Читать книгу Documents sur les juifs à Paris au XVIIIe siècle : actes d'inhumation et scellés - Paul Hildenfinger - Страница 6
III.
ОглавлениеSi les procès-verbaux publiés ici ne contiennent que des indications assez brèves sur le lieu de la sépulture, ils fournissent des renseignements plus nombreux sur les formalités qui accompagnent l’inhumation. D’une manière générale le texte de ces pièces répond aux prescriptions des arrêtés de police qui ont été signalés. Il comprend essentiellement:
1° La déclaration du décès faite, soit en l’hôtel du commissaire, soit à domicile, par les témoins, voisins ou amis, Chrétiens ou Juifs, avec leurs noms et prénoms, leur lieu d’origine et leur domicile à Paris, parfois leur profession et leur degré de parenté avec le mort: cette partie de l’acte est signée par les déclarants, d’ordinaire en français, quelquefois en hébreu, et assez souvent d’une double signature française et hébraïque.
2° Le constat du décès et la reconnaissance du cadavre , contenant les noms, prénoms, âge, domicile du défunt, attestation de sa religion, et le plus souvent son lieu d’origine, avec cette réserve que ces mentions n’ont pas et ne peuvent pas avoir la rigueur des documents de notre état civil et qu’il faut tenir compte d’une double déformation des noms géographiques du fait de l’accent du témoin et du fait de l’ignorance du commissaire ou de son secrétaire: cette partie est signée des témoins et du commissaire.
3° A partir de 1737, les conclusions du Procureur général du Roi au Châtelet, à qui le procès-verbal était soumis et qui spécifie le nom du défunt et le lieu de la sépulture.
4° L’ordonnance du Lieutenant général de police qui autorise l’inhumation.
Il peut arriver que ces conclusions et ordonnance, préparées soit par les bureaux, soit par le secrétaire du commissaire, ne portent pas la signature des magistrats . Ces formules font d’ailleurs complètement défaut aux trois derniers procès-verbaux publiés: le commissaire ordonne directement l’inhumation ; c’est peut-être l’introduction d’une pratique régularisée par l’édit de novembre 1787, qui ne mentionne plus ce double visa.
Quelques-uns de ces actes comportent en outre certaines indications complémentaires, telles que la déclaration du refus d’inhumer opposé par le curé , la profession du défunt et la cause de sa mort. Fréquemment on notera un constat d’indigence fait soit par attestation des témoins, soit par certificat du syndic de la communauté. La proportion des pauvres est considérable: aussi très souvent le procès-verbal est-il rédigé gratuitement. 35 actes sur 160 portent en marge: «Charité », ou «Nihil», ou «Gratis»; 97 ne portent pas mention d’honoraires touchés, sur lesquels 57 sont accompagnés de déclarations ou de certificats d’indigence et 4 concernent des malades morts à l’hôpital ou des prisonniers . De là vient sans doute que ces actes manquent aux répertoires des commissaires, ces registres étant établis surtout en vue du contrôle de la Bourse commune, caisse centrale à laquelle le commissaire doit verser pour certaines catégories d’opérations une part de ses honoraires. Cependant, en marge de 29 au moins de ces procès-verbaux on trouvera indiqué que le commissaire a ainsi «rapporté » 3 1. à la Bourse commune .
Ce ne sont d’ailleurs pas là les seuls frais — même en dehors du prix du terrain — qui incombent aux familles. Peut-être pourrait-on tirer une indication complémentaire de la taxe des frais d’inhumation des Protestants fixée en 1746 par Maurepas à 120 1. au total, et dont les articles semblent pour la plupart pouvoir s’appliquer aux inhumations juives. Certains des documents publiés plus loin fourniront du reste quelques chiffres précis: les frais d’inhumation de Montaut s’élevèrent à 207 1.; ceux de Moyse Dalpuget à 600 1. Le total des frais faits à l’occasion de la mort de Jacob Lévy, y compris l’apposition et la levée des scellés, se monte à 1018 1. 17 s., et le mémoire du commissaire Maillot commence ainsi :
Et en effet on trouve en marge de certains procès-verbaux le reçu délivré par le secrétaire du Procureur du Roi .
Un arrêt du Parlement en date du 29 mai 1781, relatif aux personnes à qui la sépulture ecclésiastique était refusée, décidait qu’à la requête des parents un commissaire de police ou un huissier assisterait à l’inhumation et fixait même les honoraires de cet officier à 6 1., y compris le coût du procès-verbal ; l’édit de novembre 1787 rendait la présence du commissaire obligatoire, et c’est ainsi que quelques-uns des documents que nous publions sont — comme il a été dit — complétés par des procès-verbaux spéciaux mentionnant la mise en bière au domicile du défunt , le transport du corps , l’heure, le lieu et les témoins de la sépulture.
Les conclusions du Procureur et l’ordonnance du Lieutenant de police précisent d’ailleurs les conditions de l’inhumation. L’enterrement doit être fait — suivant la formule commune aux Protestants et aux Juifs — «sans bruit, scandale ni appareil »; ce qui frappe le plus, c’est qu’il est fait de nuit. Et si on ne connaissait par ailleurs l’indifférence des hommes du XVIIIe siècle pour ce que nous appelons le pittoresque, on s’étonnerait de ce qu’aucun artiste, aucun voyageur, semble-t-il, n’ait songé à peindre ou à décrire un spectacle aussi curieux — et aussi émouvant .
Ces restrictions durent au reste s’atténuer vers la fin du règne de Louis XVI. Très souvent les rédacteurs des actes mortuaires emploient une formule atténuée et disent simplement que l’inhumation se fera «à la manière accoutumée». L’enterrement de Jacob Rodrigues Pereire a eu lieu à 4 heures 1/2 un après-midi de septembre , — peut-être, il est vrai, à cause de la situation du défunt ; et l’article 30 de l’édit de novembre 1787 , concernant ceux qui ne font pas profession de religion catholique, autorise les parents et amis à «accompagner le convoi, sans qu’il leur soit permis de chanter ni de réciter des prières à haute voix», mais sans qu’il soit prescrit que la cérémonie doive se faire de nuit . Ces défenses ne devaient du reste apporter que peu de gêne aux enterrements juifs, pour lesquels le rite prescrit seulement la récitation de prières dites au cimetière par n’importe qui en présence d’un nombre quelconque d’assistants; et peut être à voir le procès-verbal de l’inhumation de Golschemik , faite, il est vrai, dans des conditions un peu exceptionnelles, — et à examiner de près les ratures qui surchargent le permis d’inhumer d’Hélène Benjamin Salomon, conclura-t-on que ces prières pouvaient être, le cas échéant, tolérées.