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Les petites filles jouaient dans le jardin, sous la surveillance de Mlle Charlotte, nouvelle collaboratrice de Geneviève. Mme Ernemont leur fit une distribution de gâteaux, puis rentra dans la pièce qui servait de salon et de parloir, et s’installa devant un bureau dont elle rangea les papiers et les registres.

Soudain, elle eut l’impression d’une présence étrangère dans la pièce. Inquiète, elle se retourna.

– Toi ! s’écria-t-elle… D’où viens-tu ?… Par où ?…

– Chut, fit le prince Sernine. écoute-moi et ne perdons pas une minute. Geneviève ?

– En visite chez Mme Kesselbach.

– Elle sera ici ?

– Pas avant une heure.

– Alors, je laisse venir les frères Doudeville. J’ai rendez-vous avec eux. Comment va Geneviève ?

– Très bien.

– Combien de fois a-t-elle revu Pierre Leduc depuis mon départ, depuis dix jours ?

– Trois fois, et elle doit le retrouver aujourd’hui chez Mme Kesselbach à qui elle l’a présenté, selon tes ordres. Seulement, je te dirai que ce Pierre Leduc ne me dit pas grand-chose, à moi. Geneviève aurait plutôt besoin de trouver quelque bon garçon de sa classe. Tiens, l’instituteur.

– Tu es folle ! Geneviève épouser un maître d’école !

– Ah ! Si tu considérais d’abord le bonheur de Geneviève…

– Flûte, Victoire. Tu m’embêtes avec tous tes papotages. Est-ce que j’ai le temps de faire du sentiment ? Je joue une partie d’échecs, et je pousse mes pièces sans me soucier de ce qu’elles pensent. Quand j’aurai gagné la partie, je m’inquiéterai de savoir si le cavalier Pierre Leduc et la reine Geneviève ont un cœur.

Elle l’interrompit.

– Tu as entendu ? Un coup de sifflet…

– Ce sont les deux Doudeville. Va les chercher, et laissenous.

Dès que les deux frères furent entrés, il les interrogea avec sa précision habituelle :

– Je sais ce que les journaux ont dit sur la disparition de Lenormand et de Gourel. En savez-vous davantage ?

– Non. Le sous-chef, M. Weber, a pris l’affaire en main. Depuis huit jours nous fouillons le jardin de la maison de retraite et l’on n’arrive pas à s’expliquer comment ils ont pu disparaître. Tout le service est en l’air… On n’a jamais vu ça… un chef de la Sûreté qui disparaît, et sans laisser de trace !

– Les deux servantes ?

– Gertrude est partie. On la recherche.

– Sa sœur Suzanne ?

– M. Weber et M. Formerie l’ont questionnée. Il n’y a rien contre elle.

– Voilà tout ce que vous avez à me dire ?

– Oh ! Non, il y a d’autres choses, tout ce que nous n’avons pas dit aux journaux.

Ils racontèrent alors les événements qui avaient marqué les deux derniers jours de M. Lenormand, la visite nocturne des deux bandits dans la villa de Pierre Leduc, puis, le lendemain, la tentative d’enlèvement commise par Ribeira et la chasse à travers les bois de Saint-Cucufa, puis l’arrivée du vieux Steinweg, son interrogatoire à la Sûreté devant Mme Kesselbach, son évasion du Palais.

– Et personne, sauf vous, ne connaît aucun de ces détails ?

– Dieuzy connaît l’incident Steinweg, c’est même lui qui nous l’a raconté.

– Et l’on a toujours confiance en vous à la Préfecture ?

– Tellement confiance qu’on nous emploie ouvertement. M. Weber ne jure que par nous.

– Allons, dit le prince, tout n’est pas perdu. Si M. Lenormand a commis quelque imprudence qui lui a coûté la vie, comme je le suppose, il avait tout de même fait auparavant de la bonne besogne, et il n’y a qu’à continuer. L’ennemi a de l’avance, mais on le rattrapera.

