Читать книгу LUPIN: Les aventures complètes - Морис Леблан - Страница 55

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Après un instant de réflexion, M. Lenormand prononça :

– Le doute n’est plus permis. Ils étaient deux dans l’affaire Kesselbach : l’homme au poignard, qui a tué, et son complice, le major.

– C’est l’avis du prince Sernine, murmura Jacques Doudeville.

– Et ce soir, continua le chef de la Sûreté, ce sont eux encore… les deux mêmes.

Et il ajouta :

– Tant mieux. On a cent fois plus de chances de prendre deux coupables qu’un seul.

M. Lenormand soigna ses hommes, les fit mettre au lit, et chercha si les assaillants n’avaient point perdu quelque objet ou laissé quelque trace. Il ne trouva rien, et se coucha.

Au matin, Gourel et les Doudeville ne se ressentant pas trop de leurs blessures, il ordonna aux deux frères de battre les environs, et il partit avec Gourel pour Paris, afin d’expédier ses affaires et de donner ses ordres.

Il déjeuna dans son bureau. À deux heures, il apprit une bonne nouvelle. Un de ses meilleurs agents, Dieuzy, avait cueilli, à la descente d’un train venant de Marseille, l’Allemand Steinweg, le correspondant de Rudolf Kesselbach.

– Dieuzy est là ? dit-il.

– Oui, chef, répondit Gourel, il est là avec l’Allemand.

– Qu’on me les amène.

À ce moment il reçut un coup de téléphone. C’était Jean Doudeville qui le demandait, du bureau de Garches. La communication fut rapide.

– C’est toi, Jean ? Du nouveau ?

– Oui, chef, le major Parbury…

– Eh bien ?

– Nous l’avons retrouvé. Il est devenu espagnol et il s’est bruni la peau. Nous venons de le voir. Il pénétrait dans l’école libre de Garches. Il a été reçu par cette demoiselle… vous savez, la jeune fille qui connaît le prince Sernine, Geneviève Ernemont.

– Tonnerre !

M. Lenormand lâcha l’appareil, sauta sur son chapeau, se précipita dans le couloir, rencontra Dieuzy et l’Allemand, et leur cria :

– À six heures… rendez-vous ici…

Il dégringola l’escalier, suivi de Gourel et de trois inspecteurs qu’il avait cueillis au passage, et s’engouffra dans son automobile.

– À Garches… dix francs de pourboire. Un peu avant le parc de Villeneuve, au détour de la ruelle qui conduit à l’école, il fit stopper. Jean Doudeville, qui l’attendait, s’écria aussitôt :

– Le coquin a filé par l’autre côté de la ruelle, il y a dix minutes.

– Seul ?

– Non, avec la jeune fille.

M. Lenormand empoigna Doudeville au collet :

– Misérable ! Tu l’as laissé partir ! Mais il fallait…

– Mon frère est sur sa piste.

– Belle avance ! Il le sèmera, ton frère. Est-ce que vous êtes de force ? Il prit lui-même la direction de l’auto et s’engagea résolument dans la ruelle, insouciant des ornières et des fourrés. Très vite, ils débouchèrent sur un chemin vicinal qui les conduisit à un carrefour où s’embranchaient cinq routes. Sans hésiter, M. Lenormand choisit la route de gauche, celle de Saint-Cucufa. De fait, au haut de la côte qui descend vers l’étang, ils dépassèrent l’autre frère Doudeville qui leur cria :

– Ils sont en voiture… à un kilomètre.

Le chef n’arrêta pas. Il lança l’auto dans la descente, brûla les virages, contourna l’étang et soudain jeta une exclamation de triomphe.

Au sommet d’une petite montée qui se dressait au-devant d’eux, il avait vu la capote d’une voiture.

Malheureusement, il s’était engagé sur une mauvaise route. Il dut faire machine arrière.

Quand il fut revenu à l’embranchement, la voiture était encore là, arrêtée. Et, tout de suite, pendant qu’il virait, il aperçut une femme qui sautait de la voiture. Un homme apparut sur le marchepied. La femme allongea le bras. Deux détonations retentirent.

Elle avait mal visé sans doute, car une tête surgit de l’autre côté de la capote, et l’homme, avisant l’automobile, cingla d’un grand coup de fouet son cheval qui partit au galop. Et aussitôt un tournant cacha la voiture.

En quelques secondes, M. Lenormand acheva la manœuvre, piqua droit sur la montée, dépassa la jeune fille sans s’arrêter et, hardiment, tourna.

C’était un chemin forestier qui descendait, abrupt et rocailleux, entre des bois épais, et qu’on ne pouvait suivre que très lentement, avec les plus grandes précautions. Mais qu’importait ! À vingt pas en avant, la voiture, une sorte de cabriolet à deux roues, dansait sur les pierres, traînée, retenue plutôt, par un cheval qui ne se risquait que prudemment et à pas comptés. Il n’y avait plus rien à craindre, la fuite était impossible.

Et les deux véhicules roulèrent de haut en bas, cahotés et secoués. Un moment même, ils furent si près l’un de l’autre que M. Lenormand eut l’idée de mettre pied à terre et de courir avec ses hommes. Mais il sentit le péril qu’il y aurait à freiner sur une pente aussi brutale, et il continua, serrant l’ennemi de près, comme une proie que l’on tient à portée de son regard, à portée de sa main.

– Ça y est… chef… ça y est !… murmuraient les inspecteurs, étreints par l’imprévu de cette chasse.

