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Influence que le Code Napoléon a en général sur la prospérité de l’Agriculture, en ce qu’il donne une plus grande garantie au Droit de Propriété.

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PLUSIEURS écrivains ont avancé que l’agriculture prospère bien moins en raison de la fertilité naturelle du sol sur lequel on l’exerce, qu’en raison de la sagesse des lois qui la protègent; et certainement rien n’est plus vrai. Les manières dont les lois peuvent favoriser ce premier des arts et le plus intéressant, sont infinies; mais la plus efficace est sans doute celle qui tend à établir la sûreté des propriétés individuelles, parce que où cette sûreté manque, manque aussi le principal motif et l’aiguillon le plus puissant de l’industrie. Et qu’on ne croye pas que pour jouir d’un bien si précieux, il suffise d’avoir eu le bonheur de ne pas être né dans quelques unes de ces malheureuses contrées, où les fortunes des particuliers sont évidemment exposées à tout moment à la rapacité et aux caprices d’un Sultan, qui se regarde comme le seul propriétaire de toutes les terres de ses sujets, ou, pour mieux dire, de ses esclaves. On peut ne pas trouver, même dans les monarchies modérées, et sous les meilleurs princes, la sûreté des propriétés: elle y vient à manquer d’une manière moins frappante à la vérité que dans les états despotiques, toutes les fois que les lois civiles sont incohérentes, obscures, contradictoires, en un mot telles, qu’on ne puisse les appliquer que difficilement à la décision de cas particuliers; car les jugemens arbitraires découlant naturellement des défauts que nous venons de signaler, personne ne peut être assuré de la possession de son patrimoine. Tous ces défauts existaient précisément dans cet antique recueil de lois si vénérées, et à plusieurs égards effectivement estimables, qui, jusqu’à la publication du Code Napoléon, ont formé la base principale de la jurisprudence de l’Europe.

A Rome, soit sous les rois, soit pendant la république et la domination des Césars, l’administration de la justice a toujours été arbitraire. Dans les trois premiers siècles, comme il n’y avait aucun corps de lois écrites, les rois qui avaient seuls l’exercice du pouvoir judiciaire, et par la suite les consuls qui leur succédèrent dans cette attribution, comme presque dans toutes les autres, ne suivaient dans leurs jugemens, souvent variables, que leurs lumières et leur équité ; et autant dire leur fantaisie. Un si grand inconvénient ne trouva pas de remède dans les lois que publièrent les Décemvirs, parce qu’étant trop concises, elles avaient besoin d’une continuelle interprétation, qui était un mystère réservé au Collège des pontifes, où les plébéiens ne purent entrer qu’assez tard; de manière que le simple citoyen ne pouvait jamais savoir s’il avait été bien ou mal jugé, et finissait toujours par être victime quand il avait le mal heur de plaider contre les patriciens. A mesure que la république s’étendit, et renonça à sa pauvreté primitive, la complication des rapports et des intérêts particuliers accrut le nombre des affaires litigieuses. Alors aux lois des XII tables, succédèrent beaucoup d’autres lois qui, si elles n’étaient pas énigmatiques et presque impénétrables comme les premières, avaient un autre inconvénient qui s’opposait également à l’introduction d’un droit fixe. Ces lois étaient dissonnantes et contradictoires, suivant les variations d’intérêts et de vues des différentes autorités dont elles émanaient; car un des principaux vices de la république romaine fut incontestablement de n’avoir jamais su bien déterminer en qui devait résider l’exercice du pouvoir législatif, pouvoir qui fut toujours par cela même extrêmement variable et partagé. Le sénat, les centuries, les tribus, les dictateurs, les consuls, et, qui pourrait le croire! les préteurs mêmes, c’est-à-dire les simples juges, étaient autant de législateurs . Les jurisconsultes qui n’étaient point à Rome, comme ils le sont parmi nous, les défenseurs des causes (fonction réservée alors aux orateurs), mais qui ne s’attachaient qu’à démêler les difficultés et les doutes qui leur étaient proposés en matière de droit, pour faciliter de cette façon aux parties et aux juges mêmes l’intelligence d’un amas si prodigieux de lois obscures et contradictoires entr’elles, ces jurisconsultes bien loin de remédier au mal, ne firent que contribuer à l’accroître par la contradiction et le partage de leurs opinions; car Jules César leur ôta la faculté de répondre aux consultations. Ce grand homme était tellement persuadé de l’état déplorable de la jurisprudence romaine, qu’il avait lui - même commencé à se livrer à une nouvelle compilation de lois; dessein que, par les mêmes raisons, Cicéron et Pompée avaient aussi conçu, mais qu’aucun d’eux n’a exécuté. Ainsi, on vit toujours régner la même incertitude de droit, ou le manque de règles fixes et générales qui enseignassent à juger de la bonté ou de l’injustice d’une cause; motif qui détermina Auguste à rendre non-seulement aux jurisconsultes cette faculté de répondre, mais encore à les élever pour ainsi dire à la qualité de juges, et même de législateurs, en obligeant les tribunaux à se conformer à leur sentiment. Les constitutions que ce premier des Césars et ses successeurs émirent en si grande quantité, accrurent toujours de plus en plus l’incertitude du droit, parce que les lois précédentes continuèrent à subsister; incertitude qui devint d’autant plus grande, que les jurisconsultes qui fleurirent depuis Auguste se livrèrent avec passion à l’étude de la philosophie des Grecs. Bientôt ils se divisèrent en sectes; et une science qui n’était déjà, dès le commencement, que trop obscure et compliquée, se trouva ainsi hérissée de nouvelles difficultés; de manière que l’on peut dire qu’à l’avénement de Justinien au trône, la jurisprudence était véritablement plongée dans un chaos; et c’est pour l’en tirer que ce prince fit travailler sur-le champ à une nouvelle compilation de lois.

