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Un rez-de-chaussée, au coin du boulevard Haussmann et de la rue de Courcelles C’est là qu’habite le prince Sernine, un des membres les plus brillants de la colonie russe à Paris, et dont le nom revient à chaque instant dans les « Déplacements et Villégiatures » des journaux.

Onze heures du matin. Le prince entre dans son cabinet de travail. C’est un homme de trente-cinq à trente-huit ans, dont les cheveux châtains se mêlent de quelques fils d’argent. Il a un teint de belle santé, de fortes moustaches, et des favoris coupés très courts, à peine dessinés sur la peau fraîche des joues. Il est correctement vêtu d’une redingote grise qui lui serre la taille, et d’un gilet à dépassant de coutil blanc.

– Allons, dit-il à mi-voix, je crois que la journée va être rude.

Il ouvrit une porte qui donnait dans une grande pièce où quelques personnes attendaient, et il dit :

– Varnier est là ? Entre donc, Varnier.

Un homme, à l’allure de petit bourgeois, trapu, solide, bien d’aplomb sur ses jambes, vint à son appel. Le prince referma la porte sur lui.

– Eh bien, où en es-tu Varnier ?

– Tout est prêt pour ce soir, patron.

– Parfait. Raconte, en quelques mots.

– Voilà. Depuis l’assassinat de son mari, Mme Kesselbach, sur la foi du prospectus que vous lui avez fait envoyer, a choisi comme demeure la maison de retraite pour dames, située à Garches. Elle habite, au fond du jardin, le dernier des quatre pavillons que la direction loue aux dames qui désirent vivre tout à fait à l’écart des autres pensionnaires, le pavillon de l’Impératrice.

– Comme domestiques ?

– Sa demoiselle de compagnie, Gertrude, avec laquelle elle est arrivée quelques heures après le crime, et la sœur de Gertrude, Suzanne, qu’elle a fait venir de Monte-Carlo, et qui lui sert de femme de chambre. Les deux sœurs lui sont toutes dévouées.

– Edwards, le valet de chambre ?

– Elle ne l’a pas gardé. Il est retourné dans son pays.

– Elle voit du monde ?

– Personne. Elle passe son temps étendue sur un divan. Elle semble très faible, malade. Elle pleure beaucoup. Hier, le juge d’instruction est resté deux heures auprès d’elle.

– Bien. La jeune fille, maintenant ?

– Mlle Geneviève Ernemont habite de l’autre côté de la route une ruelle qui s’en va vers la pleine campagne, et, dans cette ruelle, la troisième maison à droite. Elle tient une école libre et gratuite pour enfants retardataires. Sa grand-mère, Mme Ernemont, demeure avec elle.

– Et, d’après ce que tu m’as écrit, Geneviève Ernemont et Mme Kesselbach ont fait connaissance ?

– Oui. La jeune fille a été demander à Mme Kesselbach des subsides pour son école. Elles ont dû se plaire, car voici quatre jours qu’elles sortent ensemble dans le parc de Villeneuve, dont le jardin de la maison de retraite n’est qu’une dépendance.

– À quelle heure sortent-elles ?

– De cinq à six. À six heures juste, la jeune fille rejoint son école.

– Donc, tu as organisé la chose ?

– Pour aujourd’hui, six heures. Tout est prêt.

– Il n’y aura personne ?

– Il n’y a jamais personne dans le parc à cette heure-là.

– C’est bien. J’y serai. Va.

Il le fit sortir par la porte du vestibule, et revenant vers la salle d’attente, il appela :

– Les frères Doudeville.

Deux jeunes gens entrèrent, habillés avec une élégance un peu trop recherchée, les yeux vifs, l’air sympathique.

– Bonjour, Jean. Bonjour, Jacques. Quoi de nouveau à la Préfecture ?

– Pas grand-chose, patron.

– M. Lenormand a toujours confiance en vous ?

– Toujours. Après Gourel, nous sommes ses inspecteurs favoris. La preuve, c’est qu’il nous a installés au Palace-Hôtel pour surveiller les gens qui habitaient le couloir du premier étage, au moment de l’assassinat de Chapman. Tous les matins Gourel vient, et nous lui faisons le même rapport qu’à vous.

– Parfait. Il est essentiel que je sois au courant de tout ce qui se fait et de tout ce qui se dit à la Préfecture de police. Tant que Lenormand vous croira ses hommes, je suis maître de la situation. Et dans l’hôtel, avez-vous découvert une piste quelconque ?

