Читать книгу La dette de jeu (1572) - P. L. Jacob - Страница 7

V

Оглавление

Table des matières

—Où allons-nous? demanda Jacques de Savereux, dont l'air frais de la nuit combattait en vain l'ivresse et le sommeil.—Nous allons nous coucher, j'imagine? reprit Yves de Curson, qui était forcé de soutenir son compagnon de route pour l'empêcher de tomber endormi.—Où sommes-nous? ajouta Savereux en hésitant sur la direction qu'il devait prendre.—Nous sommes près du Louvre, mais je serais en peine de nommer ce carrefour.—Si nous allons nous coucher, camarade, ce sera nous épargner des pas, que de nous étendre là sur ce tapis.—Quel tapis? le pavé du roi? il est moins douillet qu'un lit d'hôpital, et c'est affaire aux gueux de dormir dans la rue.—Ma foi, vous êtes bien dégoûté! murmura Jacques de Savereux.

Pour joindre l'exemple au précepte, il s'était laissé glisser par terre.

—Je trouve, moi, ce coucher très-honorable.—Levez-vous, monsieur de Savereux, je vous en prie, pour votre honneur? Si quelqu'un vous voyait!...—Je voudrais que le roi me vît! répondit le gentilhomme ivre, qui persistait à rester étendu sur le pavé.—Si un cheval ou quelque charroi passait par là, vous seriez écrasé sans dire gare?—Mordieu! je serais réjoui qu'un rustre de cavalier ou de charretier me rompît une côte ou deux: je me déchargerais sur lui de la grosse colère que j'ai amassée ce soir contre ces ivrognes qui vous ont injurié et menacé...—Nous les retrouverons demain au Pré-aux-Clercs; mais pour y être dispos et vaillants, il nous faut ce soir chercher nos lits!—A demain donc, au Pré-aux-Clercs! répéta Jacques de Savereux, qui déjà ne voyait plus et entendait à peine.—Sur mon âme! monsieur de Savereux, je ne puis vous abandonner cuvant votre vin en pleine rue...—Or, couchez-vous près de moi: le lit est assez large pour deux.—Et vous, monsieur de Savereux, vous ne pouvez, sans vous faire tort, me délaisser errant et égaré en cette ville que je ne connais pas.—Que ne parliez-vous ainsi tout d'abord? reprit Savereux.

Il fit un effort prodigieux de volonté, pour avoir le courage de se soulever, à moitié ivre mort, et de se remettre sur pied, avec l'aide du gentilhomme breton.

—Marchons! dit-il en marchant pas à pas.—Par là, vous retournerez à l'endroit d'où nous venons!... Il serait bon de savoir où va chacun de nous.—Je m'en vais vous conduire à votre hôtel; après quoi, bonsoir, messieurs, et bonne nuit.—Je retournerai, s'il vous plaît, à l'hôtel de Béthisy, où loge M. l'amiral, et demain, dès l'aube, j'irai querir, au faubourg Saint-Germain, où demeure madame ma mère, la somme de soixante-dix mille écus, que j'ai perdue au jeu contre vous.—Soixante-dix mille écus! s'écria Savereux, à qui les fumées du vin enlevaient le souvenir de son bonheur au jeu: je n'en souhaiterais pas davantage!—Vous les aurez, répondit en soupirant M. de Curson. C'est à peu près la dot de ma sœur!—Par la messe! votre sœur est-elle jolie? je l'épouse.—Elle ne vous a pas attendu, par malheur, et elle se marie demain à un des plus braves gentilshommes de la religion.—J'en suis fâché, monsieur de Curson, car, étant déjà votre frère d'armes, je me serais fait votre frère d'alliance!

Jacques de Savereux se traînait en chancelant sur les pas d'Yves de Curson et luttait faiblement contre le sommeil bachique qui devenait, à chaque instant, plus impérieux et plus irrésistible.

Il était censé montrer le chemin à M. de Curson et le conduire à l'hôtel de Béthisy, mais il allait au hasard et en aveugle, suivant toujours la rue qui s'offrait la première et s'égarant de plus en plus dans le dédale du vieux quartier du Louvre.

Le gentilhomme protestant, qui croyait parvenir tôt ou tard à sa destination, se prêtait lui-même à ces continuelles déviations de route, en ne les remarquant pas; car il était plongé dans une morne rêverie, et il marchait comme un somnambule, sans songer à s'orienter ni à s'expliquer comment il n'arrivait pas à l'hôtel de Béthisy.

Il soupirait par intervalles et sentait des larmes humecter ses paupières: l'emportement et l'exaltation du jeu avaient cessé, et il se retrouvait avec toute sa raison, en face d'une énorme perte qu'il ne pouvait combler qu'aux dépens de la dot de sa sœur.

