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TOME PREMIER
LIVRE PREMIER
IX

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Qui va là? – s’écria lord Cockermouth entendant marcher dans son appartement, où, depuis le dîner, il s’occupoit avec lady de l’ordonnance du banquet du lendemain. Qui va là?

– C’est moi, mon commodore.

Et Chris, s’approchant par derrière, se pencha à l’oreille du comte. – Il y a du nouveau, dit-il, j’ai quelque chose à vous communiquer.

– Madame, voulez-vous me faire la faveur de vous retirer? j’ai besoin d’être seul avec Chris.

La comtesse, qui avoit remarqué le chuchotement mystérieux et insultant du valet, se leva avec un geste d’indignation et sortit.

– Mon commodore, tout à l’heure, en promenant Bérébère, votre cavale, j’apperçus, rôdant sur les bords du torrent, master Pat: je descendis aussitôt de cheval, et je me glissai dans les broussailles pour l’épier; je le vis s’arrêter sous le Saule-creux, fouiller la terre, en retirer une boîte, puis la remettre en terre et s’éloigner.

Alors, avec précaution, je me glissai au pied du saule, je creusai au même endroit, et je déterrai ce coffret d’acier que voici: le fermail est à secret, il m’a été impossible de l’ouvrir.

Après bien des efforts, à coups de hache, ils parvinrent à effondrer le couvercle. Un billet fraîchement cacheté s’y trouvoit seul: Cockermouth s’en saisit avidement. Pendant qu’il le parcouroit du regard sa figure changea plusieurs fois d’expression; la curiosité fit place à la surprise, la surprise à la rage étouffée.

Le soir, lorsque Chris vint pour le débotter du comte, il le trouva au milieu de sa chambre, debout, immobile comme un Hermès dans sa gaine, la tête penchée et les yeux engloutis sous ses sourcils refrognés; il fumoit.

– Chris, tu as donc de la rancune, tu as donc une rancœur contre Pat?

– Oui, commodore, un vieux levain de haine que je garde là, et qui n’en démarrera pas!

– Et d’où vient cette haine?

– D’un affront sanglant, mon commodore. Il y a bien de cela deux ans; un dimanche, j’offris à Pat, d’entrer avec moi à la taverne. En pleine place, Pat me fit un refus, prétendant qu’il avoit pour habitude de ne boire qu’à ses repas, et de l’eau. – Tu ne veux pas boire avec un vieux matelot? lui dis-je, tu fais bien le gros-bonnet, mon bouvier! – Monsieur Chris, puisque vous faites l’insolent, me répliqua-t-il, je vous déclarerai que je n’ai jamais bu et ne boirai jamais avec un Anglois, si ce n’est dans son crâne. – Là dessus, mon commodore, enflammé par ces injures, oubliant que le temps étoit loin où je brisois un François sur mon genou comme une baguette, je m’élançai sur lui et je le frappai violemment; mais lui, jeune et vigoureux, de deux ou trois coups de poing m’assomma, aux grands applaudissements de tout le village, qui crioit: Mort à l’Anglois!

Oh! j’ai cela sur le cœur! ça m’y pèse comme un boulet, mon commodore. Chris, avaler un pareil affront! Chris, un ancien flibustier! Chris, le tigre d’abordage! Chris, l’anthropophage! comme on m’appeloit. Dieu me damne! je ne veux pas qu’on enterre ma haine! je ne partirai pas de ce monde sans avoir mis le genoux sur sa poitrine et mon couteau dans sa chienne de gorge!

– Veux-tu associer ta haine, Chris?

– Vous me faites trop d’honneur, commodore.

– Veux-tu associer ta vengeance?

– Vous me faites trop d’honneur, mon commodore.

– Va chercher deux bouteilles de rum et ta pipe.

– Chris revint aussitôt garni de provisions, et le comte referma sur lui les portes aux verrouils…

Les gents du château remarquèrent de la lumière, toute la nuit, dans la chambre de leur seigneur.

Madame Putiphar, vol 1 e 2

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