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Une vingtaine de gentilshommes et de capitaines catholiques étaient réunis, à Paris, dans la maison d'un des leurs, le sire de Losse, capitaine des harquebouziers du roi, le soir du samedi 23 août 1572, de la fête de Saint-Barthélemy.

Cette réunion n'avait aucun caractère de complot ni de parti: on soupait; on devait jouer après le souper.

Cependant les derniers événements et ceux qui se préparaient encore, ne pouvaient manquer de donner au souper une physionomie particulière, et de mêler aux entretiens quelques-unes des questions politiques qu'on agitait, à l'heure même, dans le conseil de Catherine de Médicis et de Charles IX.

La reine mère, prévoyant depuis plusieurs mois une nouvelle levée de boucliers de la part des réformés, et voulant épargner au royaume de son fils les déchirements d'une quatrième guerre civile, avait formé le projet atroce d'envelopper dans un massacre général les principaux chefs du protestantisme.

Son second fils, le duc d'Anjou, qui depuis fut roi de France et qui était alors lieutenant du royaume, se trouva le premier initié à ce projet de massacre que les Guise avaient fomenté sourdement, sans oser le réclamer comme une nécessité d'État.

Le comte de Retz, le comte de Saulx-Tavannes et le duc de Nevers, ces trois confidents favoris de Catherine, reçurent les inspirations perfides des ducs de Guise et d'Aumale, et firent remonter jusqu'à la cour de Rome la responsabilité de cette trahison sanguinaire.

Charles IX, dont l'esprit faible, vacillant, impressionnable et mobile, ne savait ni dissimuler, ni persévérer longtemps, ignora tout ce qu'on tramait autour de lui et servit d'instrument aveugle aux mystérieuses machinations de sa mère et des Guise.

Le mariage de Marguerite, sœur du roi, avec Henri de Bourbon, roi de Navarre, mariage qui semblait sceller la réconciliation des catholiques et des protestants, fut le moyen imaginé pour mettre un bandeau sur les yeux des victimes qu'on n'eût pas osé frapper en face.

Quoique le contrat eût été signé au mois d'avril, les noces n'eurent lieu que le 18 août, à cause de la mort de la reine de Navarre, Jeanne d'Albret, qu'une maladie subite avait emportée avec la rapidité et les apparences d'un empoisonnement.

Ces noces furent célébrées à Paris, en présence de la noblesse protestante qui avait été invitée aux fêtes magnifiques que le roi et la ville offrirent d'intelligence aux nouveaux époux.

Chaque gentilhomme de la religion réformée avait tenu à honneur de paraître à la cour dans une circonstance si glorieuse pour le parti protestant et de si bon augure pour l'avenir, car l'alliance d'une princesse catholique de la maison royale de Valois avec un prince calviniste de la maison de Bourbon était comme une triomphante image de l'union des deux religions jusqu'alors ennemies implacables, même à l'ombre des édits de pacification.

Toutes les provinces de France se voyaient donc représentées par leur meilleure noblesse que les lettres missives du roi et les avis officieux des chefs de la religion, le roi de Navarre, le prince de Condé et l'amiral de Coligny, avaient convoquée: plus de quatre mille protestants, ceux surtout qui étaient le plus attachés à la cause et qui l'avaient soutenue les armes à la main, se trouvaient alors à Paris; les catholiques s'y trouvaient aussi en bien plus grand nombre.

Les trois jours qui suivirent la cérémonie nuptiale mi-partie protestante et catholique furent remplis par des festins, des concerts, des tournois et des bals somptueux.

Les lices étaient dressées dans le préau de l'hôtel du Petit-Bourbon, près du Louvre et les principaux seigneurs des deux partis combattirent courtoisement à l'épée et à la lance, à pied et à cheval, dans les intermèdes d'un divertissement allégorique, qui n'avait pas été composé sans intention.

On y voyait le paradis défendu par le roi et ses frères, les ducs d'Anjou et d'Alençon, et assiégé par le roi de Navarre et le prince de Condé, représentant les esprits des ténèbres: le spectacle se terminait par la destruction de l'enfer qui s'abîmait au milieu des flammes.

Le choix de ce divertissement donna beaucoup à penser aux esprits sérieux et défiants; les autres ne s'en préoccupèrent pas et ne songèrent qu'à se divertir.

Le soir, le Louvre retentissait du son des instruments et du bruit joyeux des danses qui se prolongeaient bien avant dans la nuit.

Il en était de même par toute la ville, où l'on oubliait les vieilles querelles de religion, pour manger et boire ensemble, pour sceller à table un pacte de confiance et d'amitié.

On pouvait croire, à de pareils indices, que la paix en France était rétablie, solide et durable: la messe et le prêche avaient l'air de s'accorder et de vivre en bonne intelligence.