Il ne parlait donc plus à M. de Savereux, qui profitait de ce silence pour sommeiller tout à son aise, en réglant son pas sur celui de son guide, et en se laissant aller, pour ainsi dire, à un mouvement machinal.

—Voici encore le Louvre! s'écria M. de Curson.

En sortant de la rue de la Vieille-Monnaie, à l'endroit où Henri III posa la première pierre du Pont-Neuf en 1578, il avait aperçu la Seine devant lui, et à sa droite l'hôtel du Petit-Bourbon, les tours et les bâtiments du Louvre, éclairés par une lune blafarde que d'épais nuages gris couvrirent alors comme d'un linceul.

—Le Louvre? dit Savereux qui ne s'éveilla pas tout à fait en rouvrant les yeux. Nous lui tournons le dos depuis une heure.—Le voilà pourtant devant nous, et nous ne sommes pas près de la rue de Béthisy, ce me semble!—Ce que vous prenez pour le Louvre n'est autre que l'hôtel de Béthisy où est logé M. l'amiral.—Quoi! vous ne reconnaissez pas le Louvre? La rivière, à votre avis, coule-t-elle dans la rue de Béthisy?—Qui a la berlue de vous ou de moi? repartit avec obstination Jacques de Savereux.

Il quitta le bras qui l'avait soutenu jusque-là, et il marcha d'un pas inégal dans la direction du Louvre.—Où va-t-il? disait Yves.—Je vais demander au roi si c'est bien le Louvre que je vois.—C'est à moi de le conduire, pensa Yves de Curson qui cherchait des yeux à retrouver son chemin: il a laissé sa raison au fond de la bouteille!—Ah! brigand! ah! traître! criait Savereux, qui, dans sa marche oblique, avait heurté contre la muraille d'une maison.

Indigné de se sentir arrêté par cet obstacle qu'il croyait vivant et hostile, il voulut tirer son épée et se mettre en garde, en s'éloignant du mur sur lequel il retombait sans cesse.

—Je t'apprendrai, criait-il, ce que c'est que ma Durandale, et te ferai confesser, le pied sur la gorge, que je suis fils de Roland, du côté de l'épée.—Savereux, mon ami, dit M. de Curson allant à lui et l'empêchant de dégainer, demeurez ici un instant, pendant que je m'enquerrai de la route? Je reviens à vous, dès que j'aurai avisé quelqu'un qui nous serve de guide.—Frère d'armes, embrasse-moi! murmura M. de Savereux.

Il n'eut pas plutôt perdu l'équilibre, qu'il s'affaissa sur lui-même et se coucha le long du mur, en se disposant à dormir jusqu'au lendemain.

—A boire encore, à boire, boire, boire! murmura-t-il en s'endormant.—La peste du buveur! il faudra le porter dans son lit... Je ne puis faire sentinelle à ses côtés toute la nuit... Si quelques bourgeois venaient à propos... Personne! tout le monde dort... excepté les voleurs et le guet... J'entends là-bas des gens qui passent... Le capitaine de Losse, qui me devait ramener à l'hôtel de l'amiral, ne tient guère sa parole.

Yves de Curson voulut rejoindre les personnes qu'il ne voyait pas, mais qu'il entendait dans le lointain.

Il courut de ce côté; mais le bruit des pas et des voix, qui l'avait guidé, cessa complétement, lorsqu'il se fut engagé dans les rues étroites et tortueuses, voisines de l'Arche-Marion.

Il y avait des chandelles aux fenêtres des maisons: ces rues, ordinairement si ténébreuses, étaient mieux éclairées qu'elles ne l'avaient jamais été en plein jour; elles étaient aussi plus désertes et plus silencieuses que jamais.

Par intervalles, une porte s'ouvrait, et il s'en échappait comme une ombre qui disparaissait sur-le-champ.

M. de Curson appelait et n'obtenait aucune réponse.

Une fois, il distingua une arquebuse sur l'épaule d'un homme qui sortait d'une maison et s'esquivait sans tourner la tête à son appel.

Il essaya d'éveiller quelque marchand dans sa boutique: il frappa rudement à des volets, entre les fentes desquels il avait entrevu de la lumière; mais la lumière s'éteignit, et la boutique resta close et muette.

Il espérait toujours rencontrer une patrouille du guet.

Cette nuit-là, le guet ne se montra nulle part, et les gens sans aveu, qui étaient à cette époque plus nombreux que les soldats du guet, se tinrent renfermés dans leurs cours des Miracles.

La dette de jeu (1572)

Подняться наверх