Читать книгу LUPIN: Les aventures complètes - Морис Леблан - Страница 62

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À une heure exactement, un cavalier franchissait la grille de la villa Dupont, paisible rue provinciale dont l’unique issue donne sur la rue Pergolèse, à deux pas de l’avenue du Bois.

Des jardins et de jolis hôtels la bordent. Et tout au bout elle est fermée par une sorte de petit parc où s’élève une vieille et grande maison contre laquelle passe le chemin de fer de Ceinture.

C’est là, au numéro 29, qu’habitait le baron Altenheim.

Sernine jeta la bride de son cheval à un valet de pied qu’il avait envoyé d’avance, et lui dit :

– Tu le ramèneras à deux heures et demie.

Il sonna. La porte du jardin s’étant ouverte, il se dirigea vers le perron où l’attendaient deux grands gaillards en livrée qui l’introduisirent dans un immense vestibule de pierre, froid et sans le moindre ornement. La porte se referma derrière lui avec un bruit sourd, et, quel que fût son courage indomptable, il n’en eut pas moins une impression pénible à se sentir seul, environné d’ennemis, dans cette prison isolée.

– Vous annoncerez le prince Sernine.

Le salon était proche. On l’y fit entrer aussitôt.

– Ah ! Vous voilà, mon cher prince, fit le baron en venant au-devant de lui… Eh bien ! Figurez-vous… Dominique, le déjeuner dans vingt minutes… D’ici là qu’on nous laisse. Figurez-vous, mon cher prince, que je ne croyais pas beaucoup à votre visite.

– Ah ! Pourquoi ?

– Dame, votre déclaration de guerre, ce matin, est si nette que toute entrevue est inutile.

– Ma déclaration de guerre ?

Le baron déplia un numéro du Grand Journal et signala du doigt un article ainsi conçu : Communiqué.

« La disparition de M. Lenormand n’a pas été sans émouvoir Arsène Lupin. Après une enquête sommaire, et, comme suite à son projet d’élucider l’affaire Kesselbach, Arsène Lupin a décidé qu’il retrouverait M. Lenormand vivant ou mort, et qu’il livrerait à la justice le ou les auteurs de cette abominable série de forfaits. »

– C’est bien de vous, ce communiqué, mon cher prince ?

– C’est de moi, en effet.

– Par conséquent, j’avais raison, c’est la guerre.

– Oui.

Altenheim fit asseoir Sernine, s’assit, et lui dit d’un ton conciliant :

– Eh bien, non, je ne puis admettre cela. Il est impossible que deux hommes comme nous se combattent et se fassent du mal. Il n’y a qu’à s’expliquer, qu’à chercher les moyens : nous sommes faits pour nous entendre.

– Je crois au contraire que deux hommes comme nous ne sont pas faits pour s’entendre.

L’autre réprima un geste d’impatience et reprit :

– Écoute, Lupin… À propos, tu veux bien que je t’appelle Lupin ?

– Comment t’appellerai-je, moi ? Altenheim, Ribeira, ou Parbury ?

– Oh ! Oh ! Je vois que tu es encore plus documenté que je ne croyais ! Peste, tu es d’attaque… Raison de plus pour nous accorder.

Et, se penchant vers lui :

– écoute, Lupin, réfléchis bien à mes paroles, il n’en est pas une que je n’aie mûrement pesée. Voici… Nous sommes de force tous les deux… Tu souris ? C’est un tort… Il se peut que tu aies des ressources que je n’ai pas, mais j’en ai, moi, que tu ignores. En plus, comme tu le sais, pas beaucoup de scrupules… de l’adresse… et une aptitude à changer de personnalité qu’un maître comme toi doit apprécier. Bref, les deux adversaires se valent. Mais il reste une question : Pourquoi sommes-nous adversaires ? Nous poursuivons le même but, diras-tu ? Et après ? Sais-tu ce qu’il en adviendra de notre rivalité ? C’est que chacun de nous paralysera les efforts et détruira l’œuvre de l’autre, et que nous le raterons tous les deux, le but ! Au profit de qui ? D’un Lenormand quelconque, d’un troisième larron… C’est trop bête.

– C’est trop bête, en effet, confessa Sernine, mais il y a un moyen.

– Lequel ?

– Retire-toi.

– Ne blague pas. C’est sérieux. La proposition que je vais te faire est de celles qu’on ne rejette pas sans les examiner. Bref, en deux mots, voici : Associons-nous.

– Oh ! Oh !

– Bien entendu, nous resterons libres, chacun de notre côté, pour tout ce qui nous concerne. Mais pour l’affaire en question nous mettons nos efforts en commun. Ça va-t-il ? La main dans la main, et part à deux.

