Читать книгу LUPIN: Les aventures complètes - Морис Леблан - Страница 54

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À Saint-Cloud. Une petite villa située sur l’un des points les plus élevés du plateau, le long d’un chemin peu fréquenté. Il est onze heures du soir. M. Lenormand a laissé son automobile à Saint-Cloud, et, suivant le chemin avec précaution, il s’approche.

Une ombre se détache.

– C’est toi, Gourel ?

– Oui, chef.

– Tu as prévenu les frères Doudeville de mon arrivée ?

– Oui, votre chambre est prête, vous pouvez vous coucher et dormir… À moins qu’on n’essaie d’enlever Pierre Leduc cette nuit, ce qui ne m’étonnerait pas, étant donné le manège de l’individu que les Doudeville ont aperçu.

Ils franchirent le jardin, entrèrent doucement, et montèrent au premier étage. Les deux frères, Jean et Jacques Doudeville, étaient là.

– Pas de nouvelles du prince Sernine ? leur demanda-t-il.

– Aucune, chef.

– Pierre Leduc ?

– Il reste étendu toute la journée dans sa chambre du rez-de-chaussée, ou dans le jardin. Il ne monte jamais nous voir.

– Il va mieux ?

– Bien mieux. Le repos le transforme à vue d’œil.

– Il est tout dévoué à Lupin ?

– Au prince Sernine plutôt, car il ne se doute pas que les deux ça ne fait qu’un. Du moins, je le suppose, on ne sait rien avec lui. Il ne parle jamais. Ah ! C’est un drôle de pistolet. Il n’y a qu’une personne qui ait le don de l’animer, de le faire causer, et même rire. C’est une jeune fille de Garches, à laquelle le prince Sernine l’a présenté, Geneviève Ernemont. Elle est venue trois fois déjà… Encore aujourd’hui…

Il ajouta en plaisantant :

– Je crois bien qu’on flirte un peu… C’est comme Son Altesse le prince Sernine et Mme Kesselbach… il paraît qu’il lui fait des yeux !… ce sacré Lupin !…

M. Lenormand ne répondit pas. On sentait que tous ces détails, dont il ne paraissait pas faire état, s’enregistraient au plus profond de sa mémoire, pour l’instant où il lui faudrait en tirer les conclusions logiques.

Il alluma un cigare, le mâchonna sans le fumer, le ralluma et le laissa tomber.

Il posa encore deux ou trois questions, puis, tout habillé, il se jeta sur son lit.

– S’il y a la moindre chose, qu’on me réveille… Sinon, je dors. Allez chacun à son poste.

Les autres sortirent. Une heure s’écoula, deux heures… Soudain, M. Lenormand sentit qu’on le touchait, et Gourel lui dit :

– Debout, chef, on a ouvert la barrière.

– Un homme, deux hommes ?

– Je n’en ai vu qu’un… La lune a paru à ce moment… il s’est accroupi contre un massif.

– Et les frères Doudeville ?

– Je les ai envoyés dehors, par derrière. Ils lui couperont la retraite quand le moment sera venu.

Gourel saisit la main de M. Lenormand, le conduisit en bas, puis dans une pièce obscure.

– Ne bougez pas, chef, nous sommes dans le cabinet de toilette de Pierre Leduc. J’ouvre la porte de l’alcôve où il couche… Ne craignez rien… il a pris son véronal comme tous les soirs… rien ne le réveille… Venez là… Hein, la cachette est bonne ?… ce sont les rideaux de son lit… D’ici, vous voyez la fenêtre et tout le côté de la chambre qui va du lit à la fenêtre.

Elle était grande ouverte, cette fenêtre, et une confuse clarté pénétrait, très précise par moments, lorsque la lune écartait le voile des nuages.

Les deux hommes ne quittaient pas des yeux le cadre vide de la croisée, certains que l’événement attendu se produirait par là.

Un léger bruit… un craquement…

– Il escalade le treillage, souffla Gourel.

– C’est haut ?

– Deux mètres… deux mètres cinquante…

Les craquements se précisèrent.

