Читать книгу La dette de jeu (1572) - P. L. Jacob - Страница 8
VI
ОглавлениеUne heure sonnait en carillon à l'horloge du palais, lorsque le gentilhomme breton, découragé de ces recherches inutiles, retourna lentement sur ses pas et interrogea plusieurs fois les mêmes rues, avant de revenir à son point de départ.
Il se trouvait sur le bord de l'eau, à l'extrémité de la rue de la Vieille-Monnaie; mais comme il ne vit pas Jacques de Savereux qu'il y avait laissé endormi, il crut un moment s'être encore égaré et n'avoir pas regagné au même endroit le bord de la rivière.
La vue du Louvre, qu'il apercevait à travers une espèce de brume, l'empêcha de chercher ailleurs le lieu où était resté son compagnon de route; il appela M. de Savereux à plusieurs reprises, longea les premières maisons bâties sur la grève et arriva justement à la place que le dormeur avait occupée: il y ramassa une chaîne d'or.
C'était bien la chaîne qu'il avait ôtée de son cou et que Jacques de Savereux avait mise au sien.
Cette chaîne valait une grosse somme, et l'on pouvait affirmer que celui qui la portait n'avait point été attaqué par des voleurs, puisqu'un objet de si grand prix se trouvait à terre et témoignait que personne ne l'y avait vu.
Yves de Curson en conclut que cette chaîne s'était détachée dans la chute du gentilhomme ivre.
Il la cacha dans sa poche, le cadenas qui la fermait étant brisé, et il se promit de ne plus s'en dessaisir, même en pareille circonstance.
Ces souvenirs de jeu l'attristèrent, et il soupira, en se disant qu'il devait soixante-dix mille écus d'or à M. de Savereux, qu'il ne les avait pas à lui, et qu'il s'était engagé à les payer le lendemain matin!
Cette pensée le ramena naturellement à celle de sa mère et de sa sœur, sa sœur surtout, qui était venue comme un bon ange pour l'arracher à ce fatal jeu; sa sœur qu'il allait dépouiller, afin de faire honneur à une dette de jeu garantie par sa parole!
Revoir sa sœur et sa mère, leur avouer son malheur et obtenir leur pardon, telle fut alors sa vive préoccupation, et il se rassura lui-même sur le sort de M. de Savereux, qui était sans doute rentré au Louvre, pour s'autoriser à se rendre au faubourg Saint-Germain où logeait sa famille, plutôt que de retourner à l'hôtel de Béthisy où il logeait comme appartenant à la maison de l'amiral.
Il attendit encore quelques instants, en se promenant sur la rive, avec l'espoir d'être rejoint par Jacques de Savereux.
Il l'appela de nouveau à plusieurs reprises; mais les échos de la rivière lui répondirent seuls, et il se décida enfin à s'acheminer vers le faubourg Saint-Germain, qu'il voyait de l'autre côté de l'eau et qu'il devait atteindre par un long détour, faute d'une barque pour passer la rivière.
Il ne connaissait pas trop son chemin et il se dirigea pourtant à tout hasard vers le Pont-au-Change.
Ses cris avaient attiré deux harquebutiers de la garde du roi, qui s'approchèrent, la mèche allumée, et qui s'éloignèrent après l'avoir examiné en silence.
En arrivant près du Grand-Châtelet, vis-à-vis du pont, il tomba au milieu d'une troupe d'hommes armés, qui venaient de l'hôtel de ville, à petits pas et sans flambeaux: il fut entouré avant qu'il eût le temps de tirer son épée et de se mettre sur la défensive.
Les gens qui l'environnaient n'avaient heureusement pas une apparence très-formidable: c'étaient d'honnêtes figures de bourgeois, exprimant l'inquiétude plutôt que des intentions hostiles et menaçantes.
Quelques-uns même paraissaient remplis d'une émotion qui ressemblait à celle de la peur.
Les armes dont ils étaient chargés ajoutaient encore au comique de leur physionomie et n'annonçaient pas qu'ils voulussent en faire usage: l'un avait sur la tête un morion de fer bruni, l'autre un chapeau, celui-ci un bonnet, celui-là un vieux casque rouillé; qui succombait sous le poids d'un épieu; qui portait une arbalète hors de service; qui brandissait une épée à deux mains; qui faisait sonner sur son dos une arquebuse sans mèche; mais tous avaient des couteaux et des poignards.
Le chef de la bande, sans être plus guerrier que ses soldats, se distinguait du moins par un équipement plus militaire.
—Dieu vous garde, compère! vous êtes un des nôtres! dit ce chef.
Et il désignait de la main le mouchoir noué autour du bras de M. de Curson et la croix blanche attachée au chapeau que Jacques de Savereux avait laissé en échange du sien à ce gentilhomme.
Yves de Curson remarqua seulement alors le signe de ralliement, la croix blanche au chapeau et le mouchoir blanc au bras gauche, que portaient ces gens qu'il prenait pour une escouade du guet dormant ou milice bourgeoise.
Il s'aperçut que le hasard lui avait donné aussi le même signe de ralliement, et il eut la prudence de ne leur demander aucune explication à ce sujet.