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V En quoi la raison ne peut rien contre l’amour.

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Table des matières

L’histoire de ces deux jeunes gens était d’une. bien grande simplicité:

Elle était la seconde fille d’un modeste officier qui, ne pouvant laisser à ses enfants qu’un nom sans tache et une brillante éducation, à défaut de patrimoine, avait rêvé pour elles une alliance honnête et solide, sinon brillante.

Leur beauté exquise, le charme qui s’exhalait de leur personne, les exposaient à trop de dangers au milieu de cette société frivole et dissolue que son emploi l’obligeait de fréquenter, pour qu’il se permît de renoncer une minute à sa surveillance active et jalouse. L’avenir l’effrayait.

Remarquant les assiduités d’un étudiant auprès –de la plus jeune de ses filles, il était allé droit à lui, et, sans préambule, l’avait sommé de s’expliquer sur sa conduite et sur ses projets.

Pris au dépourvu, celui-ci avait balbutié que son plus grand désir, son vœu le plus cher, était de demander Anna en mariage.

Son amour pour elle était aussi immense que pur. La passion l’emportait sur la raison; il ne vivait qu’auprès d’elle.

Il avait besoin de s’enivrer de son regard, de l’air qu’elle respirait, du parfum qu’elle laissait après elle.

Il écoutait l’impulsion de son cœur. Dissimulé dans quelque coin, il la dévorait des yeux. Si le son de sa voix argentine arrivait jusqu’à lui, il s’en allait fou de joie, emportant du bonheur pour longtemps.

Que demandait-il de plus? Rien.

Avait-il jamais songé à ce qu’il adviendrait de cette ardente passion qu’il ne cherchait même pas à cacher? Non. Il l’aimait.

C’est tout ce qu’il savait, tout ce qu’il voulait savoir.

Il n’était coupable d’aucun aveu, d’aucune parole, d’aucun signe.

Il n’avait jamais eu l’idée de parler de ses joies et de ses souffrances à celle qu’il adorait.

A quoi bon?

Risquer une démarche insensée, la forcer, peut-être, à éviter sa présence?

Pour lui, mieux eût valu mille fois mourir que de compromettre sa muette et discrète félicité.

Tout ceci était insuffisant pour le père qui, en homme avisé, ne lui fit aucunement un crime de cet attachement si vrai et si loyal, mais aborda un sujet plus sérieux, à son avis,

La question de position et de fortune.

Pâle, tremblant, la tête basse, le pauvre garçon dut avouer que le nom de famille qu’il portait était celui de sa mère, morte en le mettant au monde,

Quant à son père, il ignorait s’il vivait encore, comment il s’appelait, n’en ayant jamais entendu parler.

Comme patrimoine, il avait une petite rente régulièrement payée, héritage maternel.

Mais il était instruit, courageux, et se ferait une belle situation à la force du poignet.

Sans douter de ses paroles, le père lui intima l’ordre formel d’avoir à renoncer à ses visites et a tout espoir.

Pour atténuer la rigueur de cette détermination, il lui parla raison, lui expliqua les motifs qui le forçaient à rechercher un parti avantageux, et finit par lui demander ce sacrifice justement au nom de son amour.

Éperdu, anéanti, brisé, le jeune homme promit sans savoir ce qu’il faisait.

Le soir même il partait en voyage, un dernier espoir lui disant que le suicide ne remédierait guère à son mal, et que l’avenir pouvait lui ménager une douce compensation.

Il ne se trompait pas.

Toute cette conversation avait été entendue par Anna, à qui elle avait ouvert des horizons nouveaux, et qui s’était prise d’une grande compassion pour cet infortuné si timide, si réservé, si aimant.

De la compassion à l’amour il n’y eut qu’un pas, rapidement franchi.

Elle accepta, les yeux fermés, le fiancé qui lui fut présenté.

C’était un riche négociant de province: que lui importait?

Ce mariage, c’était pour elle la liberté, l’affranchissement de toute tutelle.

Sa noce se fit le même jour que celle de sa sœur, devenue la femme du général Froloff.

Peu de temps après, sa tâche sur terre terminée, leur père s’éteignait doucement, heureux, fier et tranquille.

Il avait assuré l’avenir de ses enfants!

La première fois qu’Anna rencontra Stepann, car c’était lui qui avait été si rudement éconduit, elle alla à lui, lui rappela bravement la scène dont elle avait été le témoin ignoré. et se donna à lui.

C’était bref, brutal, contre tous les usages ad mis; mais ils s’aimaient ardemment tous deux, sans se l’être jamais dit; un sentiment instinctif les entraînait l’un vers l’autre: le moindre choc devait inévitablement faire jaillir l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres.

Le choc s’opéra.

Ils ne se donnèrent pas la peine de jouer l’éternelle comédie de l’amour. Elle n’essaya pas de simuler une défense minaudière et fausse pour activer une défaite désirée. Le hasard les mettait en présence.

Ils suivirent leur destinée.

Leurs séparations forcées, les longs espaces de temps qui s’écoulaient entre leurs rencontres, ne faisaient qu’aiguiser davantage leur passion mutuelle.

Cette femme étrange, aux sens surexcités, à la tête romanesque, lui était fidèle.

Ce beau garçon, entouré de toutes les séductions mondaines, n’eut jamais une faiblesse, un moment d’oubli: la tromper eût été, à ses yeux, une lâcheté, une ignominie.

C’était, de part et d’autre, de l’idolâtrie, du fétichisme.

Aussi, quand il lui parla des aspirations sociales de ses amis et de lui-même, quand il lui dépeignit le rôle d’émancipateur et de vengeur que le nihilisme lui destinait, les dangers qu’il y avait à courir et la gloire à conquérir, elle se voua corps et âme à sa cause, prête à partager ses périls, prête à mourir avec lui.

La chasse aux nihilistes

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