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IV

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29 décembre 1859.

Mon cher Baille,

Je t'écris à Aix, pensant que tu seras allé passer tes vacances de Noël dans ta chère patrie.

Je ne me plains pas de ton long silence: je sais que tu travailles comme un malheureux. Seulement ne m'oublie pas tout à fait.

J'ai fort peu de choses à te dire. Je ne sors presque pas et je vis dans Paris comme si j'étais à la campagne. Je suis dans une chambre retirée, je n'entends pas le bruit des voitures et, si je n'apercevais dans le lointain la flèche du Val-de-Grâce, je pourrais me croire encore à Aix. Nous avons eu ici un froid excessif, quelque chose comme 15°. Une malheureuse fauvette est venue tomber sur la neige, devant ma porte. Je l'ai prise et je l'ai portée devant le feu; la pauvrette a ouvert un instant les yeux, je l'ai sentie palpiter dans mes mains, puis elle est morte. J'en ai presque pleuré; toi qui m'appelais l'ami des bêtes, tu comprendras peut-être cela.

Je ne vois personne et les soirées me paraissent bien longues. Je fume beaucoup, je lis beaucoup et j'écris fort peu. J'ai cependant achevé les Grisettes de Provence; j'ai ressenti comme un certain plaisir en racontant ces folies. Mais je suis loin d'être content de mon œuvre: la matière était excessivement pénible; les événements couraient les uns après les autres, il n'y avait pas de nœud, pas de dénouement. De plus, cela manquait de dignité et de moralité; nos rôles étaient aussi bien loin d'être des rôles de héros de roman. Je me suis donc contenté de dire les faits tels qu'ils se sont passés, faisant le plus court possible, retranchant certains détails inutiles et n'altérant pas la vérité que pour les événements tout à fait insignifiants. J'ai composé ainsi une espèce de nouvelle d'un intérêt médiocre pour les indifférents; tu comprends qu'il ne sera pas facile de placer cela, mais cependant je ne désespère pas. Je vais m'en occuper et, dès que cela paraîtra, je t'en préviendrai.

Tu vas voir Cézanne ces jours-ci. Je ne souhaite qu'une chose, c'est que vous puissiez oublier un instant ensemble le temps si long quelquefois à s'écouler. Si tu vois l'Aérienne, souris-lui de ma part. Tu vas sans doute te mêler un peu à la jeunesse dorée—De Julienne, Seymard, Marguery, etc. S'ils te racontent quelques nouveaux événements, je te prie de me les narrer à ton loisir. Tu as sans doute appris que Marguery est un des rédacteurs de la Provence; je l'engage à lire son dernier feuilleton où il plaide en faveur du réalisme, où il rend l'amour ridicule et fait triompher la coquetterie: tu me diras ton avis sur ce petit roman qui d'ailleurs a certains mérites.

Puisque nous parlons feuilleton, je te dirai que j'en ai envoyé un à la Provence. C'est un conte de fée: La Fée Amoureuse[1]. C'est un long rêve poétique, une ronde joyeuse que j'ai vu passer dans mon foyer. Mais les quelques lignes qui vont paraître ne sont en quelque sorte qu'un canevas. Je veux parler plus longuement de ma belle Sylphide, je veux en faire une véritable création. Je vais entreprendre un volume de nouvelles, et ce conte qui n'occupe maintenant que quelques colonnes, occupera la moitié du livre. Je changerai tous les personnages, excepté la fée; je démontrerai qu'il est un dieu pour les amants, et que ni l'enfer, ni les hommes, ni les prêtres avec leur mauvaise doctrine, ne peuvent détruire un amour pur. Tu ne comprendras bien ce que je veux dire que lorsque tu auras lu mon conte; si je le fais paraître, c'est que, voulant en changer complètement la forme dans celui que je veux faire prochainement, je ne suis pas fâché de le faire connaître tel qu'il s'est d'abord présenté à mon esprit. Je te serais reconnaissant, quand tu l'auras lu, si tu m'indiquais dans une courte appréciation ce qui te semble bon, et ce qui te semble mauvais: je conserverai alors ce qui serait à conserver.—Peut-être a-t-il paru jeudi dernier.

Je t'ai déjà dit que je ne me plaignais pas de ton long silence. Cependant voici un mois que je t'ai écrit et je n'ai pas encore reçu de réponse; tu as beau avoir du travail, cela ne saurait t'empêcher de m'écrire. Si tu étais un enfant, s'il te fallait des heures pour écrire une lettre, je comprendrais cela. Mais dans un quart d'heure tu peux me contenter, tu vois donc que tu es un peu coupable.

Tu m'as bien promis de venir l'année prochaine à Paris, et je compte sur toi; je te verrais au moins deux fois par semaine et cela me distraira un peu. Si ce diable de Cézanne pouvait venir, nous prendrions une petite chambre à deux et nous mènerions une vie de bohèmes. Au moins nous aurions passé notre jeunesse, tandis que nous croupissons l'un et l'autre. Dis-lui (à Cézanne) que je lui répondrai un de ces jours.

Mes respects à tes parents. Je te serre la main.

Ton ami dévoué,

Émile Zola.

Correspondance: Lettres de jeunesse

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