Jean Doudeville, l’aîné, répondit :

– L’Anglaise, celle qui habitait une des chambres, l’Anglaise est partie.

– Celle-là ne m’intéresse pas. J’ai mes renseignements. Mais son voisin, le major Parbury ?

Ils semblèrent embarrassés. Enfin l’un des deux répondit :

– Ce matin, le major Parbury a commandé qu’on transportât ses bagages à la gare du Nord, pour le train de midi cinquante, et il est parti de son côté en automobile. Nous avons été au départ du train. Le major n’est pas venu.

– Et les bagages ?

– Il les a fait reprendre à la gare.

– Par qui ?

– Par un commissionnaire, nous a-t-on dit.

– De sorte que sa trace est perdue ?

– Oui.

– Enfin ! s’écria joyeusement le prince. Les autres le regardèrent, étonnés.

– Eh oui, dit-il voilà un indice !

– Vous croyez ?

– évidemment. L’assassinat de Chapman n’a pu être commis que dans une des chambres de ce couloir. C’est là, chez un complice, que le meurtrier de M. Kesselbach avait conduit le secrétaire, c’est là qu’il l’a tué, c’est là qu’il a changé de vêtements, et c’est le complice qui, une fois l’assassin parti, a déposé le cadavre dans le couloir. Mais quel complice ? La manière dont disparaît le major Parbury tendrait à prouver qu’il n’est pas étranger à l’affaire. Vite, téléphonez la bonne nouvelle à M. Lenormand ou à Gourel. Il faut qu’on soit au courant le plus vite possible à la Préfecture. Ces messieurs et moi, nous marchons la main dans la main.

Il leur fit encore quelques recommandations, concernant leur double rôle d’inspecteurs de la police au service du prince Sernine, et il les congédia.

Dans la salle d’attente, il restait deux visiteurs. Il introduisit l’un deux.

– Mille excuses, docteur, lui dit-il. Je suis tout à toi. Comment va Pierre Leduc ?

– Mort.

– Oh ! Oh ! dit Sernine. Je m’y attendais depuis ton mot de ce matin. Mais, tout de même, le pauvre garçon n’a pas été long…

– Il était usé jusqu’à la corde. Une syncope, et c’était fini.

– Il n’a pas parlé ?

– Non.

– Tu es sûr que, depuis le jour où nous l’avons cueilli ensemble sous la table d’un café à Belleville, tu es sûr que personne, dans ta clinique, n’a soupçonné que c’était lui, Pierre Leduc, que la police recherche, ce mystérieux Pierre Leduc que Kesselbach voulait trouver à tout prix ?

– Personne. Il occupait une chambre à part. En outre, j’avais enveloppé sa main gauche d’un pansement pour qu’on ne pût voir la blessure du petit doigt. Quant à la cicatrice de la joue, elle est invisible sous la barbe.

– Et tu l’as surveillé toi-même ?

– Moi-même. Et, selon vos instructions, j’ai profité, pour l’interroger, de tous les instants où il semblait plus lucide. Mais je n’ai pu obtenir que des balbutiements indistincts.

Le prince murmura pensivement :

– Mort… Pierre Leduc est mort… Toute l’affaire Kesselbach reposait évidemment sur lui, et voilà… voilà qu’il disparaît sans une révélation, sans un seul mot sur lui, sur son passé… Faut-il m’embarquer dans cette aventure à laquelle je ne comprends encore rien ? C’est dangereux… Je peux sombrer…

Il réfléchit un moment et s’écria :

– Ah ! Tant pis ! Je marche quand même. Ce n’est pas une raison parce que Pierre Leduc est mort pour que j’abandonne la partie. Au contraire ! Et l’occasion est trop tentante. Pierre Leduc est mort. Vive Pierre Leduc ! Va, docteur. Rentre chez toi. Ce soir je te téléphonerai.

Le docteur sortit.

– À nous deux, Philippe, dit Sernine au dernier visiteur, un petit homme aux cheveux gris, habillé comme un garçon d’hôtel, mais d’hôtel de dixième ordre.

– Patron, commença Philippe, je vous rappellerai que, la semaine dernière, vous m’avez fait entrer comme valet de chambre à l’hôtel des Deux-Empereurs, à Versailles, pour surveiller un jeune homme.

– Eh oui, je sais… Gérard Baupré. Où en est-il ?

– À bout de ressources.

– Toujours des idées noires ?

– Toujours. Il veut se tuer.

– Est-ce sérieux ?

– Très sérieux. J’ai trouvé dans ses papiers cette petite note au crayon.

