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EXCELLENTES RÉFÉRENCES

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Table des matières

—Nous faisons du soixante-seize! s'écria joyeusement Dinval, assis à côté du mécanicien.

Tout en glissant sa montre au gousset, il se tournait vers les siens, installés au fond du phaéton. Sa femme et sa fille, presque pareilles sous leurs cheveux blonds, souriaient doucement, alanguies et séduites par la vitesse. Et son petit-fils, Claude, un exquis bambin de sept ans, battait des mains et lançait de grands cris d'alouette ivre d'espace.

Conquis depuis peu par l'automobile, l'usinier Dinval sortait pour la première fois dans sa voiture. Il se proposait de gagner Royan par la route. Le voyage s'annonçait bien. On avait royalement déjeuné à Chartres. Et maintenant, on roulait en Beauce. L'air bleu et chaud tremblait sur les moissons mûres. Et nul être vivant n'animait ce fertile désert.

A côté de Dinval, le mécanicien Edmond murmura quelques mots indécis, que le vent de la course emporta. Cela semblait une manie, chez lui, de parler seul. Il était taciturne, l'œil ténébreux, le profil renfrogné, noir d'une barbe rasée pourtant du matin. D'ailleurs, il paraissait d'une prudente habileté, à en juger par sa traversée et sa sortie de Paris. Et Dinval ne lui en demandait pas davantage. Au surplus, il le tenait de l'agence qui lui avait vendu sa voiture et qui le lui avait fermement conseillé. Edmond possédait les meilleures références.

Il parlait, cette fois, à voix plus haute:

—Y a un cylindre qui ne donne plus.

Dinval ne connaissait rien, mais littéralement rien à l'automobile. Le souci de ses affaires l'avait jusqu'alors absorbé, et à peine était-il monté une demi-douzaine de fois dans une voiture de tourisme, sans prêter la moindre attention au mécanisme. Aussi s'inclina-t-il devant le diagnostic de son mécanicien, tout en s'en étonnant, car le phaéton conservait sa splendide allure. Edmond, cependant, donnait des signes d'inquiétude. Tout à coup, relevant la tête, il s'écria:

—Zut! deux gendarmes.

La route, toute droite, était absolument vide... Dinval sentit un frisson glacé lui couler dans le dos. Son chauffeur avait-il une hallucination? Ou lui-même n'y voyait-il plus clair? Il demanda:

—Où donc?

—Là, devant nous. A cheval. Ils vont dans le même sens que nous.

Une indicible angoisse envahit Dinval. Son mécanicien devenait fou! Ils étaient, lui et les siens, à la merci de cet homme... Et il se savait incapable d'arrêter lui-même la voiture. Que faire?...

Edmond se portait sur sa gauche, puis se redressait. Il ricana:

—Ah! ah! Nous les avons dépassés. Ils n'ont rien dit? Ils ne font pas de signes?

Il ne faut pas contrarier les fous:

—Non, non, dit Dinval.

Sa terreur grandissait. Le copieux déjeuner, l'ardent soleil avaient-ils provoqué la crise? Non. Edmond devait la couver depuis longtemps. Peut-être même y était-il sujet. Et songer que l'on remet sa vie à ces gens sans rien connaître d'eux, de leur passé! Le mécanicien parlait dans le vent, d'une voix saccadée. Dinval, espérant encore une rémission, un retour au bon sens, tendait l'oreille.

—Ah! une charrette de foin qui va déboucher, maintenant. Sale engeance! Ça se met en travers. Ça recule. Rien à faire. On veut l'éviter. On va dans le fossé. On se retourne. Tous tués, massacrés. Et pas moyen de ralentir, à cause des gendarmes. Ils galopent, hein? Ils nous poursuivent?

Aucune voiture n'apparaissait dans le désert des champs. Dinval ne répondit pas. Il étouffait d'horreur. Il avait vaguement entendu parler de ce délire de la persécution qui marque le début de la paralysie générale. Un fou, un vrai fou les conduisait! Et ces deux femmes qui continuaient de sourire, dans la quiétude, caressées par le souffle de la course... Et ce petit Claude, qui applaudissait à la vitesse! S'ils pouvaient au moins ignorer quelques instants encore l'horrible situation. Mais Edmond lançait des appels de trompe désespérés. Mme Dinval, voyant la route libre, demanda:

—Qu'est-ce qu'il y a?