Nous n’avons que très-peu de notions sur le sort qu’éprouvèrent les lois de Justinien immédiatement après leur émission; ce que nous savons seulement, c’est que les troubles qui, durant la vie même de ce prince, agitèrent les provinces de l’empire d’Occident, ne permirent pas qu’elles y fussent généralement reçues, et que dans l’Orient même, après avoir subi beaucoup de modifications depuis la mort de Cet empereur, elles perdirent en moins d’un demi-siècle presque toute leur autorité , même à Constantinople; ce qui n’est pas certainement une preuve que cette fameuse collection de Justinien, eût sur le rétablissement de l’ordre et du système judiciaire, l’heureuse influence que ce prince s’en était promise; et il était difficile qu’elle pût atteindre ce but. Pour dégager la jurisprudence du chaos où Justinien l’avait trouvée, il fallait un Code civil proprement dit, ou un système de législation simple, clair, lié dans toutes ses parties, et facilement applicable à la décision de cas particuliers, et non une compilation de lois antiques, qui par sa nature devait leur laisser cette obscurité, ces antinomies, et tous les autres vices capitaux de leur origine: c’est ce qui arriva effectivement.

Tout le monde sait que les lois de Justinien, après avoir été entièrement oubliées dans l’occident pendant une longue suite de siècles, revirent le jour dans le onzième siècle, grâce à la découverte que l’on fit à Amalfi du livre des Pandectes, et à Ravenne de celui du Code, sous le règne de Lothaire II qui, ravi d’une découverte aussi importante, ordonna par un édit, qu’en mettant entièrement de côté les lois barbares, le Droit romain fût désormais reçu dans toutes les écoles et dans tous les tribunaux de l’empire. Si ce renouvellement de lois romaines contribua beaucoup à la civilisation de l’Europe, sur-tout en mettant les discussions de la raison à la place des épreuves insensées et cruelles du fer chaud, de l’eau bouillante et du duel, que la barbarie des lois jointe à une extrême superstition, faisait respecter comme autant de jugemens particuliers de Dieu, et par conséquent comme les seuls moyens de terminer les contestations, et de décider de la culpabilité ou de l’innocence des accusés, cet événement n’eut pas un effet aussi heureux relativement à l’introduction de la certitude du droit, qui est sans contredit l’objet le plus essentiel de toute législation civile. Nous connaissons parfaitement bien cette seconde époque de la jurisprudence de Justinien; et par conséquent, on peut, sans flotter entre les conjectures, assurer que dans toutes les contrées où elle fut introduite, on ne tarda pas à voir s’établir les mêmes inconvéniens qui, comme nous l’avons déjà observé, régnèrent constamment à Rome pendant les trois différentes formes de son gouvernement, et par lesquels, au grand préjudice du droit de propriété, la justice s’était presque toujours rendue d’une manière arbitraire.

