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PLAISIRS D'AUTO

LES PNEUS

Table des matières

Blottis côte à côte au creux de la limousine, ils partent pour les lacs italiens, après un mois de mariage. Car ces amoureux sont mariés. Excusez-les. C'est tellement mal porté, des mariés qui s'aiment! C'en est presque inconvenant. Mais il faut les prendre comme ils sont. Ils sont heureux.

O la joie de s'envoler librement, de n'être plus prisonnier du rail, esclave de l'heure, de rouler dans ce boudoir tiède, intime, parfumé, d'emporter son home avec soi!

Faut-il vous les présenter? A quoi bon? Ils se voient parfaits. Ne les détrompons pas. Elle a vingt ans. Il en a trente. Et c'est un couple d'amants qui filent à soixante à l'heure.

Ils viennent d'échapper aux routes écorchées, aux lèpres de la banlieue. La forêt de Sénart les accueille. C'est l'automne. Mais un automne perlé, qui veut qu'on le regrette, mélancolique et charmant comme le geste d'adieu d'une jolie femme.

Pan! Un coup de pistolet claque derrière la voiture. Elle s'arrête. Hein? Quoi? Qu'est-ce? Une attaque? Voilà justement l'endroit où le fameux Courrier de Lyon... Mais non. Un simple éclatement de pneu. A la roue arrière droite. Déjà le mécanicien ouvre les coffres, jette sur la route les leviers, le cric, la pompe, la chambre neuve.

—Combien de temps? interroge Monsieur.

—Vingt bonnes minutes.

Juste assez pour pousser une pointe sous bois. Qu'en dit Madame? Madame bat des mains. Fameuse idée. Et les voilà partis à travers la futaie de platanes et d'érables. Dans l'herbe fine, les premières feuilles mortes craquent sous leurs pieds. Elles ont le ton, elles font le bruit de ces gâteaux légers que les enfants appellent du plaisir ou des oublies. Les arbres jettent les uns vers les autres leurs branches éplorées qui se mêlent et s'étreignent comme des bras d'amants. Toute la forêt n'est qu'un enlacement. Elle semble murmurer, dans le calme et la solitude propices: «Faites comme moi: ne soyez qu'une caresse». Et les feuilles piquées dans l'herbe murmurent aussi: «Nous sommes l'oublie et le plaisir. Venez à nous.» Mais comment donc!...

Quand ils débouchent vivement sur la route, pressés par la crainte du retard, le mécanicien n'a même pas achevé de regonfler son pneu. Il donne les derniers coups de pompe.

En route! Légèrement alanguis, la main dans la main, ils goûtent les délices de la vitesse. Ils se reposent d'une volupté dans une autre. Les paysages raient les glaces: plaines de la Brie, maisons de Melun. Puis, de nouveau, la route coule entre deux hautes rives boisées. C'est la forêt de Fontainebleau.

Mais à peine la voiture s'y est-elle engagée qu'elle décrit une brusque embardée, se redresse et stoppe en douceur. Encore un pneu qui vient de rendre l'âme! La roue avant droite. Monsieur commence à s'inquiéter. Serait-ce la guigne! Va-t-on éclater ainsi tous les vingt kilomètres, c'est-à-dire toutes les vingt minutes? Le mécanicien, qui souque sur son levier, bougonne:

—Parbleu. C'est des chambres réparées. Ça ne tient jamais comme des neuves.

Monsieur n'est pas grand clerc en automobile. Il se renseigne:

—Alors, avec des chambres neuves?

—Ah, dame! Y a moins de chance de crever.

Voilà une bonne parole. Et puis, personne ne les attend, après tout. Et il y a des haltes exquises, n'est-ce pas? Son regard croise celui de Madame. Ils se sont compris. La forêt leur fait des petits signes.

Cette fois, ce sont des chênes, encore verts et feuillus, qui les enveloppent de l'immobile enlacement de leurs branches. C'est de la mousse qui déroule sous leurs pieds son tapis touffu. Même, de petits buissons se dressent en écran, pour les mieux isoler du monde. Le moyen, je vous prie, de résister à tant d'invites?

Lorsqu'ils reparaissent à l'orée du bois, Madame souriante et Monsieur recueilli, le mécanicien vient juste d'achever sa besogne. Il range ses outils dans les coffres. Peut-être a-t-il travaillé plus vite? A moins que...

Entre ses paupières appesanties, Monsieur perçoit dans un brouillard le château de Fontainebleau, la célèbre Cour des Adieux, l'escalier en fer à cheval. Il a pour l'Obélisque un regard noyé. Puis la voiture, impatiente d'avoir trépidé sur le pavé du Grand Roi, s'élance de toute son ardeur dans la vaste brèche ouverte par la route de Moret.

Pan! Encore un coup de pistolet. Encore un pneu crevé. L'arrière gauche cette fois. Ah! mais... Ah! mais... Monsieur ne cache plus son ennui. Vraiment, éclater tous les quinze kilomètres, c'est trop.

Le mécanicien est furieux aussi. Accroupi devant sa roue:

—Encore une chambre réparée. Quand je disais que ça ne tenait pas... Saleté de fourbi, va!

Quant à Madame, elle est ravie. Ces arrêts forcés l'enchantent. Parbleu! Et, ingénue, coulant sous ses cils baissés un regard vers le bois qui borde la route:

—Tiens, ce sont des sapins, cette fois...

L'allusion est transparente. O terrible candeur! Elle ne sait pas qu'il est des limites aux forces humaines, et qu'au moins un temps moral est nécessaire à les récupérer. Comme c'est court, quinze kilomètres en auto. Redoutable ignorance! Elle croit qu'on peut s'égarer en forêt chaque fois qu'un pneu éclate, aussi aisément que le mécanicien regonfle une chambre neuve. Que diable, si l'on crevait six fois! Enfin, il s'agit de faire galante mine.

Ce sont des sapins, en effet. Des sapins toujours verts. Heureux arbres... Et, sur le sol, les aiguilles sèches ont tissé une natte épaisse et douce où, dès les premiers pas, le pied glisse...

Quand Madame saute sur la route, devançant Monsieur de quelques pas, le mécanicien, assis au volant, la casquette sur le nez, la cigarette sous la moustache, lit tranquillement son journal. Il attend. Parbleu! Ce n'est pas héroïque, de donner trois cents coups de pompe dans un pneu... Il y a plus difficile...

Et tandis que Madame escalade le marchepied, Monsieur s'approche du mécanicien et, d'une voix faussement détachée:

—Dites moi, nous avons bien partout des chambres neuves, maintenant?

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