avaient mis à la disposition de leurs enfants—leur fille et son mari, l'usinier Gaston Bréau—leur chauffeur et leur auto pour un petit raid à la mer. Dieppe et retour en trois jours. Les Bréau étaient partis la veille. Et, naturellement, les Bonnechose appréhendaient mille catastrophes.

Un fait indéniable justifiait en partie leur inquiétude: Laferme, le chauffeur, n'avait pas de chance. Non pas qu'il fût animé de mauvaises intentions, ce garçon. Mais il avait la guigne. Il lui tombait des tas d'anicroches qui eussent épargné le voisin. L'homme qui écrase un chien de dix louis en voulant éviter une poule de cinquante sous. Le mécanicien soigneux qui n'oublie pas une goupille de rechange mais qui reste en panne d'essence. Les Bonnechose n'arrivaient à conjurer le mauvais sort qu'à force de recommandations et de prudence. Et, malgré tout, que de petites indemnités, que de menues contraventions! Ah! leurs enfants ne s'en tireraient pas sans accroc...

Je leur représentai que Bréau et sa femme étaient également gens avisés et sages. Eux aussi parviendraient à neutraliser la déveine. Ah! bien oui. Autant vouloir persuader des murailles. Non, non, les Bonnechose n'étaient pas tranquilles. Ils ne voulaient pas être tranquilles.

Nous nous regardâmes, piteux. Nous devions villégiaturer quelques jours chez les Bonnechose. Le séjour ne serait pas jovial. Nous allions vivre, jusqu'au retour des Bréau, dans l'alerte et le sursaut, dans une atmosphère de cylindre en action, tour à tour oppressante, explosive et détendue.

Dans l'après-midi, on apporta une dépêche à nos hôtes. Leurs doigts tremblèrent sur le papier bleu. Peut-être ce pli annonçait-il un drame? Personne ne respirait plus.

Puis les visages s'éclairèrent: «Bien arrivés», disait le télégramme de Dieppe. Nous goûtâmes une courte allégresse. Hélas! déjà les Bonnechose s'alarmaient. Bien arrivés, soit. Mais le retour? Et l'on vécut dans l'attente jusqu'au lendemain. Or, ce lendemain devait nous apporter une surprise terrible.

Au courrier du matin, deux lettres arrivèrent au nom de Gaston Bréau. Pendant l'été, en effet, les deux ménages faisaient maison commune à Saint-Germain, et Mme Bonnechose triait elle-même la correspondance. Or, jugez de son émoi à la vue des en-tête imprimés sur les deux enveloppes: Mairie de Mesnières (Seine-Inférieure), disait l'une; Mairie de Mesnerettes (Seine-Inférieure), disait l'autre.

Mesnières, Mesnerettes? On se précipita sur la carte. C'étaient deux localités voisines, entre Neufchâtel et Dieppe, sur la route que se proposaient de suivre les Bréau. D'abord, allant à l'extrême, Mme Bonnechose s'écria qu'il s'agissait d'un accident. Je la rassurai. Ses enfants n'avaient-ils pas télégraphié qu'ils étaient bien arrivés à Dieppe?

Mais l'excellente dame avait l'inquiétude abondante et subtile. S'il n'y avait pas eu accident, il y avait eu au moins contraventions. Excès de vitesse, excès de fumée. Ce Laferme n'en faisait jamais d'autres. Et, vraiment, c'était magnifique, ce coup double, dans deux villages voisins. Ah! cela promettait!

J'essayai encore de convaincre nos amis que ces avertissements doivent émaner du Parquet ou de la justice de paix, et surtout qu'ils ne sont pas si rapides. Mais, cette fois, j'échouai totalement. On me rétorqua qu'un garde champêtre pouvait fort bien mander ses décisions au délinquant sur du papier à en-tête de la mairie, sans préjudice des notifications à venir.

Et comme, respectueux du secret des lettres, nous avions tacitement convenu de ne point toucher aux fatales enveloppes, nous continuâmes de vivre parmi les doléances. On en respirait, on en mangeait...

Mais la journée nous réservait d'autres vicissitudes. Au courrier de deux heures, six lettres, vous entendez, six lettres officielles arrivèrent ensemble, toujours au nom de Gaston Bréau! Ce fut terrible.

Que pouvaient donc lui vouloir les maires de Burettes, Osmoy, Epinay, Freuleville, Meulers, Saint-Vaast d'Equiqueville?

Derechef, on se précipita sur la carte. Les six villages jalonnaient encore à la file la route de Dieppe et succédaient à ceux du matin... Alors, quoi, partout, Laferme faisait des siennes? Il laissait derrière lui une traînée de scandale, un sillage de contraventions?

Ce que fut le restant de la journée, je vous le laisse à penser. Jamais on ne dut distiller tant de bile dans une même maison. Ah! comme villégiature, c'était réussi. On remuait toutes les conjectures, des plus absurdes aux plus plausibles. Incapables d'en trouver une qui nous satisfît pleinement, nous nous laissions entamer par l'inquiétude. Et nous vivions tous dans l'impatience frénétique du retour, qui nous livrerait la clef de l'énigme.

Enfin, les Bréau rentrèrent. De loin, nous reconnûmes leurs appels de trompe. On se précipita à la grille. Avant que l'auto ne fût rentrée, on se rua sur les arrivants. Les questions éclataient en salve:

—Eh bien! que s'est-il passé? Que vous est-il arrivé? Huit lettres envoyées par des mairies? Accident? Contravention?

Les Bréau éclatèrent de rire:

—Ah! c'est ce pauvre Laferme qui a perdu sa valise. Il l'avait encore à Neufchâtel. Il ne l'avait plus à Dieppe. Alors nous avons écrit le soir même, avec un timbre pour réponse, à tous les villages intermédiaires.

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