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TOME PREMIER
LIVRE DEUXIÈME
XII

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Après avoir quitté Déborah, Patrick s’abandonna au désespoir: il désespéroit d’elle, il désespéroit de lui-même, il désespéroit de l’avenir et de la vie. Devoit-il partir, devoit-il demeurer? Quoi résoudre? C’étoit d’un lâche de délaisser son amie mourante, c’étoit d’un lâche de fuir le couteau des assassins, et cependant, si elle devoit succomber, il ne pourroit l’approcher à son lit de mort, il ne pourroit veiller et pleurer à son chevet; ce n’est point dans ses bras, ce n’est point sous ses baisers qu’elle exhaleroit l’âme: il ne pourroit que hurler dans le chemin comme un chien au seuil de la maison où son maître agonise. Et cependant, s’il tomboit sous le poignard et que Dieu la sauvât… Cruelle alternative! quoi faire? quel parti prendre?

Indécis, irrésolu, en proie à ce doute angoisseux, il alloit, et rôdoit à l’aventure, comme un loup, dans les champs de Killarney. Ses forces, épuisées, tout à coup lui manquèrent, ses genoux fléchirent, il s’évanouit sous le poids d’un sommeil de plomb.

A son réveil, l’éclat du jour l’éblouit: le soleil doroit déjà la cime des rochers de la Gorge du Diable, et les tours et les hautes murailles de Cockermouth-Castle. Ses regards étonnés s’égarèrent autour de lui: glacé de froid dans son manteau humide des brumes de la nuit et ruisselant de rosée, il étoit couché au pied d’un arbousier sur le bord du lac profond. Peu à peu ses membres engourdis sur le sol se déroidirent, et, chancelant, il se releva tout brisé et tout endolori.

La nuit avoit porté conseil: sans hésitation il tourna le dos à Cockermouth-Castle, et s’éloigna.

Le surlendemain, à la même heure, il étoit penché à la proue d’un sloop, sortant du port de Waterford; il envoyoit ses adieux à la verte Érin, à l’Irlande, sa mère infortunée, qui s’effaçoit à l’horizon, comme elle s’efface du livre des nations, et de ses yeux, attachés aux rives natales, tomboient de grosses larmes qui se noyoient dans l’Océan.

Sitôt qu’il fut arrivé à Paris, Fitz-Whyte alla saluer la plupart de ses compatriotes au service de France: ils étoient nombreux. Depuis deux siècles, depuis sa réunion à l’Angleterre, l’Irlande gémissoit écrasée par les persécutions les plus inhumaines; toutes ses tentatives pour briser ses fers n’avoient fait que les river et les souder plus profondément; pour échapper à ce joug odieux, au bourreau ou à la misère, ses malheureux enfants émigroient. De là, cette foule d’Irlandois aventuriers, dont l’histoire du continent et du Nouveau-Monde proclame la valeur et le génie.

Celui de touts qui l’accueillit le mieux et qui prit le plus vif intérêt à son sort, ce fut monseigneur Arthur-Richard Dillon, qui depuis peu venoit de passer de l’archevêché de Toulouse à celui de Narbonne, mais qu’il eût été plus juste de nommer, in partibus infidelium, archevêque de l’Opéra.

Ce beau prélat n’étoit guère plus connu de ses ouailles, que le prince Louis-René-Édouard-de-Rohan-Guéméné, évêque de Canople, de ses Égyptiens de Bochir.

Monseigneur Arthur-Richard étoit né à Saint-Germain-en-Laye, d’une famille originaire d’Irlande; et conservoit pour la terre infortunée trempée du sang de ses ayeux, une affection sentimentale, si naturelle à tout cœur aimant et sensible.

Aussi, lorsque Fitz-Whyte se présenta pour la première fois à son hôtel, se faisant annoncer comme un jeune pélerin du comté de Kerry, quoiqu’il fût de fort bonne heure, et que monseigneur ne fût point encore visible, il le fit introduire aussitôt dans sa chambre à coucher, et le reçut familièrement en peignoir de basin.

Les courtines de l’alcôve étoient soigneusement tirées, et sans quelque bruit d’haleine qui s’en échappoit, sans de jolies petites babouches et d’élégants vêtements de femme épars sur les meubles, on auroit pu le croire en dévote oraison.

Son affabilité chassa promptement la timidité et l’embarras de Patrick.

– Vous arrivez de notre chère patrie, mon jeune ami, lui dit-il, en lui prenant affectueusement la main et le faisant asseoir près de lui sur un canapé; – c’est bien à vous, et je vous en remercie, de vous être ressouvenu de moi comme compatriote et de m’avoir présumé de l’attachement pour mes frères d’Irlande; votre démarche auprès de moi est un témoignage d’estime qui m’honore et qui me pénètre. Parlez sans crainte, je vous suis tout dévoué.