– Va-t’en, Gourel, murmura Lenormand, rejoins les Doudeville… ramène-les au pied du mur, et barrez la route à quiconque descendra d’ici.

Gourel s’en alla.

Au même moment une tête apparut au ras de la fenêtre, puis une ombre enjamba le balcon. M. Lenormand distingua un homme mince, de taille au-dessous de la moyenne, vêtu de couleur foncée, et sans chapeau.

L’homme se retourna et, penché au-dessus du balcon, regarda quelques secondes dans le vide comme pour s’assurer qu’aucun danger ne le menaçait. Puis il se courba et s’étendit sur le parquet. Il semblait immobile. Mais, au bout d’un instant, M. Lenormand se rendit compte que la tache noire qu’il formait dans l’obscurité avançait, s’approchait.

Elle gagna le lit.

Il eut l’impression qu’il entendait la respiration de cet être, et même qu’il devinait ses yeux, des yeux étincelants, aigus, qui perçaient les ténèbres comme des traits de feu, et qui voyaient, eux, à travers ces ténèbres.

Pierre Leduc eut un profond soupir et se retourna.

De nouveau le silence.

L’être avait glissé le long du lit par mouvements insensibles, et la silhouette sombre se détachait sur la blancheur des draps qui pendaient.

Si M. Lenormand avait allongé le bras, il l’eût touché. Cette fois il distingua nettement cette respiration nouvelle qui alternait avec celle du dormeur, et il eut l’illusion qu’il percevait aussi le bruit d’un cœur qui battait.

Tout à coup un jet de lumière… L’homme avait fait jouer le ressort d’une lanterne électrique à projecteur, et Pierre Leduc se trouva éclairé en plein visage. Mais l’homme, lui, restait dans l’ombre, et M. Lenormand ne put voir sa figure.

Il vit seulement quelque chose qui luisait dans le champ de la clarté, et il tressaillit. C’était la lame d’un couteau, et ce couteau, effilé, menu, stylet plutôt que poignard, lui parut identique au couteau qu’il avait ramassé près du cadavre de Chapman, le secrétaire de M. Kesselbach.

De toute sa volonté il se retint pour ne pas sauter sur l’homme. Auparavant, il voulait voir ce qu’il venait faire…

La main se leva. Allait-elle frapper ? M. Lenormand calcula la distance pour arrêter le coup. Mais non, ce n’était pas un geste de meurtre, mais un geste de précaution.

Si Pierre Leduc remuait, s’il tentait d’appeler, la main s’abattrait. Et l’homme s’inclina vers le dormeur, comme s’il examinait quelque chose.

« La joue droite… pensa M. Lenormand, la cicatrice de la joue droite… il veut s’assurer que c’est bien Pierre Leduc. »

L’homme s’était un peu tourné, de sorte qu’on n’apercevait que les épaules. Mais les vêtements, le pardessus étaient si proches qu’ils frôlaient les rideaux derrière lesquels se cachait M. Lenormand.

« Un mouvement de sa part, pensa-t-il, un frisson d’inquiétude, et je l’empoigne. »

Mais l’homme ne bougea pas, tout entier à son examen. Enfin, après avoir passé son poignard dans la main qui tenait la lanterne, il releva le drap de lit, à peine d’abord, puis un peu plus, puis davantage, de sorte qu’il advint que le bras gauche du dormeur fut découvert et que la main fut à nu.

Le jet de la lanterne éclaira cette main. Quatre doigts s’étalaient. Le cinquième était coupé à la seconde phalange.

Une deuxième fois, Pierre Leduc fit un mouvement. Aussitôt la lumière s’éteignit, et durant un instant l’homme resta auprès du lit, immobile, tout droit. Allait-il se décider à frapper ? M. Lenormand eut l’angoisse du crime qu’il pouvait empêcher si aisément, mais qu’il ne voulait prévenir cependant qu’à la seconde suprême.

Un long, un très long silence. Subitement, il eut la vision, inexacte d’ailleurs, d’un bras qui se levait. Instinctivement il bougea, tendant la main au-dessus du dormeur. Dans son geste il heurta l’homme.