En bas de la route s’amorçait un chemin qui se dirigeait vers la Seine, vers Bougival. Sur terrain plat, le cheval partit au petit trot, sans se presser, et en tenant le milieu de la voie.

Un effort violent ébranla l’automobile. Elle eut l’air, plutôt que de rouler, d’agir par bonds ainsi qu’un fauve qui s’élance, et, se glissant le long du talus, prête à briser tous les obstacles, elle rattrapa la voiture, se mit à son niveau, la dépassa…

Un juron de M. Lenormand… Des clameurs de rage… La voiture était vide !

La voiture était vide. Le cheval s’en allait paisiblement, les rênes sur le dos, retournant sans doute à l’écurie de quelque auberge environnante où on l’avait pris en location pour la journée.

étouffant sa colère, le chef de la Sûreté dit simplement :

– Le major aura sauté pendant les quelques secondes où nous avons perdu de vue la voiture, au début de la descente.

– Nous n’avons qu’à battre les bois, chef, et nous sommes sûrs…

– De rentrer bredouilles. Le gaillard est loin, allez, et il n’est pas de ceux qu’on pince deux fois dans la même journée. Ah ! Crénom de crénom !

Ils rejoignirent la jeune fille qu’ils trouvèrent en compagnie de Jacques Doudeville, et qui ne paraissait nullement se ressentir de son aventure.

M. Lenormand, s’étant fait connaître, s’offrit à la ramener chez elle, et, tout de suite, il l’interrogea sur le major anglais Parbury. Elle s’étonna :

– Il n’est ni major ni anglais, et il ne s’appelle pas Parbury.

– Alors il s’appelle ?

– Juan Ribeira, il est espagnol, et chargé par son Gouvernement d’étudier le fonctionnement des écoles françaises.

– Soit. Son nom et sa nationalité n’ont pas d’importance. C’est bien celui que nous cherchons. Il y a longtemps que vous le connaissez ?

– Une quinzaine de jours. Il avait entendu parler d’une école que j’ai fondée à Garches, et il s’intéressait à ma tentative, au point de me proposer une subvention annuelle à la seule condition qu’il pût venir de temps à autre constater les progrès de mes élèves. Je n’avais pas le droit de refuser.

– Non, évidemment, mais il fallait consulter autour de vous… N’êtes-vous pas en relation avec le prince Sernine ? C’est un homme de bon conseil.

– Oh ! J’ai toute confiance en lui, mais actuellement il est en voyage.

– Vous n’aviez pas son adresse ?

– Non. Et puis, que lui aurais-je dit ? Ce monsieur se conduisait fort bien. Ce n’est qu’aujourd’hui… Mais je ne sais…

– Je vous en prie, mademoiselle, parlez-moi franchement… En moi aussi vous pouvez avoir confiance.

– Eh bien, M. Ribeira est venu tantôt. Il m’a dit qu’il était envoyé par une dame française de passage à Bougival, que cette dame avait une petite fille dont elle désirait me confier l’éducation, et qu’elle me priait de venir sans retard. La chose me parut toute naturelle. Et comme c’est aujourd’hui congé, comme M. Ribeira avait loué une voiture qui l’attendait au bout du chemin, je ne fis point de difficulté pour y prendre place.

– Mais enfin, quel était son but ? Elle rougit et prononça :

– M’enlever tout simplement. Au bout d’une demi-heure il me l’avouait.

– Vous ne savez rien sur lui ?

– Non.

– Il demeure à Paris ?

– Je le suppose.

– Il ne vous a pas écrit ? Vous n’avez pas quelques lignes de sa main, un objet oublié, un indice qui puisse nous servir ?

– Aucune indice… Ah ! Cependant… mais cela n’a sans doute aucune importance…

– Parlez !… parlez !… je vous en prie.

– Eh bien, il y a deux jours, ce monsieur m’a demandé la permission d’utiliser la machine à écrire dont je me sers, et il a composé – difficilement, car il n’était pas exercé – une lettre dont j’ai surpris par hasard l’adresse.

– Et cette adresse ?

– Il écrivait au Journal, et il glissa dans l’enveloppe une vingtaine de timbres.

– Oui, la petite correspondance sans doute, fit Lenormand.

– J’ai le numéro d’aujourd’hui, chef, dit Gourel.

M. Lenormand déplia la feuille et consulta la huitième page. Après un instant il eut un sursaut. Il avait lu cette phrase rédigée avec les abréviations d’usage :

Nous informons toute personne connaissant M. Steinweg que nous voudrions savoir s’il est à Paris, et son adresse. Répondre par la même voie.

– Steinweg, s’écria Gourel, mais c’est précisément l’individu que Dieuzy nous amène.

« Oui, oui, fit M. Lenormand en lui-même, c’est l’homme dont j’ai intercepté la lettre à Kesselbach, l’homme qui a lancé celui-ci sur la piste de Pierre Leduc… Ainsi donc, eux aussi, ils ont besoin de renseignements sur Pierre Leduc et sur son passé… Eux aussi, ils tâtonnent… »

Il se frotta les mains : Steinweg était à sa disposition. Avant une heure Steinweg aurait parlé. Avant une heure le voile des ténèbres qui l’opprimaient et qui faisaient de l’affaire Kesselbach la plus angoissante et la plus impénétrable des affaires dont il eût poursuivi la solution, ce voile serait déchiré.

LUPIN: Les aventures complètes

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