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II.

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Table des matières

A la fin de l’ancien Régime, les Israélites parisiens possédaient deux cimetières, l’un à la Villette et l’autre à Montrouge. Un précieux article des Archives israélites et un chapitre de l’ouvrage de Léon Kahn nous renseignent sur les conditions dans lesquelles ces enclos avaient été créés. Le 3 mars 1780, Jacob Rodrigues Pereire, agent de la nation juive portugaise à Paris, achetait, avec l’assentiment du Lieutenant général de police et après visite des lieux par le commissaire Duchesne , deux petits jardins situés derrière la maison des frères Bonnet, grande rue de la Villette, à l’effet d’y établir un lieu d’inhumation pour les Juifs Portugais. Cerf Berr, syndic des Juifs d’Alsace, acquérait de son côté le 22 avril 1785 pour les Allemands un terrain au Petit Vanves sur la route de Châtillon à Montrouge. Ces deux cimetières existent encore, 44, rue de Flandre et 94, Grande Rue à Montrouge; on en trouvera les plans et les vues dans l’ouvrage de Léon Kahn , avec la liste des tombes subsistantes; et une photopraphie du cimetière de la Villette en son état actuel figure dans les Dix promenades dans Paris, de A. Mousset et G. Mazeran .

Après 1780, c’est l’un ou l’autre de ces enclos que désignent les procès-verbaux de décès, en spécifiant que l’inhumation se fera «dans le cimetière des Juifs» . C’est d’ailleurs dans cette région du Nord-Est parisien que dès le début du XVIIIe siècle, ou peut-être la fin du XVIIe , étaient ensevelis les Israélites qui pouvaient mourir à Paris. L’inhumation ordonnée par un acte de 1720 dans un jardin de Clignancourt paraît être exceptionnelle et faite en raison de circonstances particulières. Sauf ce cas, tous les permis d’inhumer indiquent comme lieu de sépulture «le chantier de la Villette», «le jardin du sieur Camot, aubergiste à la Villette», et à partir de 1765 environ, «le cimetière des Juifs». Quelques documents nouveaux permettront de préciser cette brève indication officielle.

Cette auberge de Cameau — qui correspond aujourd’hui au 46 de la rue de Flandre — faisait partie, comme la propriété Bonnet à laquelle elle était contiguë, de ces maisons placées en bordure sur la droite de la grande route de Paris au Bourget et qui, avec les constructions de Sainte-Périne situées sur la gauche, formaient au XVIIIe siècle l’entrée de la Villette-Saint-Lazare . On les aperçoit nettement sur le plan de Roussel (1730), groupées au Sud d’une voie qui allait de la Chapelle à Belleville sous les noms de rue des Tournelles et rue Notre-Dame. Cette maison appartenait à la fin du XVIIe siècle aux époux Boucaut, — qui l’avaient eux-mêmes achetée des époux Vilon par acte du 17 mars 1630, — quand par une série de contrats signés successivement les 30 septembre 1691, 10 octobre 1693, 17 mai 1699, 24 février 1702 et 25 août 1707, elle avait passé aux mains de Germain Camot et Catherine Durand, sa femme. Un plan cavalier manuscrit, conservé aux Archives Nationales , permet d’apercevoir l’aspect général de cette propriété et celle des maisons attenantes en 1722. Il suffirait pour se rendre compte de ce qu’était l’auberge Cameau à cette date. Mais il se trouve que nous en avons vers la même époque une description complète et officielle, faite à l’occasion du «procez verbal et recensement de toutes les maisons à porte cochère estant hors de l’enceinte de la ville... et dans les faubourgs d’icelle», établi en vertu de la déclaration royale du 18 juillet 1724. Parmi les immeubles ainsi toisés par les soins de Jean et Jean-Baptiste-Augustin Beausire, commis à ces opérations , figure en effet la maison Cameau. Il a paru intéressant de reproduire le plan dressé en cette circonstance, et, pour plus de précision, de donner le rapport des commissaires, à la date du 15 décembre 1725:

MAISON CAMEAC, PAUBOURG SAINT-MARTIN (1725)


N° 65e à droite. — Nous sommes entrés dans une maison à droite dans lad. rue du fauxbourg S. Martin apartenante au S. Cameau, marchand de vin, occupée par luy, la porte de laquelle est numérottée 65e, dont le point milieu est à huit toises quatre pieds six pouces de distance au delà du point milieu de la precedente porte numérottée 64e.