– Qu’est-ce que tu apportes ?

– Moi ?

– Oui. Tu sais ce que je vaux, moi ; j’ai fait mes preuves. Dans l’union que tu me proposes, tu connais pour ainsi dire le chiffre de ma dot… Quelle est la tienne ?

– Steinweg.

– C’est peu.

– C’est énorme. Par Steinweg, nous apprenons la vérité sur Pierre Leduc. Par Steinweg, nous savons ce qu’est le fameux projet Kesselbach.

Sernine éclata de rire.

– Et tu as besoin de moi pour cela ?

– Comment ?

– Voyons, mon petit, ton offre est puérile. Du moment que Steinweg est entre tes mains, si tu désires ma collaboration, c’est que tu n’as pas réussi à le faire parler. Sans quoi tu te passerais de mes services.

– Et alors ?

– Alors, je refuse !

Les deux hommes se dressèrent de nouveau, implacables et violents.

– Je refuse, articula Sernine. Lupin n’a besoin de personne, lui, pour agir. Je suis de ceux qui marchent seuls. Si tu étais mon égal, comme tu le prétends, l’idée ne te serait jamais venue d’une association. Quand on a la taille d’un chef, on commande. S’unir, c’est obéir. Je n’obéis pas !

– Tu refuses ? Tu refuses ? répéta Altenheim, tout pâle sous l’outrage.

– Tout ce que je puis faire pour toi, mon petit, c’est de t’offrir une place dans ma bande. Simple soldat, pour commencer. Sous mes ordres, tu verras comment un général gagne une bataille et comment il empoche le butin, à lui tout seul, et pour lui tout seul. Ça colle, pioupiou ?

Altenheim grinçait des dents, hors de lui. Il mâchonna :

– Tu as tort, Lupin… tu as tort… Moi non plus je n’ai besoin de personne, et cette affaire-là ne m’embarrasse pas plus qu’un tas d’autres que j’ai menées jusqu’au bout… Ce que j’en disais, c’était pour arriver plus vite au but, et sans se gêner.

– Tu ne me gênes pas, dit Lupin, dédaigneusement.

– Allons donc ! Si l’on ne s’associe pas, il n’y en a qu’un qui arrivera.

– Ça me suffit.

– Et il n’arrivera qu’après avoir passé sur le corps de l’autre. Es-tu prêt à cette sorte de duel, Lupin ?… duel à mort, comprends-tu ? Le coup de couteau, c’est un moyen que tu méprises, mais si tu le reçois là, Lupin, en pleine gorge ?…

– Ah ! Ah ! En fin de compte, voilà ce que tu me proposes ?

– Non, je n’aime pas beaucoup le sang, moi… Regarde mes poings… je frappe et l’on tombe… j’ai des coups à moi… Mais l’autre tue… rappelle-toi la petite blessure à la gorge… Ah ! Celui-là. Lupin, prends garde à lui… Il est terrible et implacable… Rien ne l’arrête.

Il prononça ces mots à voix basse et avec une telle émotion que Sernine frissonna au souvenir abominable de l’inconnu.

– Baron, ricana-t-il, on dirait que tu as peur de ton complice !

– J’ai peur pour les autres, pour ceux qui nous barrent la route, pour toi, Lupin. Accepte ou tu es perdu. Moi-même, s’il le faut, j’agirai. Le but est trop près… j’y touche… Va-t’en Lupin !

Il était puissant d’énergie et de volonté exaspérée, et si brutal qu’on l’eût dit prêt à frapper l’ennemi sur-le-champ.

Sernine haussa les épaules.

– Dieu ! Que j’ai faim ! dit-il en bâillant. Comme on mange tard chez toi !

La porte s’ouvrit.

– Monsieur est servi, annonça le maître d’hôtel.

– Ah ! Que voilà une bonne parole !

Sur le pas de la porte, Altenheim lui agrippa le bras, et, sans se soucier de la présence du domestique :

– Un bon conseil… accepte. L’heure est grave… Et ça vaut mieux, je te jure, ça vaut mieux… accepte…

– Du caviar ! s’écria Sernine… ah ! C’est tout à fait gentil… Tu t’es souvenu que tu traitais un prince russe.

Ils s’assirent l’un en face de l’autre, et le lévrier du baron, une grande bête aux longs poils d’argent, prit place entre eux.

– Je vous présente Sirius, mon plus fidèle ami.

– Un compatriote, dit Sernine. Je n’oublierai jamais celui que voulut bien me donner le tsar quand j’eus l’honneur de lui sauver la vie.

– Ah ! Vous avez eu l’honneur… un complot terroriste, sans doute ?

