Читать книгу L'étourdi - Molière Jean Baptiste Poquelin, Жан-Батист Поклен Мольер, Мольер (Жан-Батист Поклен) - Страница 14

Jean Baptiste Poquelin
Molière
ACTE II

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Scène première

Lélie, Mascarille.

Mascarille

A vos désirs enfin il a fallu se rendre :

Malgré tous mes serments, je n’ai pu m’en défendre,

Et pour vos intérêts, que je voulais laisser,

En de nouveaux périls viens de m’embarrasser.

Je suis ainsi facile ; et si de Mascarille

Madame la nature avait fait une fille,

Je vous laisse à penser ce que ç’aurait été.

Toutefois n’allez pas, sur cette sûreté,

Donner de vos revers au projet que je tente,

Me faire une bévue, et rompre mon attente.

Auprès d’Anselme encor nous vous excuserons,

Pour en pouvoir tirer ce que nous désirons ;

Mais si dorénavant votre imprudence éclate,

Adieu, vous dis, mes soins pour l’objet qui vous flatte.


Lélie

Non, je serai prudent, te dis-je, ne crains rien :

Tu verras seulement…


Mascarille

Souvenez-vous-en bien ;

J’ai commencé pour vous un hardi stratagème.

Votre père fait voir une paresse extrême

A rendre par sa mort tous vos désirs contents

Je viens de le tuer (de parole, j’entends) :

Je fais courir le bruit que d’une apoplexie

Le bonhomme surpris a quitté cette vie.

Mais avant, pour pouvoir mieux feindre ce trépas,

J’ai fait que vers sa grange il a porté ses pas ;

On est venu lui dire, et par mon artifice,

Que les ouvriers qui sont après son édifice,

Parmi les fondements qu’ils en jettent encor,

Avaient fait par hasard rencontre d’un trésor.

Il a volé d’abord ; et comme à la campagne

Tout son monde à présent, hors nous deux, l’accompagne,

Dans l’esprit d’un chacun je le tue aujourd’hui,

Et produis un fantôme enseveli pour lui.

Jouez bien votre rôle ; et pour mon personnage,

Si vous apercevez que j’y manque d’un mot,

Dites absolument que je ne suis qu’un sot.


Scène II

Lélie.

Lélie

Son esprit, il est vrai, trouve une étrange voie

Pour adresser mes voeux au comble de leur joie ;

Mais quand d’un bel objet on est bien amoureux,

Que ne ferait-on pas pour devenir heureux ?

Si l’amour est au crime une assez belle excuse,

Il en peut bien servir à la petite ruse

Que sa flamme aujourd’hui me force d’approuver,

Par la douceur du bien qui m’en doit arriver.

Juste ciel ! qu’ils sont prompts ! Je les vois en parole[6].

Allons nous préparer à jouer notre rôle.


Scène III

Anselme, Mascarille.

Mascarille

La nouvelle a sujet de vous surprendre fort.


Anselme

Etre mort de la sorte !


Mascarille

Il a certes, grand tort :

Je lui sais mauvais gré d’une telle incartade.


Anselme

N’avoir pas seulement le temps d’être malade !


Mascarille

Non, jamais homme n’eut si hâte de mourir.


Anselme

Et Lélie ?


Mascarille

Il se bat, et ne peut rien souffrir :

Il s’est fait en maints lieux contusion et bosse,

Et veut accompagner son papa dans la fosse :

Enfin, pour achever, l’excès de son transport

M’a fait en grande hâte ensevelir le mort,

De peur que cet objet, qui le rend hypocondre,

A faire un vilain coup ne me l’allât semondre[7].


Anselme

N’importe, tu devais attendre jusqu’au soir ;

Outre qu’encore un coup j’aurais voulu le voir,

Qui tôt ensevelit, bien souvent assassine ;

Et tel est cru défunt, qui n’en a que la mine.