En effet, depuis qu’Irnerius, autorisé par l’édit de l’empereur Lothaire, eut commencé à expliquer à Bologne les lois romaines, et que de cette Université si fréquentée, l’étude de ces mêmes lois se fût propagée dans les autres parties de l’Italie et de l’Europe, on vit se multiplier de jour en jour les glossateurs. A ceux-ci succédèrent les tractatistes, ensuite les consultans, puis les rédacteurs de décisions des tribunaux, et enfin les compilateurs de Conclusions, de Répertoires, et d’une infinité d’autres livres semblables, de manière que les ouvrages de droit s’élevèrent bientôt à un nombre cent fois supérieur à celui de deux mille volumes, que Justinien avait trouvé de son tems. Et comme les auteurs de ces ouvrages avaient acquis dans les tribunaux une autorité considérable, peut - être même plus grande que celle des lois elles-mêmes, l’immense variété des opinions, qui se trouvait nécessairement dans un si grand nombre de livres, a fait que la jurisprudence est devenue très-épineuse et difficile, et a du nécessairement jeter de l’indécision dans l’esprit de ceux qui étaient chargés de rendre la justice. Le grand détriment que devaient ainsi éprouver les propriétés particulières, qui restaient toujours incertaines et exposées aux contestations, avait fait penser depuis long-tems à tous les bons esprits, que pour remédier radicalement à une si grande défectuosité, il n’y avait qu’un seul expédient véritablement efficace, c’était de procéder à la confection d’un nouveau Code de lois.

Vers le milieu du seizième siècle, époque à laquelle les lois de Justinien acquirent un nouveau lustre par les soins de tant de grands-hommes qui, sur-tout en Italie et en France, commencèrent à les interpréter avec plus de succès qu’on n’avait réussi à le faire jusqu’alors, il parut en France un ouvrage écrit tout exprès pour prouver que la barbarie des premiers glossateurs, aussi bien que les subtilités scholastiques des tractatistes et des consultans venus à leur suite, et la différence si multipliée de leurs opinions, n’étaient que des vices et des défauts, pour ainsi dire, extrinsèques de la jurisprudence; mate que le vice et le défaut radical était inhérent à la substance et à la matière même de cette science, c’est-à-dire aux lois propres de Justinien, qui, de leur nature, devaient produire l’obscurité, l’ambiguité et la discorde, et auxquelles, en conséquence, il convenait de substituer un nouveau Code qui eut plus de cohérence, qui fût plus simple et plus clair. Le frontispice même d’un pareil livre indiquait ouvertement ce projet, puisqu’il portait le titre d’ Antitribonien; et on ne peut dire que l’auteur, qui était François Hotman, blasphémât ce qu’il ignorait. Ses ouvrages précédens lui avaient acquis la réputation d’un très-profond jurisconsulte, que les plus célèbres Universités avaient à l’envi voulu posséder, et que Cujas lui-même si avare d’éloges, dit Gravina, avait loué. C’était alors une opinion constante qu’il avait été excité à cette entreprise par le chancellier de l’Hôpital; opinion qui n’a jamais été démentie, et qui semble d’autant plus fondée, que cet habile magistrat qui après plus de deux siècles, n’a encore rien perdu de la grande considération dont il jouissait chez ses contemporains, avait, au dire du président de Thou (lib. 39), prononcé dans une assemblée des états-généraux sous Charles IX, un discours très-énergique sur ce même sujet de la nécessité d’un nouveau Code.

Ces imperfections intrinsèques et radicales de la collection de Justinien, que le savant jurisconsulte français, dont nous venons de parler, dévoila le premier à l’Europe, dans un tems où elle était le plus infatuée d’une admiration presque religieuse pour ce même recueil, furent mieux reconnus dans les dix-septième et dix-huitième siècles, puisque c’est dans le premier que prit naissance la science du droit public et de la législation, et dans l’autre qu’elle se propagea. Il serait certainement très-long de citer seulement les noms des écrivains, qui, chez les différentes nations, pendant ces deux siècles de lumière, énoncèrent leurs vœux pour que l’on fît un nouveau Code de lois civiles; mais ces vœux jusqu’à nos jours sont restés stériles, ou n’ont été que très-imparfaitement accomplis , en sorte que c’est à Napoléon-le-Grand qu’a été réservée la gloire de réaliser de si longues espérances.

