Читать книгу Documents sur les juifs à Paris au XVIIIe siècle : actes d'inhumation et scellés - Paul Hildenfinger - Страница 4
I.
ОглавлениеOn sait qu’en 1702 Paris avec ses faubourgs avait été divisé en vingt quartiers, où se trouvaient répartis quarante-huit commissaires, portant le titre officiel de commissaires-enquêteurs-examinateurs au Châtelet et placés sous l’autorité du Lieutenant général de police. Cette subdivision, qui subsista durant tout le siècle, n’était pas en fait toujours étroitement respectée: le commissaire de tel quartier pouvait, le cas échéant, aller exercer dans tout autre quartier , et quand il s’agissait d’une opération particulièrement lucrative comme un scellé, il ne se faisait pas faute de «se transporter» jusqu’à la campagne . D’autre part, en dehors de leurs attributions locales, les commissaires pouvaient être chargés par le Lieutenant de police, pour toute la circonscription parisienne, d’un département administratif: approvisionnement, jeux, théâtres, Bourse, etc. ; un mémoire rédigé en 1770 par ordre du Lieutenant de Sartine établit que l’inhumation des Protestants étrangers constitue précisément un de ces services généraux. «Un autre , écrit le rédacteur, est chargé de donner des ordres nécessaires pour l’inhumation des protestants [et des] étrangers qui viennent mourir à Paris et il en tient registre afin qu’on puisse avoir un acte authentique de leur décès.» «Tous ces différents départements, ajoute le mémoire, sont donnés autant que possible, aux commissaires des quartiers dont la situation les met le plus à portée de remplir ces différentes branches d’inspection.»
C’est le seul renseignement que nous ayions sur l’attribution de ces divers services. On ne trouve aucune indication de cet ordre dans l’Almanach royal, qui donne les noms des commissaires en fonction groupés par quartiers, et la Liste de messieurs les conseillers du Roi, commissaires enquêteurs examinateurs au Châtelet de Paris, publiée chaque année, n’est pas plus utile à consulter sur ce point . Il ne semble pas que les archives subsistantes, après l’incendie de la Préfecture de police en 1871, et en l’absence des archives de la Chambre de la communauté des commissaires, permettent de retrouver un état général de la répartition de ces départements . Et ce n’est que par l’examen des papiers mêmes de chaque commissaire en particulier qu’il sera possible de savoir s’il était chargé d’un service de ce genre, et duquel.
On est dès lors conduit à se poser cette question: Quel est, à une date donnée, le commissaire chargé, le cas échéant, de l’inhumation d’un Juif? Y a-t-il un commissaire spécial? Et quel est-il? Intervient-il à la fois pour la reconnaissance du cadavre et pour la mise en terre? Ou n’est-ce pas le commissaire du quartier, et les subdivisions sont-elles dans ce cas respectées?
Au milieu du siècle, Sallé , dans son Traité des fonctions des commissaires, précise que, si pour l’inhumation des Protestants étrangers — en laveur desquels a été établi en 1720 le cimetière de la Porte Saint-Martin — c’est au commissaire «ancien» de ce quartier qu’il faut s’adresser, pour les Protestants régnicoles et «autres qui n’ont point droit à la sépulture ecclésiastique», c’est le commissaire du quartier qui dresse le procès-verbal. Denisart observe de même qu’à Paris, les commissaires doivent «chacun dans leur quartier» se transporter au domicile du défunt, quand la sépulture ecclésiastique est refusée aux Protestants «ou autres personnes décédées.» C’est donc à cette catégorie qu’appartiennent les Juifs, comme les condamnés, les duellistes ou les suicidés .
Mais ces principes étaient-ils toujours appliqués? Le dépouillement des répertoires des commissaires, malheureusement conservés en trop petit nombre et souvent rédigés de façon fort insuffisante, l’examen des minutes mêmes pour les quartiers où les Juifs habitaient de préférence, c’est-à-dire les quartiers Saint-Martin et Saint-André des Arts , des «sondages» dans les archives des commissaires des autres quartiers fournissent sur ce point quelques conclusions. Si l’on s’étonnait de les voir si provisoires, il faudrait se rappeler le petit nombre des Juifs et leur inexistence légale, qui expliqueraient l’absence de mesures générales et expresses à leur égard.
L’ordonnance de 1736 semble généralement observée. C’est le commissaire du quartier qui se rend au domicile du défunt, constate le décès et remplit les formalités nécessaires auprès du Procureur du Roi au Châtelet et du Lieutenant de police, et c’est dans les papiers de ce commissaire qu’il faut chercher le procès-verbal. Blanchard, du quartier Saint-Martin, appelé dans une maison de la rue de la Corroyerie, note que cette rue dépend de sa circonscription ; et pour un décès survenu rue Mazarine , les témoins spécifient qu’ils ont d’abord «donné avis aux commissaires de leur quartier»; ce n’est que par ce que ceux-ci ne se sont pas dérangés qu’ils requièrent leur confrère de Saint-Martin.