Mascarille

Je vous le garantis trépassé comme il faut.

Au reste, pour venir au discours de tantôt,

Lélie (et l’action lui sera salutaire)

D’un bel enterrement veut régaler son père,

Et consoler un peu ce défunt de son sort,

Par le plaisir de voir faire honneur à sa mort.

Il hérite beaucoup ; mais comme en ses affaires

Il se trouve assez neuf et ne voit encor guères,

Que son bien la plupart n’est point en ces quartiers,

Ou que ce qu’il y tient consiste en des papiers,

Il voudrait vous prier, ensuite de l’instance

D’excuser de tantôt son trop de violence,

De lui prêter au moins pour ce dernier devoir…


Anselme

Tu me l’as déjà dit, et je m’en vais le voir.


Mascarille (seul.)

Jusques ici du moins tout va le mieux du monde.

Tâchons à ce progrès que le reste réponde ;

Et, de peur de trouver dans le port un écueil,

conduisons le vaisseau de la main et de l’oeil.


Scène IV

Anselme, Lélie, Mascarille.

Anselme

Sortons ; je ne saurais qu’avec douleur très forte

Le voir empaqueté de cette étrange sorte.

Las ! en si peu de temps ! Il vivait ce matin !


Mascarille

En peu de temps parfois on fait bien du chemin.


Lélie (pleurant.)

Ah !


Anselme

Mais quoi, cher Lélie ! enfin il était homme.

On n’a point pour la mort de dispense de Rome.


Lélie

Ah !


Anselme

Sans leur dire gare, elle abat les humains,

Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins.


Lélie

Ah !


Anselme

Ce fier animal, pour toutes les prières,

Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtrières ;

Tout le monde y passe.


Lélie

Ah !


Mascarille

Vous avez beau prêcher,

Ce deuil enraciné ne se peut arracher.


Anselme

Si malgré ces raisons, votre ennui persévère,

Mon cher Lélie, au moins faites qu’il se modère.


Lélie

Ah !


Mascarille

Il n’en fera rien, je connais son humeur.


Anselme

Au reste, sur l’avis de votre serviteur,

J’apporte ici l’argent qui vous est nécessaire

Pour faire célébrer les obsèques d’un père.


Lélie

Ah ! ah !


Mascarille

Comme à ce mot s’augmente sa douleur !

Il ne peut, sans mourir, songer à ce malheur.


Anselme

Je sais que vous verrez aux papiers du bonhomme

Que je suis débiteur d’une plus grande somme :

Mais quand par ces raisons je ne vous devrais rien,

Vous pourriez librement disposer de mon bien.

Tenez, je suis tout vôtre, et le ferai paraître.


Lélie (s’en allant.)

Ah !


Mascarille

Le grand déplaisir que sent monsieur mon maître !


Anselme

Mascarille, je crois qu’il serait à propos

Qu’il me fît de sa main un reçu de deux mots.


Mascarille

Ah !


Anselme

Des événements l’incertitude est grande.


Mascarille

Ah !


Anselme

Faisons-lui signer le mot que je demande.


Mascarille

Las ! en l’état qu’il est, comment vous contenter ?

Donnez-lui le loisir de se désattrister ;

Et quand ses déplaisirs prendront quelque allégeance,

J’aurai soin d’en tirer d’abord votre assurance.

Adieu. Je sens mon coeur qui se gonfle d’ennui,

Et m’en vais tout mon soûl pleurer avecque lui.

Ah !


Anselme (seul.)

Le monde est rempli de beaucoup de traverses ;

Chaque homme tous les jours en ressent de diverses ;

Et jamais ici-bas…


Scène V

Pandolfe, Anselme.

Anselme

Ah ! bon Dieu ! je frémi !

Pandolfe qui revient ! Fût-il bien endormi[8] !

Comme depuis sa mort sa face est amaigrie !

Las ! ne m’approchez pas de plus près, je vous prie !


L'étourdi

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