– Nous aurons du mal, patron.

– En quoi ? Il s’agit tout simplement de retrouver le vieux Steinweg, puisque c’est lui qui a le mot de l’énigme.

– Oui, mais où Ribeira l’a-t-il coffré, le vieux Steinweg ?

– Chez lui, parbleu.

– Il faudrait donc savoir où Ribeira demeure.

– Parbleu !

Les ayant congédiés, il se rendit à la maison de retraite. Des automobiles stationnaient à la porte, et deux hommes allaient et venaient, comme s’ils montaient la garde.

Dans le jardin, près du pavillon de Mme Kesselbach, il aperçut sur un banc Geneviève, Pierre Leduc et un monsieur de taille épaisse qui portait un monocle. Tous trois causaient. Aucun d’eux ne le vit.

Mais plusieurs personnes sortirent du pavillon. C’étaient M. Formerie, M. Weber, un greffier et deux inspecteurs. Geneviève rentra, le monsieur au monocle adressa la parole au juge et au sous-chef de la Sûreté, et s’éloigna lentement avec eux. Sernine vint à côté du banc où Pierre Leduc était assis, et murmura :

– Ne bouge pas, Pierre Leduc, c’est moi.

– Vous !… vous !…

C’était la troisième fois que le jeune homme voyait Sernine depuis l’horrible soir de Versailles, et chaque fois cela le bouleversait.

– Réponds… Qui est l’individu au monocle ?

Pierre Leduc balbutiait, tout pâle. Sernine lui pinça le bras.

– Réponds, crebleu ! Qui est-ce ?

– Le baron Altenheim.

– D’où vient-il ?

– C’était un ami de M. Kesselbach. Il est arrivé d’Autriche, il y a six jours, et il s’est mis à la disposition de Mme Kesselbach.

Les magistrats cependant étaient sortis du jardin ainsi que le baron Altenheim.

– Le baron t’a interrogé ?

– Oui, beaucoup. Mon cas l’intéresse. Il voudrait m’aider à retrouver ma famille, il fait appel à mes souvenirs d’enfance.

– Et que dis-tu ?

– Rien, puisque je ne sais rien. Est-ce que j’ai des souvenirs, moi ? Vous m’avez mis à la place d’un autre, et je ne sais même pas qui est cet autre.

– Moi non plus ! ricana le prince, et voilà justement en quoi consiste la bizarrerie de ton cas.

– Ah ! Vous riez… vous riez toujours… Mais moi, je commence à en avoir assez… Je suis mêlé à des tas de choses malpropres sans compter le danger que je cours à jouer un personnage que je ne suis pas.

– Comment… que tu n’es pas ? Tu es duc pour le moins autant que je suis prince… Peut-être davantage même… Et puis, si tu ne l’es pas, deviens-le, sapristi ! Geneviève ne peut épouser qu’un duc. Regarde-la… Geneviève ne vaut-elle pas que tu vendes ton âme pour ses beaux yeux ?

Il ne l’observa même pas, indifférent à ce qu’il pensait. Ils étaient entrés et, au bas des marches, Geneviève apparaissait, gracieuse et souriante.

– Vous voilà revenu ? dit-elle au prince… Ah ! Tant mieux ! Je suis contente… vous voulez voir Dolorès ?

Après un instant, elle l’introduisit dans la chambre de Mme Kesselbach. Le prince eut un saisissement. Dolorès était plus pâle encore, plus émaciée qu’au dernier jour où il l’avait vue. Couchée sur un divan, enveloppée d’étoffes blanches, elle avait l’air de ces malades qui renoncent à lutter. C’était contre la vie qu’elle ne luttait plus, elle, contre le destin qui l’accablait de ses coups.

Sernine la regardait avec une pitié profonde, et avec une émotion qu’il ne cherchait pas à dissimuler. Elle le remercia de la sympathie qu’il lui témoignait. Elle parla aussi du baron Altenheim, en termes amicaux.