– Oui, complot que j’avais organisé. Figurez-vous que ce chien, qui s’appelait Sébastopol…

Le déjeuner se poursuivit gaiement, Altenheim avait repris sa bonne humeur, et les deux hommes firent assaut d’esprit et de courtoisie. Sernine raconta des anecdotes auxquelles le baron riposta par d’autres anecdotes, et c’étaient des récits de chasse, de sport, de voyage, où revenaient à tout instant les plus vieux noms d’Europe, grands d’Espagne, lords anglais, magyars hongrois, archiducs autrichiens.

– Ah ! dit Sernine, quel joli métier que le nôtre ! Il nous met en relation avec tout ce qu’il y a de bien sur terre. Tiens, Sirius, un peu de cette volaille truffée.

Le chien ne le quittait pas de l’œil, happant d’un coup de gueule tout ce que Sernine lui tendait.

– Un verre de Chambertin, prince ?

– Volontiers, baron.

– Je vous le recommande, il vient des caves du roi Léopold.

– Un cadeau ?

– Oui, un cadeau que je me suis offert.

– Il est délicieux… Un bouquet !… Avec ce pâté de foie, c’est une trouvaille. Mes compliments, baron, votre chef est de premier ordre.

– Ce chef est une cuisinière, prince. Je l’ai enlevée à prix d’or à Levraud, le député socialiste. Tenez, goûtez-moi ce chaud-froid de glace au cacao, et j’attire votre attention sur les gâteaux secs qui l’accompagnent. Une invention de génie, ces gâteaux.

– Ils sont charmants de forme, en tout cas, dit Sernine, qui se servit. Si leur ramage répond à leur plumage… Tiens, Sirius, tu dois adorer cela. Locuste n’aurait pas mieux fait.

Vivement il avait pris un des gâteaux et l’avait offert au chien. Celui-ci l’avala d’un coup, resta deux ou trois secondes immobile, comme stupide, puis tournoya sur lui-même et tomba, foudroyé.

Sernine s’était jeté en arrière pour n’être pas pris en traître par un des domestiques, et, se mettant à rire :

– Dis donc, baron, quand tu veux empoisonner un de tes amis, tâche que ta voix reste calme et que tes mains ne frémissent pas… Sans quoi on se méfie… Mais je croyais que tu répugnais à l’assassinat ?

– Au coup de couteau, oui, dit Altenheim sans se troubler. Mais j’ai toujours eu envie d’empoisonner quelqu’un. Je voulais savoir quel goût ça avait.

– Bigre ! Mon bonhomme, tu choisis bien tes morceaux. Un prince russe !

Il s’approcha d’Altenheim et lui dit d’un ton confidentiel :

– Sais-tu ce qui serait arrivé si tu avais réussi, c’est-à-dire si mes amis ne m’avaient pas vu revenir à trois heures au plus tard ? Eh bien, à trois heures et demie, le préfet de Police savait exactement à quoi s’en tenir sur le compte du soi-disant baron Altenheim, lequel baron était cueilli avant la fin de la journée et coffré au Dépôt.

– Bah ! dit Altenheim, de prison on s’évade… tandis qu’on ne revient pas du royaume où je t’envoyais.

– évidemment, mais il eût d’abord fallu m’y envoyer, et cela ce n’est pas facile.

– Il suffisait d’une bouchée d’un de ces gâteaux.

– En es-tu bien sûr ?

– Essaie.

– Décidément, mon petit, tu n’as pas encore l’étoffe d’un grand maître de l’Aventure, et sans doute ne l’auras-tu jamais, puisque tu me tends des pièges de cette sorte. Quand on se croit digne de mener la vie que nous avons l’honneur de mener, on doit aussi en être capable, et, pour cela, être prêt à toutes les éventualités… même à ne pas mourir si une fripouille quelconque tente de vous empoisonner… Une âme intrépide dans un corps inattaquable, voilà l’idéal qu’il faut se proposer… et atteindre. Travaille, mon petit. Moi, je suis intrépide et inattaquable. Rappelle-toi le roi Mithridate.

Et, se rasseyant :

– À table, maintenant ! Mais comme j’aime à prouver les vertus que je me décerne, et comme, d’autre part, je ne veux pas faire de peine à ta cuisinière, donne-moi donc cette assiette de gâteaux.

Il en prit un, le cassa en deux, et tendit une moitié au baron :

– Mange !

L’autre eut un geste de recul.

– Froussard ! dit Sernine.

Et, sous les yeux ébahis du baron et de ses acolytes, il se mit à manger la première, puis la seconde moitié du gâteau, tranquillement, consciencieusement, comme on mange une friandise dont on serait désolé de perdre la plus petite miette.

LUPIN: Les aventures complètes

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