Tout changea le 22 août, lorsque Maurevert, embusqué dans une maison du cloître de Saint-Germain-l'Auxerrois, eut tiré par la fenêtre un coup d'arquebuse contre l'amiral de Coligny qui fut blessé au bras et à la main.

Un cri d'indignation s'éleva parmi les protestants, à la nouvelle de ce guet-apens, et peu s'en fallut qu'ils ne prissent les armes; de leur côté, les catholiques s'émurent et s'apprêtèrent à la résistance.

De ce moment où toutes les haines s'étaient réveillées, on s'éloigna les uns des autres, on s'observa, on se tint sur ses gardes.

Charles IX paraissait pourtant décidé à s'associer aux justes plaintes des amis de l'amiral, qui accusaient les Guise: il jura par la mort-Dieu, son serment habituel, qu'il ferait justice de l'assassin et de ses complices; il ordonna même aux Guise de quitter la cour.

Ce fut une première satisfaction donnée aux chefs protestants, qui se reprochèrent bientôt leur défiance et se reposèrent sur la bonne foi du roi.

La blessure de l'amiral, qu'on avait transporté à l'hôtel où il logeait dans la rue de Béthisy, fut pansée par le célèbre Ambroise Paré: on craignait encore que la balle n'eût été empoisonnée.

Le roi, accompagné de sa mère, de ses frères et de ses premiers officiers, vint rendre visite à Coligny et lui témoigna, en l'appelant son père, le chagrin qu'il éprouvait de cet odieux attentat.

La démarche du roi et ses paroles toutes bienveillantes, qui passèrent aussitôt de bouche en bouche, achevèrent d'aveugler les calvinistes et d'endormir les soupçons.

Paris néanmoins restait frappé de stupeur et comme dans l'attente.

Les protestants s'écartaient des catholiques, et ceux-ci avaient des regards sombres, haineux et inquiets; une partie des boutiques restaient fermées; la milice bourgeoise était prête à marcher, au premier ordre des quarteniers; le Louvre se garnissait de soldats, et dans les rues désertes, où passaient des troupes de gens armés, on remarquait des groupes de peuple stationnant et parlant à voix basse.

Les calvinistes, qui se trouvaient dispersés dans différents quartiers de la ville, avaient reçu secrètement avis de se rapprocher du quartier du Louvre où demeuraient leurs chefs: on accusa depuis Catherine de Médicis d'avoir transmis cet avis aux victimes qu'elle voulait, en quelque sorte, rassembler sous sa main avant le massacre.

Catherine fut donc l'âme de cet horrible complot, qu'on ne révéla au roi que la veille de l'exécution. Charles IX s'emporta d'abord et refusa énergiquement d'y participer, même de l'autoriser; mais sa mère connaissait l'art de le soumettre aux opinions et aux actes qu'elle lui imposait, et après quelques insinuations perfides, quelques mensonges adroits, elle métamorphosa les idées du roi, au point de lui faire adopter, comme utile et nécessaire, le plan de l'extermination des hérétiques qui entretenaient la guerre civile en France.

A l'instant, tout s'organisa en silence pour les nouvelles Vêpres siciliennes, qui devaient prendre le nom de Matines françaises et qui furent fixées au dimanche 24 août, jour de la fête de saint Barthélemy.

Le fatal secret resta fidèlement gardé entre six ou huit personnes, jusqu'à la veille au soir.

Ce soir-là, le prévôt des marchands fut mandé au Louvre et introduit dans le conseil royal, où il reçut les instructions les plus précises pour seconder la prise d'armes des catholiques, en faveur de laquelle on prétextait une conspiration des calvinistes contre la vie du roi. Les quarteniers et les notables bourgeois furent convoqués pour minuit à l'hôtel de ville.

Les chefs et les gentilshommes catholiques ignorent toujours ce qui se trame; mais ils savent que le conseil du roi et de la reine mère a été longtemps en séance aux Tuileries et au Louvre. Des bruits vagues d'émeute, d'assassinat et de guerre circulent de toutes parts et deviennent de plus en plus menaçants.

Charles IX a envoyé un capitaine de sa garde, Cosseins, avec cinquante hommes, à l'hôtel de Béthisy, comme pour le garder et pour mettre en sûreté l'amiral; le roi de Navarre et le prince de Condé, qui logent au Louvre, ont été invités à rappeler auprès d'eux les officiers de leur maison, leurs capitaines et leurs amis, afin de pouvoir se réunir et faire tête au danger, en cas d'un soulèvement du peuple.

La ville est tranquille, en apparence, et pas un habitant ne se montre dans la rue: des chandelles, des lanternes et des lampes, allumées aux fenêtres, répandent partout une vive clarté qui se reflète à l'horizon et qui semble assurer le sommeil des citoyens contre les embûches de leurs ennemis. Le Louvre seul et le quartier environnant sont plongés dans l'obscurité.

La dette de jeu (1572)

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