Читать книгу L'étourdi - Molière Jean Baptiste Poquelin, Жан-Батист Поклен Мольер, Мольер (Жан-Батист Поклен) - Страница 4
Jean Baptiste Poquelin
Molière
ACTE PREMIER
Scène II
ОглавлениеLélie, Mascarille.
Lélie
Ah ! Mascarille !
Mascarille
Quoi ?
Lélie
Voici bien des affaires ;
J’ai dans ma passion toutes choses contraires :
Léandre aime Célie, et, par un trait fatal,
Malgré mon changement, est encor mon rival.
Mascarille
Léandre aime Célie !
Lélie
Il l’adore, te dis-je.
Mascarille
Tant pis.
Lélie
Eh, oui, tant pis ; c’est ce qui m’afflige.
Toutefois j’aurais tort de me désespérer :
Puisque j’ai ton secours, je puis me rassurer ;
Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,
N’a jamais rien trouvé qui lui fût difficile ;
Qu’on te peut appeler le roi des serviteurs ;
Et qu’en toute la terre…
Mascarille
Eh ! trêve de douceurs,
Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables ;
Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins qu’il faut rouer de coups.
Lélie
Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons un peu de ma captive :
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Ont rien d’impénétrable à des traits si charmants.
Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage
Je vois pour sa naissance un noble témoignage ;
Et je crois que le ciel dedans un rang si bas
Cache son origine, et ne l’en tire pas.
Mascarille
Vous êtes romanesque avecque vos chimères ;
Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires ?
C’est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu’il dit :
Vous savez que sa bile assez souvent s’aigrit ;
Qu’il peste contre vous d’une belle manière,
Quand vos déportements lui blessent la visière.
Il est avec Anselme en parole pour vous
Que de son Hippolyte on vous fera l’époux,
S’imaginant que c’est dans le seul mariage
Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage
Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,
D’un objet inconnu vous recevez les lois,
Que de ce fol amour la fatale puissance
Vous soustrait au devoir de votre obéissance,
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Et de quels beaux sermons on vous régalera.
Lélie
Ah ! trêve, je vous prie, à votre rhétorique !
Mascarille
Mais vous, trêve plutôt à votre politique !
Elle n’est pas fort bonne, et vous devriez tâcher…
Lélie
Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher,
Que chez moi les avis ont de tristes salaires,
Qu’un valet conseiller y fait mal ses affaires ?
Mascarille (à part.)
Il se met en courroux.
(haut.)
Tout ce que j’en ai dit
N’était rien que pour rire et vous sonder l’esprit.
D’un censeur de plaisirs ai-je fort l’encolure ?
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Vous savez le contraire, et qu’il est très certain
Qu’on ne peut me taxer que d’être trop humain.
Moquez-vous des sermons d’un vieux barbon de père :
poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.
Ma foi, j’en suis d’avis, que ces pénards chagrins
Nous viennent étourdir de leurs contes badins,
Et, vertueux par force, espèrent par envie
Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie.
Vous savez mon talent, je m’offre à vous servir.
Lélie
Ah ! c’est par ces discours que tu peux me ravir.
Au reste, mon amour, quand je l’ai fait paraître,
N’a point été mal vu des yeux qui l’ont fait naître.
Mais Léandre, à l’instant, vient de me déclarer
Qu’à me ravir Célie il va se préparer :
C’est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête
Les moyens les plus prompts d’en faire ma conquête.
Trouve ruses, détours, fourbes, inventions,
Pour frustrer un rival de ses prétentions.
Mascarille
Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire.
(à part.)
Que pourrais-je inventer pour ce coup nécessaire ?
Lélie
Eh bien ! le stratagème ?
Mascarille
Ah ! comme vous courez !
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
J’ai trouvé votre fait : il faut… Non, je m’abuse.
Mais si vous alliez…
Lélie
Où ?
Mascarille
C’est une faible ruse.
J’en songeais une…
Lélie
Et quelle ?
Mascarille
Elle n’irait pas bien.
Mais ne pourriez-vous pas…?
Lélie
Quoi ?
Mascarille
Vous ne pourriez rien.
Parler avec Anselme.
Lélie
Et que lui puis-je dire ?
Mascarille
Il est vrai, c’est tomber d’un mal dedans un pire.
Il faut pourtant l’avoir. Allez chez Trufaldin.
Lélie
Que faire ?
Mascarille
Je ne sais.
Lélie
C’en est trop, à la fin,
Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.
Mascarille
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Nous n’aurions pas besoin maintenant de rêver
A chercher les biais que nous devons trouver,
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Empêcher qu’un rival vous prévienne et vous brave.
De ces Egyptiens qui la mirent ici,
Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci ;
Et trouvant son argent, qu’ils lui font trop attendre,
Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :
Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu ;
Il se ferait fesser pour moins d’un quart d’écu ;
Et l’argent est le dieu que surtout il révère :
Mais le mal, c’est…
Lélie
Quoi ? c’est…
Mascarille
Que monsieur votre père
Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,
comme vous voudriez bien, manier ses ducats ;
Qu’il n’est point de ressort qui, pour votre ressource,
Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.
Mais tâchons de parler à Célie un moment,
Pour savoir là-dessus quel est son sentiment.
La fenêtre est ici.
Lélie
Mais Trufaldin, pour elle,
Fait de nuit et de jour exacte sentinelle.
Prend garde.
Mascarille
Dans ce coin demeurons en repos.
O bonheur ! la voilà qui sort tout à propos.