Monseigneur étoit ce matin-là plus que jamais en disposition de tendresse et de générosité: vous le savez, et le plus brave poète l’a dit: Le plaisir rend l’âme si bonne. Fitz-Whyte parla longuement de ses malheurs d’une façon naïve et touchante qui le captiva tout à fait.

Durant son récit, ses regards émerveillés se promenoient sur le luxe et l’ameublement mondain de cette chambre. Quel constraste, hélas! avec l’abjection des prêtres irlandois! Ce qui surtout lui jetoit du désordre dans les idées, c’étoient ces parures féminines étalées au milieu des aumuces, des mîtres et des rochets, c’étoit une mantille jetée sur une crosse, et des jupons mêlés avec un pallium; il trouvoit bien une solution à ce problême, mais comme elle entachoit la chasteté de monseigneur Dillon, sa candeur ne pouvait l’admettre.

Tout à coup l’énigme s’expliqua d’elle-même, les rideaux de l’alcôve se soulevèrent, une jeune fille folâtre en sortit; et frappée d’étonnement à l’aspect de Patrick Fitz-Whyte, demeura en contemplation devant sa belle figure d’Ossian.

– Monsieur, s’écria-t-elle, vous êtes aussi beau que votre cœur! Le récit de votre infortune m’a touchée jusqu’aux larmes; et sur cette terre où vous êtes étranger vous pouvez déjà compter une amie, qui vous sera sincèrement dévouée.

– Et un ami, reprit aussitôt monseigneur de Narbonne, qui vous offre son appui et sa sollicitude.

– Dillon, dit la jolie fille en le caressant et le baisant au front, tu viens de faire une promesse, par-devant moi, qu’il faudra que tu tiennes; c’est un engagement sacré, je t’en ferai ressouvenir si tu l’oublies. Monsieur dès ce moment est mon favori…

– Et votre heureux esclave, madame, murmura timidement Patrick.

Monseigneur l’engagea à revenir incessamment, en lui assurant qu’à toute heure sa porte lui seroit ouverte. Alors Patrick fit une génuflexion pour baiser son émeraude archiépiscopale, et pour lui demander sa bénédiction, qu’il reçut avec recueillement.

Les bonnes grâces de monseigneur Dillon ne se démentirent pas dans les visites suivantes: Patrick le trouva toujours aussi empressé à le servir. Il est croyable, à la vérité, que la Philidore qui s’étoit éprise pour Fitz-Whyte d’un véritable intérêt, ne fut pas sans influence dans cette conduite.

Il n’est pas d’âmes plus généreuses, plus sensibles, plus compatissantes, que celles des pécheresses: habituées à suivre sans calcul, sans restrictions, touts leurs penchants, toutes leurs inclinations, touts leurs mouvements de nature; à subir la loi de leurs impressions, et à s’abandonner à touts leurs sentiments; elles font le bien comme elles font le mal. Si elles livrent leurs corps en péage à des bateliers, elles versent des parfums et des larmes sur les pieds de Jésus.

Quoique fils d’un paysan, Patrick, appartenant à une famille noble d’origine, ruinée par les saccages et les confiscations, entra peu de temps après dans les mousquetaires avec les plus ferventes recommandations au colonel et la protection distinguée de monseigneur Arthur-Richard Dillon, de Fitz-Gérald, brigadier d’armées; d’O-Connor, d’O-Dunne, du comte O-Kelly; de lord comte de Roscommon, de lord Dunkell, du comte Hamilton, de lord comte Airly-O-Gilvy, maréchaux-de-camp; et du duc de Fitz-James.

Sous un pareil patronage, il trouva son colonel, M. de Gave de Villepastour, plein d’égards, de dispositions favorables, de prévenances et de petits soins.

Étranger, parlant à peine le françois, jeté sans aucune étude préalable dans une carrière nouvelle, et si différente de sa vie passée, Patrick eût été très-isolé, très-décontenancé, et auroit eu sans doute beaucoup à souffrir de toutes les roueries soldatesques, si le hasard n’eût fait qu’il trouva dans ce même régiment un de ses anciens camarades d’enfance, Fitz-Harris, neveu de Fitz-Harris, abbé de l’abbaye de Saint-Spire de Corbeil.

Cette rencontre inattendue fut une grande joie pour Patrick; il accabla de caresses et de témoignages d’amitié ce vieux compagnon, qui les reçut aimablement et lui promit son dévouement et ses conseils.

Madame Putiphar, vol 1 e 2

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