Lad. maison tenante d’un côté à droite à la Ve Bonnet, de l’autre aux héritiers Charpentier, aboutissante aux mêmes et par le devant ayant face sur lad. rue du fauxbourg S. Martin.

A nous représenté par lesd. Beausire père et fils le plan particulier de lad. maison qu’ils en ont conjointement levé avec leurs aydes, nous avons reconnu que led. terrain et emplacement général de lad. maison contenoit en superficie six cent quatre vingt six toises et demie six pieds, partie duquel terrain est apliquée à différens édifices consistans:

en une écurie cottée A sur led. plan ayant vint toises un quart un pied en superficie et onze pieds de haut;

un poulailler cotté B, id., ayant une toise trois quarts trois pieds en superficie et quatre pieds six pouces de haut;

une autre écurie cottée C, id., ayant vint quatre toises en superficie et sept pieds six pouces de haut;

une autre écurie cottée D, id., ayant quatorze toises trois quarts quatre pieds en superficie et onze pieds de haut;

une autre écurie cottée E, id., aïant dix huit toises huit pieds en superficie et dix pieds de haut;

une autre écurie cottée F, id., aïant quinze toises et demie cinq pieds en superficie et sept pieds six pouces de haut;

un escalier cotté G, id., ayant deux toises et demie deux pieds en superficie et douze pieds trois pouces de haut;

un corps de logis cotté H, id., ayant dix toises et demie cinq pieds en superficie et dix sept pieds de haut;

un autre corps de logis cotté I, id., ayant dix sept toises et demie en superficie et vint pieds six pouces de haut;

un autre corps de logis cotté L, id., aïant vint une toises et demie trois pieds en superficie et quatorze pieds neuf pouces de haut;

lesd. hauteurs prises depuis le rez de chaussée jusques sous l’égoût des couvertures.

Tous lesd. batimens contenant ensemble en superficie cent quarante sept toises quatre pieds dont déduction faite sur le total dud. terrain et emplacement général montant à la susd. quantité de six cent quatre vingt six toises et demie six pieds ou environ, reste cinq cent trente neuf toises et demie deux pieds en superficie de cour et jardin ».

On apercevra sans peine sous la précision de ces détails, la petite auberge de faubourg; on devinera les constructions basses, le porche encombré, la cour sale par où les pauvres Juifs, entre des écuries, des hangars et des poulaillers, gagnaient l’humble lieu de leur dernier repos.

Par une complication singulière, la propriété laissée en héritage par les époux Cameau à leur fils devait, quelques années plus tard, être rachetée par leur bru. En effet, Jean-Baptiste Cameau, inspecteur des chasses du Roi en la capitainerie de la Varenne des Tuileries, en faisait le 8 mai 1756 donation à André Héguin, aubergiste à Vauderlan, et à sa femme, née Marie-Madeleine Vaillant, et ceux-ci, par acte du 16 juin 1759 passé devant Me Maquer, notaire à Paris, revendaient à Marie-Catherine Pigeon, veuve dud. Jean-Baptiste Cameau, moyennant le prix de 6000 l., la maison avec «d’un costé par bas, une cuisine, une salle et un petit cabinet, et deux chambres et deux greniers au-dessus, de l’autre costé une cave, scellier, au-dessus petite salle, à costé une petite chambre et grenier au-dessus, huit écuries avec greniers au-dessus et une chambre aussi sur l’une desd. écuries avec grenier, le tout couvert de thuilles, cour, puits en icelle, avec un jardin derrière clos de murs...» La vente était faite à charge de deux rentes payables à des tiers et aussi des cens qui pouvaient être dus pour la maison et le jardin soit aux prêtres de Saint-Lazare soit au Chapitre Notre-Dame, sans que les parties pussent dire quels étaient exactement ces redevances, droits et devoirs.