Un cri sourd. L’individu frappa dans le vide, se défendit au hasard, puis s’enfuit vers la fenêtre. Mais M. Lenormand avait bondi sur lui, et lui encerclait les épaules de ses deux bras.

Tout de suite, il le sentit qui cédait, et qui, plus faible, impuissant, se dérobait à la lutte et cherchait à glisser entre ses bras. De toutes ses forces il le plaqua contre lui, le ploya en deux et retendit à la renverse sur le parquet.

– Ah ! Je te tiens… je te tiens, murmura-t-il, triomphant.

Et il éprouvait une singulière ivresse à emprisonner de son étreinte irrésistible ce criminel effrayant, ce monstre innommable. Il se sentait vivre et frémir, rageur et désespéré, leurs deux existences mêlées, leurs souffles confondus.

– Qui es-tu ? dit-il… qui es-tu ?… il faudra bien parler…

Et il serrait le corps de l’ennemi avec une énergie croissante, car il avait l’impression que ce corps diminuait entre ses bras, qu’il s’évanouissait. Il serra davantage… et davantage…

Et, soudain, il frissonna des pieds à la tête. Il avait senti, il sentait une toute petite piqûre à la gorge… Exaspéré, il serra encore plus : la douleur augmenta. Et il se rendit compte que l’homme avait réussi à tordre son bras, à glisser sa main jusqu’à sa poitrine et à dresser son poignard. Le bras, certes, était immobilisé, mais à mesure que M. Lenormand resserrait le nœud de l’étreinte, la pointe du poignard entrait dans la chair offerte.

Il renversa un peu la tête pour échapper à cette pointe : la pointe suivit le mouvement et la plaie s’élargit.

Alors il ne bougea plus, assailli par le souvenir des trois crimes, et par tout ce que représentait d’effarant, d’atroce et de fatidique cette même petite aiguille d’acier qui trouait sa peau, et qui s’enfonçait, elle aussi, implacablement…

D’un coup, il lâcha prise et bondit en arrière. Puis, tout de suite, il voulut reprendre l’offensive. Trop tard.

L’homme enjambait la fenêtre et sautait.

– Attention, Gourel ! cria-t-il, sachant que Gourel était là, prêt à recevoir le fugitif.

Il se pencha.

Un froissement de galets… une ombre entre deux arbres… le claquement de la barrière… Et pas d’autre bruit… Aucune intervention…

Sans se soucier de Pierre Leduc, il appela :

– Gourel !… Doudeville !

Aucune réponse. Le grand silence nocturne de la campagne.

Malgré lui il songea encore au triple assassinat, au stylet d’acier. Mais non, c’était impossible, l’homme n’avait pas eu le temps de frapper, il n’en avait même pas eu besoin, ayant trouvé le chemin libre.

À son tour il sauta et, faisant jouer le ressort de sa lanterne, il reconnut Gourel qui gisait sur le sol.

– Crebleu ! jura-t-il… S’il est mort, on me le paiera cher. Mais Gourel vivait, étourdi seulement, et, quelques minutes plus tard, revenant à lui, il grognait :

– Un coup de poing, chef un simple coup de poing en pleine poitrine. Mais quel gaillard !

– Ils étaient deux alors ?

– Oui, un petit, qui est monté, et puis un autre qui m’a surpris pendant que je veillais.

– Et les Doudeville ?

– Pas vus.

On retrouva l’un d’eux, Jacques, près de la barrière, tout sanglant, la mâchoire démolie, l’autre un peu plus loin, suffoquant, la poitrine défoncée.

– Quoi ? Qu’y a-t-il ? demanda M. Lenormand.

Jacques raconta que son frère et lui s’étaient heurtés à un individu qui les avait mis hors de combat avant qu’ils n’eussent le temps de se défendre.

– Il était seul ?

– Non, quand il est repassé près de nous, il était accompagné d’un camarade, plus petit que lui.

– As-tu reconnu celui qui t’a frappé ?

– À la carrure, ça m’a semblé l’Anglais du Palace-Hôtel, celui qui a quitté l’hôtel et dont nous avons perdu la trace.

– Le major ?

– Oui, le major Parbury.

LUPIN: Les aventures complètes

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