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IV Un lieu de rendez-vous peu commun.

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–Est-ce que tu vas directement chez la comtesse? demanda Stepann quand la porte se fut refermée sur eux.–

–Évidemment, à moins que tu ne prétendes m’offrir une seconde édition de ta trop compromettante hospitalité. L’autre fois, mon mari et sa jalousie, seuls, étaient à craindre; mais maintenant il s’agit de trop graves intérêts.

Tiens! au fait! murmura-t-elle entre haut et bas, comme se parlant à elle-même, et le regardant sournoisement à travers ses longs cils recourbés, si je commençais par aller au bain; cela– me délasserait, et j’y déjeunerais.

Le jeune homme tressaillit; ses yeux brillèrent; il rougit un peu: il était évident qu’il contenait un mot, une demande, une prière qu’il n’osait formuler.

–Accompagne-moi si tu veux! soupira-t-elle en se penchant vers lui.

Elle ne rougissait pas, elle.

Il la prit dans ses bras, fébrilement, et déposa sur ses lèvres un ardent baiser qu’elle lui rendit avec usure.

–Grande rue des Écuries, maison Volkoff, dit Stepann à son cocher, quand ils furent remontés en traîneau.

Tout en cachant sa figure que fouettait la fine buée de neige soulevée par le cheval, Anna eut la présence d’esprit de dire à son ami:

–J’entrerai par la rue. Tu renverras ta voiture; tu feras le tour à pied, par la Perspective, et tu viendras me rejoindre à l’intérieur, en prenant la porte qui donne sur le canal. On pourrait nous apercevoir autrement, et une précaution est toujours bonne à prendre.

Les bains russes proprement dits se composent de trois pièces: l’une où l’on se déshabille; la seconde, ornée, d’un côté, d’une longue planche sur laquelle on s’étend, la tête rehaussée par une sorte d’oreiller en bois, et, de l’autre, de robinets de cuivre.

A terre, de nombreuses bassines de même métal dans lesquelles, après vous avoir aspergé d’eau à différentes températures, le garçon ou la fille de bain, suivant le sexe des clients, fait mousser du savon.

Au moyen de ce savon et d’un paquet d’herbes aromatiques, l’opérateur, recouvert du costume de nos premiers parents avant le péché, frotte énergiquement le patient des pieds a la tête sur toutes les faces.

Cela fait, il le met tout debout, le rince au moyen de copieuses cataractes d’eau chaude d’abord, pour finir par un soupçon de tiédeur, qu’il lui déverse sur le chef, et l’emmène dans la troisième chambre où l’atmosphère est étouffante.

Dans cette succursale de l’enfer, il n’y a qu’une sorte de bouche a four fermée par une plaque de fonte sur laquelle le baigneur jette à la volée une certaine quantité d’eau qui produit à l’instant une épaisse vapeur.

L’amateur convaincu gravit alors le plus de marches qu’il peut du petit escalier construit au fond de la salle, suivant ainsi le mouvement ascensionnel de la chaleur, qui devient plus torride a mesure qu’on se rapproche du plafond.

Quand il est bien grillé, rôti, épuisé par la transpiration, il redescend aveuglé, trempé, respirant à peine, et va se mettre sous une douche d’eau glacée qui le transit, le bleuit, lui fait claquer les dents, transition subite excellente, dit-on, pour la santé.

La sacrifice est consommé.

Il revient dans la première chambre, qui lui paraît atrocement froide, se repose un instant et se rhabille.

Tels sont les bains publics; tels sont aussi les bains privés, dits «de famille,» qui ne diffèrent des premiers que par la réduction de leurs proportions et leur aménagement souvent fort luxueux.

La chambre d’entrée est un véritable boudoir avec divans, fauteuils, draperies, glaces, tapis, dorures, etc.

Là, le mari et la femme peuvent venir ensemble. Cette exception est admise pour les cas de maladie, de faiblesse ou d’infirmité de l’un d’eux, et est excessivement plausible; mais comme on ne peut raisonnablement pas demander à chacun son contrat de mariage, il en découle un abus.

En est-ce bien un, en réalité? Et, cet antique usage aboli, manquerait-on pour cela de lieux de rendez-vous?

C’est dans un de ces établissements que nous laissons Anna et Stepann en face d’une collation apportée du restaurant voisin, se disposant à oublier, a leur gré, les soucis de la politique et les revendications sociales.

La chasse aux nihilistes

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