– Vous le connaissiez autrefois ? demanda-t-il.

– De nom, oui, et par mon mari avec qui il était fort lié.

– J’ai rencontré un Altenheim qui demeurait rue Daru. Pensez-vous que ce soit celui-là ?

– Oh non ! Celui-là demeure… Au fait, je n’en sais trop rien, il m’a donné son adresse, mais je ne pourrais dire…

Après quelques minutes de conversation, Sernine prit congé. Dans le vestibule, Geneviève l’attendait.

– J’ai à vous parler, dit-elle vivement… des choses graves… Vous l’avez vu ?

– Qui ?

– Le baron Altenheim… mais ce n’est pas son nom… ou du moins il en a un autre… je l’ai reconnu… il ne s’en doute pas…

Elle l’entraînait dehors et elle marchait très agitée.

– Du calme, Geneviève…

– C’est l’homme qui a voulu m’enlever… Sans ce pauvre M. Lenormand, j’étais perdue… Voyons, vous devez savoir, vous qui savez tout.

– Alors, son vrai nom ?

– Ribeira.

– Vous êtes sûre ?

– Il a eu beau changer sa tête, son accent, ses manières, je l’ai deviné tout de suite, à l’horreur qu’il m’inspire. Mais je n’ai rien dit jusqu’à votre retour.

– Vous n’avez rien dit non plus à Mme Kesselbach ?

– Rien. Elle paraissait si heureuse de retrouver un ami de son mari. Mais vous lui en parlerez, n’est-ce pas ? Vous la défendrez… Je ne sais ce qu’il prépare contre elle, contre moi… Maintenant que M. Lenormand n’est plus là, il ne craint plus rien, il agit en maître. Qui est-ce qui pourrait le démasquer ?

– Moi. Je réponds de tout. Mais pas un mot à personne.

Ils étaient arrivés devant la loge des concierges. La porte s’ouvrit. Le prince dit encore :

– Adieu, Geneviève, et surtout soyez tranquille. Je suis là.

Il ferma la porte, se retourna et, tout de suite, eut un léger mouvement de recul.

En face de lui, se tenait, la tête haute, les épaules larges, la carrure puissante, l’homme au monocle, le baron Altenheim.

Ils se regardèrent deux ou trois secondes, en silence. Le baron souriait.

Il dit :

– Je t’attendais Lupin.

Si maître de lui qu’il fût, Sernine tressaillit. Il venait pour démasquer son adversaire, et c’était son adversaire qui l’avait démasqué, du premier coup. Et, en même temps, cet adversaire s’offrait à la lutte, hardiment, effrontément, comme s’il était sûr de la victoire. Le geste était crâne et prouvait une rude force.

Les deux hommes se mesuraient des yeux, violemment hostiles.

– Et après ? dit Sernine.

– Après ? Ne penses-tu pas que nous ayons besoin de nous voir ?

– Pourquoi ?

– J’ai à te parler.

– Quel jour veux-tu ?

– Demain. Nous déjeunerons ensemble au restaurant.

– Pourquoi pas chez toi ?

– Tu ne connais pas mon adresse.

– Si.

Le prince saisit rapidement un journal qui dépassait de la poche d’Altenheim, un journal qui avait encore sa bande d’envoi, et il dit :

– 29, villa Dupont.

– Bien joué, fit l’autre. Donc, à demain, chez moi.

– À demain, chez toi. Ton heure ?

– Une heure.

– J’y serai. Mes hommages.

Ils allaient se séparer. Altenheim s’arrêta.

– Ah ! Un mot encore, prince. Emporte tes armes.

– Pourquoi ?

– J’ai quatre domestiques, et tu seras seul.

– J’ai mes poings, dit Sernine, la partie sera égale.

Il lui tourna le dos, puis, le rappelant :

– Ah ! Un mot encore, baron. Engage quatre autres domestiques.

– Pourquoi ?

– J’ai réfléchi. Je viendrai avec ma cravache.

LUPIN: Les aventures complètes

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