– Ah ! Ah ! fit Sernine, en lisant la note, il annonce sa mort et ce serait pour ce soir !

– Oui, patron, la corde est achetée et le crochet fixé au plafond. Alors, selon vos ordres, je suis entré en relation avec lui, il m’a raconté sa détresse, et je lui ai conseillé de s’adresser à vous. « Le prince Sernine est riche, lui ai-je dit, il est généreux, peut-être vous aidera-t-il. »

– Tout cela est parfait. De sorte qu’il va venir ?

– Il est là.

– Comment le sais-tu ?

– Je l’ai suivi. Il a pris le train de Paris, et maintenant il se promène de long en large sur le boulevard. D’un moment à l’autre il se décidera.

À cet instant un domestique apporta une carte. Le prince lut et dit :

– Introduisez M. Gérard Baupré. Et s’adressant à Philippe :

– Passe dans ce cabinet, écoute et ne bouge pas.

Resté seul, le prince murmura :

– Comment hésiterais-je ? C’est le destin qui l’envoie, celui-là…

Quelques minutes après, entrait un grand jeune homme blond, mince, au visage amaigri, au regard fiévreux, et qui se tint sur le seuil, embarrassé, hésitant, dans l’attitude d’un mendiant qui voudrait tendre la main et qui n’oserait pas.

La conversation fut courte.

– C’est vous, M. Gérard Baupré ?

– Oui… oui… c’est moi.

– Je n’ai pas l’honneur…

– Voilà monsieur… voilà… on m’a dit…

– Qui, on ?

– Un garçon d’hôtel qui prétend avoir servi chez vous…

– Enfin, bref ?

– Eh bien…

Le jeune homme s’arrêta, intimidé, bouleversé par l’attitude hautaine du prince. Celui-ci s’écria :

– Cependant, monsieur, il serait peut-être nécessaire…

– Voilà, monsieur, on m’a dit que vous étiez très riche et généreux… Et j’ai pensé qu’il vous serait possible…

Il s’interrompit, incapable de prononcer la parole de prière et d’humiliation.

Sernine s’approcha de lui.

– Monsieur Gérard Baupré, n’avez-vous pas publié un volume de vers intitulé : Le Sourire du printemps ?

– Oui, oui, s’écria le jeune homme dont le visage s’éclaira… vous avez lu ?

– Oui… Très jolis, vos vers… très jolis… seulement, est-ce que vous comptez vivre avec ce qu’ils vous rapporteront ?

– Certes… un jour ou l’autre…

– Un jour ou l’autre… plutôt l’autre, n’est-ce pas ? Et, en attendant, vous venez me demander de quoi vivre ?

– De quoi manger, monsieur.

Sernine lui mit la main sur l’épaule, et froidement :

– Les poètes ne mangent pas, monsieur. Ils se nourrissent de rimes et de rêves. Faites ainsi. Cela vaut mieux que de tendre la main.

Le jeune homme frissonna sous l’insulte. Sans une parole il se dirigea vivement vers la porte.

Sernine l’arrêta.

– Un mot encore, monsieur. Vous n’avez plus la moindre ressource ?

– Pas la moindre.

– Et vous ne comptez sur rien ?

– J’ai encore un espoir… J’ai écrit à un de mes parents, le suppliant de m’envoyer quelque chose. J’aurai sa réponse aujourd’hui. C’est la dernière limite.

– Et, si vous n’avez pas de réponse, vous êtes décidé sans doute, ce soir même, à…

– Oui, monsieur.

Ceci fut dit simplement et nettement.

Sernine éclata de rire.

– Dieu ! Que vous êtes comique, brave jeune homme ! Et quelle conviction ingénue ! Revenez me voir l’année prochaine voulezvous ? Nous reparlerons de tout cela… C’est si curieux, si intéressant et si drôle surtout ! Ah ! Ah !

Et, secoué de rires, avec des gestes affectés et des salutations, il le mit à la porte.

– Philippe, dit-il en ouvrant au garçon d’hôtel, tu as entendu ?

– Oui, patron.

– Gérard Baupré attend cet après-midi un télégramme, une promesse de secours…

– Oui, sa dernière cartouche.

– Ce télégramme, il ne faut pas qu’il le reçoive. S’il arrive, cueille-le au passage et déchire-le.

– Bien, patron.

– Tu es seul dans ton hôtel ?

– Oui, seul avec la cuisinière qui ne couche pas. Le patron est absent.

– Bon. Nous sommes les maîtres. À ce soir, vers onze heures. File.

LUPIN: Les aventures complètes

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