Il y a lieu cependant de tenir compte de certaines observations. Ces papiers de la série Y sont d’ordinaire classés chronologiquement pour chaque commissaire, chaque année ou semestre formant une liasse spéciale. Mais il arrive que des commissaires ont, pour leur commodité personnelle, groupé certains de leurs actes en dossiers spéciaux, comprenant des documents de plusieurs années, et qui se trouvent aujourd’hui insérés dans une liasse quelconque. C’est ainsi que la liasse Y. 14843 comprend un ensemble de procès-verbaux d’inhumations d’étrangers de 1725-1737. C’est ainsi que les papiers du commissaire Blanchard pour 1739 contiennent un dossier d’inhumations juives et protestantes datant de 1737, 1738 et 1739; et ceux de 1740 un dossier semblable pour 1740-1746. Le commissaire Graillard de Graville rédige même tous les procès-verbaux de ce genre sur un cahier particulier, et c’est dans ce cahier joint aujourd’hui aux papiers de 1778 qu’il faudra chercher un acte du 17 décembre 1779 ou du 8 mars 1780.
Il convient aussi de ne pas oublier que les commissaires, changeant parfois de quartier durant leur carrière, emportent leurs archives avec eux, — et d’autre part que les empiétements ne sont pas rares. Le commissaire Formel, du quartier Saint-André des Arts, ira ainsi instrumenter rue de la Verrerie , rue Saint-Honoré , rue de l’Etoile (quartier Saint-Paul ), rue de Seine , ou rue des Fossés Saint-Germain (quartier du Luxembourg), et même rue des Vieilles-Etuves-Saint-Martin. En se reportant aux procès-verbaux que nous avons retrouvés pour les années 1775 à 1780, on verra qu’ils sont signés de quatre commissaires: Duchesne, du quartier Saint-Martin, Hugues, du quartier Montmartre, Formel et Graillard de Graville, du quartier Saint-André des Arts, et l’on pourra vérifier que Hugues se transporte rue du Paon , quartier Saint-André, tandis que Formel exerce rue Neuve-Saint-Eustache ou rue de la Platrière, Graillard de Graville à l’hôpital de la Charité, quartier Saint-Germain et Duchesne rue Saint-Honoré ou rue Dauphine.
On peut enfin facilement supposer que ce régime n’a pas été immuable pendant tout le siècle. Quand il est décidé, en 1777, que les Protestants regnicoles seront désormais enterrés dans la cour du Cimetière des étrangers, c’est le commissaire Duchesne qui est chargé de «cette partie de la police» . Quand par ordonnance du 7 mars 1780, le lieutenant Lenoir autorise l’établissement d’un cimetière particulier pour les Juifs Portugais, il désigne le même commissaire pour «veiller aux inhumations» . Duchesne est l’ «ancien» du quartier Saint-Martin. En 1788, Simonneau déclare avoir «seul l’inspection du cimetière des étrangers et Juifs» , Simonneau est le successeur de Duchesne. — D’autre part, en parcourant les pièces publiées plus loin, on remarquera qu’à certains actes de décès sont joints les procès-verbaux de l’inhumation même, actes et procès-verbaux étant rédigés par les mêmes commissaires. Puis vers 1746 cet usage ne se constate plus. Très probablement ces procès-verbaux sont désormais transcrits sur un registre spécial, analogue à celui que prévoit l’arrêt du Conseil du 20 juillet 1720 pour les Réformés étrangers, — et pareillement disparu. Ce registre des inhumations protestantes devait être tenu en double par le concierge du Cimetière et par les bureaux du Lieutenant de police. Or Sallé spécifie que l’exemplaire qui devait rester aux mains du Magistrat était dans le fait confié au commissaire ancien du quartier Saint-Martin, inspecteur du cimetière des Protestants étrangers. Et c’est en effet Simonneau qui délivre un extrait «du registre des inhumations faites au cimetière des Juifs allemands » constatant le décès du graveur Heckscher. Il semble donc de ces observations, de la fréquence des actes rédigés après 1780 par Duchesne, puis par Simonneau dans tous les quartiers, de l’absence de procès-vèrbaux rédigés par les autres commissaires, qu’on puisse conclure, à partir d’une certaine date, à un privilège de l’un des commissaires du quartier Saint-Martin, non seulement pour les Juifs Portugais, mais pour les Juifs de toutes origines, et cette sorte de prééminence s’expliquerait soit par une analogie naturelle avec les Protestants, soit par la densité de la population israélite dans ce quartier, soit par la proximité du lieu d’inhumation, établi, on va le voir, non plus dans la région de la Sorbonne, comme au moyen âge , mais à la Villette.