L'usinier se retourna. Sans doute sa pâleur trahit son effroi. Les deux femmes se levèrent à demi. Elles allaient crier, affoler plus encore le mécanicien. Dinval se décida. D'un doigt, il se toucha le front en désignant Edmond du regard. Et de l'autre main, il commandait impérieusement le calme. Vains efforts, fausse tactique. Un double hurlement d'épouvante lui répondit:

—Dis-lui d'arrêter!... Arrête-le!...

Le chauffeur entendit les derniers mots. Il baissa la tête:

—M'arrêter? Les gendarmes veulent m'arrêter? Ah! là là! Ce que je vais les semer!

Et il accéléra l'allure. Par miracle, il gardait toute sa sûreté de main. L'instinct professionnel surnageait, intact, dans la débâcle de son cerveau. Et Dinval tremblait que cette dernière lueur ne s'éteignît. Aussi exhortait-il ses compagnes au silence. Mais elles ne l'écoutaient pas. Debout, sa femme criait:

—Au secours! au secours!

Et sa voix se perdait dans la solitude des campagnes.

Sa fille étreignait le petit Claude, qui pleurait sans comprendre.

—Arrête! arrête! suppliait-elle.

S'il avait pu, s'il avait su... Il cherchait, le cerveau en fièvre. Appuyer sur l'une des pédales? Mais laquelle? Il croyait savoir qu'une pression exercée sur l'une d'elles accélérait même la marche. Pousser l'un des leviers? Mais lequel encore? Et puis, pour toutes ces manœuvres, il eût fallu faire violence au mécanicien, chasser son pied ou se pencher sur lui, entrer en lutte, risquer le faux mouvement qui les eût jetés au fossé à quatre-vingts à l'heure, provoquer l'exaspération totale qui eût fait perdre au chauffeur sa lucidité dernière...

Ou encore percer le réservoir d'essence, atteindre un organe vital sous le capot, couper un fil, une tuyauterie sous le plancher? Mais d'abord il ignorait tout de l'anatomie de sa voiture. Et, toujours, ces recherches, ces tentatives eussent achevé d'irriter le fou, jaloux de conserver sa vitesse, d'échapper aux gendarmes imaginaires...

Courbé sur son volant, effroyable à voir, Edmond murmurait:

—Ils ne m'auront pas, ils ne m'auront pas!...

Un cri de Mme Dinval fit faire volte-face à l'usinier: sa fille tentait d'ouvrir la portière, de sauter en pleine marche... A grand'peine il parvint à la retenir, lui jurant qu'il avait trouvé le moyen d'en finir.

En réalité, il hésitait encore. Dans sa poche, sa main se crispait sur le revolver qu'il avait emporté pour la marche la nuit. Tirerait-il simplement sur les pneus? Mais on assurait qu'un brusque éclatement, à de telles allures, entraînait l'embardée fatale. Allait-il, son arme à la tête du forcené, le sommer de s'arrêter sous peine de mort? Mais son geste irait peut-être à rencontre du but: Edmond, terrifié, était capable de donner un faux coup de volant. En tout cas, il ne pouvait pas exécuter sa menace, car, le fou supprimé, la voiture continuerait sa marche, et, cette fois, sans conducteur...

Et, soudain, une inspiration le traversa. Il se retourna, debout, et tira par deux fois en l'air. Puis, d'une voix qu'il s'efforçait de rendre triomphante:

—Bravo, j'ai abattu les deux gendarmes!

Fut-ce la commotion? Le fou crut-il à la mort de ses ennemis? Hébété, comme un homme soudain sorti de l'ivresse, il freina machinalement. Et, avant même que la voiture fût arrêtée, tous quatre s'en évadèrent, s'en éloignèrent à toutes jambes, les bras en avant, comme en ces catastrophes de chemin de fer, où les survivants fuient, dès le choc, le lieu du sinistre et s'essaiment dans la campagne...

Plaisirs d'auto

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