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TOME PREMIER
LIVRE PREMIER
III

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Le lendemain, après sa toilette, lady Cockermouth fit prier Déborah de vouloir bien se rendre auprès d’elle, par l’escalier dérobé, le plus secrètement possible, pour ne point attirer l’attention de son père.

Aussitôt Debby, très-inquiète, arriva mystérieusement; d’un pas craintif et d’un air caressant, elle s’approcha de sa mère pour la saluer d’un baiser, mais ses lèvres ne pressèrent que ses deux mains qui soutenoient son front abattu.

– Je vous remercie, mademoiselle, d’avoir bien voulu vous rendre avec empressement à mon invitation, lui dit la comtesse en découvrant son visage mélancolique; cédez toujours ainsi à mes douces et sages prières, vous ferez le bien, et vous épargnerez à vous et à votre mère infortunée de grands chagrins et de grands remords. J’ai tant besoin de consolation!.. et toute consolation ne me peut venir que de vous.

Une seule fois, dans votre enfance, Debby, je cédai à un de vos caprices: cette foiblesse maternelle, bien pardonnable, a déchiré ma vie, déjà tant empoisonnée: vous vous étiez éprise de belle amitié pour Pat, le fils du granger Patrick, vous recherchiez toujours sa société, vous l’invitiez à vos récréations, vous lui offriez vos jouets, vous agissiez avec lui comme avec un frère, vous deveniez maussade quand on l’éloignoit de vous; au lieu de m’opposer rigoureusement, et comme je l’eusse dû, à votre fréquentation de ce petit rustaud; – fréquentation tout à fait messéante et blessant violemment votre père, qui plusieurs fois m’avoit intimé l’ordre, de l’empêcher durement. Pour ne point vous enlever votre compagnon unique, pour ne point vous affliger, j’écoutai vos désirs instants, et je favorisai vos entrevues. J’avois pensé que ce n’étoit qu’un enfantillage de peu de durée, mais vous vous êtes montrée tenace en vos goûts; et, plus tard, je ne pus jamais vous convaincre qu’il étoit opportun et décent de rompre avec ce paysan devenu jeune homme; vous ne voulûtes pas comprendre que vous dérogiez à votre rang.

Vous n’avez pas oublié, sans doute, mon cœur en saigne encore, toutes les tempêtes que cette condescendance m’a fait essuyer, toutes les fureurs qu’elle a fait tomber sur vous et sur moi; n’étoit-ce pas assez?..

Je croyois mon péché expié, je croyois cette guerre lasse; je croyois éteint ce brandon de discorde; hélas, me serois-je abusée grossièrement?

Voici que la colère de votre père s’est réveillée plus véhémente que jamais: hier, affirmant que vous avez toujours des rapports avec M. Pat, il a invectivé contre vous, il m’a chargée de blâmes. J’ai tâché de l’appaiser, en témoignant de toutes mes forces de votre innocence. J’ai essayé de lui prouver que par méchanceté, sans doute, quelqu’un avoit égaré sa bonne foi. Je l’ai prié de ne point calomnier ma Déborah. J’ai repoussé loin cette perfide accusation. Non, Déborah, vous n’êtes point une fille à commerce nocturne: c’est une calomnie! Me démentirez-vous?.. Non, Déborah, vous n’avez pu prolonger, au péril de votre avenir, une liaison impardonnable, une liaison funeste à l’orgueil de votre père, une liaison funeste à mon repos! Me démentirez-vous?..

– O ma mère, ma mère, pardon!.. s’écria Déborah, tombant alors à ses genoux et cachant sa figure dans les plis de sa robe.

– Cessez vos cris, Déborah, craignez qu’ils n’attirent votre père, sortez de devant moi. Est-ce ainsi, mauvaise âme, que vous faites ma joie?

– O ma mère, pardon! ne me chassez pas, ce seroit me maudire, et je ne suis criminelle que de vos chagrins… Veuillez m’entendre?..

– Debby, ma fille, que vous êtes cruelle! Déjà ne m’aviez-vous pas assez causé de tourments? En quoi ai-je donc si peu mérité votre pitié? N’eût-elle pas été coupable votre inclination, que du jour où elle appesantissoit sur moi le bras de plomb de votre père, et sur vous sa malédiction, vous eussiez dû en faire le sacrifice. Prenez garde, qui ne sait pas faire un sacrifice souvent est sacrifiée.

– C’est qu’aussi souvent il est plus facile d’être immolé que de s’immoler. On ne tient pas compte des efforts vains, des luttes impuissantes, des combats secrets: en vérité, croyez-vous qu’il soit si aisé de s’arracher du cœur une amitié qui date du berceau, un amour développé avec la vie, une passion se reposant sur un être parfait, sur un être d’élection? Croyez-vous qu’un amour sans bornes, soit si commode à arracher, quand il est basé sur une profonde estime, et surtout quand le bien-aimé n’a d’autre crime que celui d’être né dans une crèche?

S’il en est qui peuvent à un signal donné désaimer ou prendre de l’amour, ce n’est pas moi. J’ai tout tenté; je me suis tout dit pour surmonter ma passion; et tout ce que j’ai fait pour la détruire n’a fait que la consolider. Enfin, j’ai cessé ce duel inégal avec la nature; et je me suis abandonnée au courant; dût-il m’entraîner dans un gouffre, résignée à tout, je le suivrai.

– A quelle école, s’il vous plaît, avez-vous appris un langage aussi odieux? Est-ce à l’école de votre paysan?

