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TOME PREMIER
LIVRE PREMIER
VIII

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Une semaine s’étoit écoulée depuis leur dernière entrevue dans le parc; et, chaque jour, Déborah n’avoit pas manqué de diriger sa promenade vers le Saule-creux du Torrent, où, vainement, elle avoit déterré et ouvert un petit coffret d’acier, dépositaire habituel de leurs messages. Ce silence de Patrick l’auroit jetée dans une grande inquiétude, si, du haut de la Tour de l’Est, elle ne l’avoit apperçu plusieurs fois dirigeant sa charrue dans les terres en labour de la plaine.

Le 10, en approchant du saule, son cœur tressaillit de joie: la terre, à l’endroit du coffret, étoit fraîchement remuée; Patrick venoit d’y déposer ce billet.

«J’admire votre silence; et j’en tire bon augure: les bavards ne sont pas gents d’honneur. Si jamais on publioit votre correspondance, elle seroit certainement authentique.»

Le 11, Déborah confia au coffret cette lettre.

«Si vous admirez votre silence, moi, j’admire votre épigramme; et je trouve, dans ses monologues, votre esprit trop sévère envers lui-même.

»Loin de trembler maintenant à l’heure de l’exécution, je demeure inébranlable convaincue que notre vie et notre bonheur ne dateront que de notre fuite, comme l’islamisme n’a daté que de l’hégire de Mahomet. Vous le voyez, je vous rembourse votre sel attique en fleur d’Orient; quitte à quitte.

»A parler plus sérieusement, j’ai presque des remords, quand je pense à tout ce que je vais faire à ma pauvre mère. Souvent, lorsqu’elle me prodigue ses caresses, je me détourne pour laisser tomber quelques larmes arrachées par l’idée de ma trahison. Pourquoi n’est-elle pas cruelle comme mon père? on souffre moins à tromper un méchant. Je l’avouerai, dussiez-vous me traiter de folle ou de foible, tellement poussée à l’effusion par ses épanchements, tellement touchée de sa résignation, maintes fois, la pensée m’est venue de me jeter à ses pieds, et de lui dire: Ma mère, je suis bien criminelle envers vous… Il me semble que cela me soulageroit d’un poids énorme qui m’étouffe; mais soyez tranquille, Patrick, je n’en ferai rien. Croyez bien que j’ai assez de force pour résister à l’impulsion d’un sentiment qui nous perdroit, et qu’une impression passagère ne détruira pas l’œuvre délibérée de ma raison.

»Je suis toujours enfermée dans ma chambre, et ne vois point mon père, que maman espère bientôt appaiser. Il doit, assure-t-elle, m’accorder une amnistie générale pour sa fête; d’autant plus qu’il y est presque obligé pour la présentation de mon nouveau prétendu.»

Le 12, Déborah trouva ce mot.

«J’accuse réception de votre lettre. De grâce, noble amie, si vous avez quelques préparatifs à faire pour votre départ, faites-les dans le plus grand secret: craignez l’activité des espions de votre père, puisque vous êtes toujours en guerre ouverte. Vous savez à quel jeu nous jouons et vous connoissez notre enjeu.

»Ma vie n’est plus qu’une palpitation continuelle; mon âme est comme une hirondelle qui se balance sur un rameau flexible, battant des ailes, essayant son vol, avant de prendre son essor pour un rivage sans hiver.

»La face tournée vers l’Orient, je demeure debout comme un Hébreu mangeant la Pâque; les reins ceints, appuyé sur un bourdon.»

Le 13, Déborah répondit:

«My dear Coulin,

»Mon esprit reste ébahi, quand je songe à ce que peut une volonté invincible; et quand je songe que l’homme ne fait aucun usage de sa volonté, qui pourroit toujours être invincible. Sans doute cela est pour le bien de la société, car, si chacun de ses enfants avoit une volonté formelle, individuelle, spontanée, demain la société seroit morte.

»Les trompettes au son desquelles s’écroulèrent les murs de Jéricho, sont les symboles parlants de la volonté; sonnez-là, et les plus épaisses murailles tomberont.

«Après demain, les fers qui doivent enchaîner notre vie, les murs du cachot où elle devoit pourrir crouleront au son de notre volonté, et combleront l’abyme qui nous sépare.»

Le 14, Déborah ne put sortir qu’à la tombée du jour: entre-chien-et-loup, elle se glissa par les avenues détournées jusques au Saule-creux, et, avec l’empressement de la joie, elle s’agenouilla pour exhumer le coffret d’acier; mais son couteau entra dans la terre tout entier, sans aucun choc: – point de coffret!

Cette déception fut d’autant plus stupéfiante que la joie pressentie avoit été vive. Ses bras s’appesantirent, sa tête s’abandonna à son propre poids, son regard immobile resta fixé sur la terre; le travail de sa pensée, comme une horloge dont la chaîne s’est brisée, s’arrêta.

Revenue de ce premier étonnement, cette disparition s’expliqua simplement à son esprit: – Patrick, se dit-elle, n’aura pas voulu laisser enfoui ce coffret auquel il tenoit beaucoup, il n’aura pas voulu abandonner ce confident fidèle et secret, ce bijou qui pour nous exhalera toujours un doux parfum de souvenirs! Patrick sera venu le déterrer, Patrick a bien fait!

Et, satisfaite de la bonne action de son ami, elle regagna le château.

Madame Putiphar, vol 1 e 2

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