C’est qu’en effet la propriété Cameau se trouvait située dans la zône du Cens-Commun, ensemble de biens ayant primitivement appartenu en commun au Chapitre de la Cathédrale et aux religieux de Saint-Lazare, et dont, malgré l’accord de 1482, la circonscription restait contestée et la répartition des droits litigieuse encore au milieu du XVIIIe siècle. L’arrêt du Conseil du 10 juin 1768, homologuant une transaction des parties, plaçait nettement dans le domaine du Chapitre l’immeuble numéroté 65 de la grande rue du faubourg de la Villette: aussi, par sentence du 16 décembre 1769, le bailli laïc du bailliage de la barre du Chapitre condamnait-il la veuve Cameau à justifier de ses titres de propriété pour l’établissement du terrier du Cens-Commun et à payer 29 années d’arrièré de cens .

Mais elle n’avait encore rien acquitté quand elle mourut le 30 novembre 1773. Elle était même loin d’avoir acquitté le prix d’achat de sa maison. Sur un total de 6.000 l., 1000 avaient été versées comptant, le reste devant être réglé en 5 annuités avec intérêts à 5 %: au bout de quatorze ans et demi elle restait devoir 5.000 l. et les intérêts. La propriété revint donc aux vendeurs, qui se hâtèrent de faire apposer les scellés , et le 8 janvier 1776 ils la revendaient par acte sous seing privé à François-Alexandre Matard et à Marie-Marguerite Duval, sa femme. C’est dans la famille de ces derniers qu’elle allait désormais rester jusqu’au 23 novembre 1833, date à laquelle elle passait entre les mains du comte Auguste-Jean-Benoît de Ribes, auteur des propriétaires actuels .

Au moment de son décès, la veuve Cameau habitait la maison, mais elle en avait loué une partie à destination d’auberge à un nommé Marie, et celui-ci au cours de la procédure des scellés apposés par le commissaire Bourgeois, déclarait avoir par devers lui une somme de 48 1. «reçeues pour l’enterrement d’un Juif». Matard devait utiliser de la même manière le terrain placé derrière sa maison pour en tirer les mêmes bénéfices, et de graves difficultés devaient surgir entre les Juifs et lui.

«Vers 1775, selon L. Kahn , on apprit que Matard faisait écorcher des chevaux et des bœufs sur le terrain destiné aux inhumations.» Par un mémoire — rédigé en 1778, si nous comprenons bien l’article déjà signalé des Archives israélites — l’aubergiste demandait une indemnité de 4.000 francs pour ne disposer de son terrain «que dans six ans à partir de la contestation survenue entre lui et les Juifs, qui cessèrent d’enterrer chez lui .»

C’est pour parer à ces difficultés que Pereire acquit le terrain voisin. Cet enclos était en principe réservé aux seuls Portugais, et les permis d’inhumer de 1780 distinguent bien un cimetière portugais et un cimetière allemand. En réalité il fut également utilisé un certain temps par les Allemands. Le 24 mai 1781, Silveyra, syndic de la communautéde Bayonne, protestait contre cet usage. Les Allemands essayèrent à nouveau de s’entendre avec Matard, qui répondit en menaçant d’exhumer les corps ensevelis dans son jardin, et il fallut l’intervention du lieutenant de police pour l’empêcher de donner suite à cette menace. C’est vers la même époque qu’une autre personnalité du temps, Liefmann Calmer, tentait de faire adopter comme cimetière aux Askenazim le terrain qu’il avait acheté également à la Villette au nom de sa femme . Mais de ce côté non plus les pourparlers n’aboutirent pas et les difficultés n’avaient pas cessé en septembre 1784. Les Portugais durent donc continuer à donner l’hospitalité aux Allemands. Au moins voyons-nous en juin et juillet 1781 porter au cimetière de Pereire les enfants d’un Alsacien, d’un Polonais, d’un Wurtembergeois , et l’on peut supposer qu’il en fut ainsi, malgré l’observation de Silveyra, jusqu’au moment où fut prêt le terrain de Montrouge.

Documents sur les juifs à Paris au XVIIIe siècle : actes d'inhumation et scellés

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