A peine mis à la tête du gouvernement dans l’heureuse et mémorable journée du 18 brumaire de l’an VIII (9 novembre 1799),et lorsque le danger d’une dissolution totale dont les coalitions extérieures et les dissentions intestines menaçaient la nation et paraissaient devoir absorber toutes les pensées de ce héros, quelque grand et fécond que soit son génie, il commença néanmoins à s’occuper de la confection d’un nouveau Code civil, et avec le même calme que s’il se fût trouvé dans les tems les plus tranquilles. Il put par la suite donner plus de soins à l’exécution d’un si grand dessein, lorsqu’au bout de quelques mois ayant fait cesser tous ces maux, de manière à ce qu’on en eût presque perdu jusqu’au simple souvenir, il put s’abandonner à toutes ses vastes conceptions et travailler à élever la France à ce haut degré de puissance et de gloire où elle n’était encore jamais parvenue. S’il témoigna le plus grand empressement à voir ce grand œuvre du Code civil promptement terminé , ce ne fut qu’avec la plus sage lenteur qu’il le mit en activité. Nous savons tous qu’il voulut que ce Code fût soumis pendant quatre années à de continuelles discussions, auxquelles il intervenait lui-même; de manière que si la France et le Monde sont redevables à Napoléon-le-Grand d’en avoir conçu le projet et ordonné la rédaction, c’est encore à lui et à ses réflexions profondes qu’ils doivent de l’avoir vu porté à cette perfection qui le caractérise.

«Il a voulu, disait à ce sujet un des

» estimables rédacteurs de ce Code, il a voulu

» être lui-même le témoin et le coopérateur de

» ce grand oeuvre; la postérité verra le plus célèbre

» des héros, le plus profond des politiques

» être en même tems au milieu de son conseil

» d’état, celui qui montra le plus de sagacité,

» le plus de prévoyance, le plus d’idées neuves,

» le plus de moyens pour que le monument

» que l’on se proposait d’élever fût

» impérissable». Et, à vrai dire, il est impossible de trouver à aucune époque, ni dans aucun autre pays, une législation qui ait été soumise à un pareil examen. On ne doit donc pas être étonné qu’un ouvrage aussi mûrement médité ait été adopté dans les premiers momens même de sa publication, et sur la simple réputation de sa sagesse par plusieurs peuples entièrement étrangers à l’Empire Français.

Le Code Napoléon renferme en lui-même tous les grands principes de justice intrinsèque et d’équité naturelle, qui étaient le côté par lequel tes lois romaines s’étaient rendues si généralement estimables; il est, de plus, exempt de tous les défauts de ces même lois. On y voit briller de la manière la plus éminente l’ordre, l’enchaînement le plus étroit des principes et des maximes, avec la simplicité et la clarté ; avantages qui manquaient aux lois romaines, et qui sont pourtant absolument nécessaires pour que les divers articles d’un Code civil puissent non-seulement s’appliquer facilement à la décision des cas particuliers; mais encore pour que le Code lui-même puisse être à la portée du peuple qu’il est destiné à régir; de manière qu’en comparant ensemble ces deux législations, on peut franchement assurer, sans crainte d’exagération, qu’il n’y a pas moins de différence entre la première et la seconde, qu’entre un amas confus et informe de matériaux destinés à la construction d’un édifice, et ce même édifice lorsqu’il est élevé et achevé dans toutes ses parties: et dire cela, c’est assez faire entendre que le Code Napoléon est la législation la plus accomplie, et en même tems la plus sage, dont jamais aucun peuple de la terre ait joui; car la compilation ordonnée par Justinien était encore, malgré ses défauts, le Code de lois le moins imparfait qui fût sorti de la main des hommes.

Si le Code Napoléon, par les inappréciables avantages de l’ordre, de la liaison et de la clarté de idées, a dissipé toutes les ambiguités, les contradictions et les incertitudes, dans lesquelles, autrefois, la jurisprudence avait toujours été enveloppée, au très-grand préjudice du droit de propriété qui demeurait toujours flottant et douteux, cet ouvrage immortel a encore bien mérité du droit de propriété, puisque c’est uniquement sur lui qu’il se fonde, et qu’il ne s’est trouvé ni plus respecté , ni mieux développé dans aucun autre Code: de manière que le Code Napoléon pourrait à juste titre être appelé réellement, comme il l’a déjà été, le Code constitutionnel de la propriété.

Or une législation qui est, à tant d’égards, si favorable au droit de propriété, combien ne doit-elle pas influer sur l’amélioration de la culture des terres, qui sont sans aucun doute l’objet le plus important et le plus noble sur lequel un tel droit s’exerce.

Mais poursuivons nos observations sur ce grand œuvre de sagesse législative, et nous verrons, qu’indépendamment de cette grande impulsion qu’il a donnée au développement de l’industrie agraire, il la favorise encore singulièrement par l’extirpation radicale de deux grands inconvéniens auxquels elle était sujette auparavant. L’exposition de ce nouvel avantage du Code Napoléon formera le sujet du chapitre suivant.

La Législation de Napoléon-le-Grand: Agriculture

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