– Mon paysan n’est point un homme de scandale; et si mon langage est odieux, c’est que mon cœur est odieux, car il part de mon cœur. D’ailleurs je ne suis plus une enfant, je touche au tiers de la vie, et j’ai eu pour maître le malheur.

– Quels malheurs?.. Dieu du ciel! si votre père vous entendoit, vous seriez morte!..

– Ne suis-je pas résignée à tout?

– Les soupçons du comte votre père sont donc fondés?

– Oui, ma mère.

– Vous revoyez donc le garçon Pat?

– Oui, ma mère, je revois M. Patrick Fitz-Whyte.

– Depuis quand?..

– Depuis un an environ.

– Effrontée!.. Où pouviez-vous voir ce garçon?

– M. Patrick est venu quelquefois au château, en votre absence; mais habituellement nous nous rencontrons la nuit dans le parc. Je prends ici Dieu à témoin que pourtant nous n’avons jamais forfait à nos devoirs, et que nos entretiens n’ont jamais été qu’édifiants! M. Patrick est un noble homme, croyez bien!

– S’il m’étoit venu à la pensée que vous eussiez pu faillir, je serois plus coupable que vous ne le seriez vous-même, ma fille, si vous eussiez succombé: j’ai de l’estime pour vous, ma fille; ôter son estime a quelqu’un, c’est applaudir à ses vices, ou c’est le mettre dans le cas de se jeter au mal par dépit.

Votre père n’a encore que de vagues soupçons, et il est déjà possédé d’une colère outrée; prenez garde de les confirmer, je ne sais à quelle rigeur il pourroit être conduit. A la prolongation de vos liaisons avec Patrick, il attribue, fort justement sans doute, vos refus des divers gentilshommes qui vous ont été offerts. Prochainement il vous présentera un nouvel époux: si vous répondiez encore par un refus, son projet est de vous faire emprisonner dans une maison de correction d’Angleterre, jusqu’à ce que vous soyez revenue à des sentiments plus sociaux.

– Emprisonnée!.. Est-ce à dire que je sois une folle, une prostituée!.. Quant à un époux, seroit-ce Charles-Edward, je le repousserai! J’ai fait ce vœu que je tiendrai, ou d’être à mon Patrick ou d’être à Dieu.

– Déborah, vous êtes une mauvaise femme! Si vous respectez l’amour, vous ne respectez guère la piété filiale. Vous avez peu d’égards pour moi, pour moi votre tendre mère.

– Quoique je sois aigrie, ô ma mère! croyez à ma piété profonde. Mais il est inconcevable qu’on puisse se figurer que l’amour filial ne vive pas d’échanges et de soins; que dans l’amour filial les charges soient toutes pour l’enfant qui ne peut l’entretenir en bon point que par l’abnégation de soi-même, que par l’abnégation de sa raison, et, souvent, par la destruction de sa jeunesse et la ruine de sa vie. Croyez-vous qu’un amour puisse tenir, puisse exister à de pareilles conditions?

– Je ne pense pas que ces réflexions s’adressent à votre malheureuse mère: les charges entre nous deux ont été mutuelles, j’espère? Même, sans vous faire de reproche, je crois ma mesure plus comble que la vôtre. Que n’ai-je pas supporté, que n’ai-je pas souffert à cause de vous!

Parce que dans votre bas âge, involontairement j’avois favorisé vos rapports avec un enfant, on m’a fait coupable de ce qui s’en est suivi jusqu’en votre âge mûr. Ah! Déborah, vous aussi n’accusez pas votre malheureuse mère! oh! très-malheureuse!.. Vous parlez d’amour filial acheté par l’abnégation de soi-même, et par la ruine de son existence: c’est moi qui l’ai acheté à ce prix. Oh! tous mes rêves dorés de mon enfance!.. oh! la Providence fait bien de nous taire l’avenir!..

– Si vous pouviez lire en mon cœur, ma pauvre mère, vous verriez à quel point je vous aime. Laissez-moi baiser vos pieds, laissez-moi pleurer sur votre front! car il est des faits bien atroces dans la vie: vous que j’aime profondément, vous à qui je n’aurois voulu apporter que joie et bonheur; vous dont j’aurois voulu alléger les tortures; par un funeste sort, par je ne sais quel hasard, quelle fatalité, je vous ai toujours plongée dans le chagrin et le remords. C’est affreux à penser!

– Ma bonne fille, combien tes caresses épanouissent mon âme. Qui sait si des jours heureux ne nous sont pas réservés? Tu peux encore me faire goûter à la félicité. J’ai tant souffert, prends pitié de moi, ne me fais pas souffrir davantage, j’y succomberois! Promets-moi, c’est l’unique et dernier sacrifice que je te demande, promets-moi de ne plus revoir M. Patrick.

– Ne plus revoir M. Patrick!.. répéta Déborah consternée.

– Je sens bien qu’il est douloureux de renoncer à l’objet de ses affections; je sens bien que je vous demanderois là une chose difficile, si la renonciation étoit toute volontaire; mais n’est-il pas bien séant de prévenir une rupture inévitable et de la préparer soi-même? mais n’est-il pas habile de faire d’un événement, tout à fait en dehors de notre pouvoir, un acte de notre volonté plénière. Votre père, sachez bien, vous fait surveiller scrupuleusement depuis quelques jours, depuis qu’on lui a donné du soupçon. Vous ne tarderiez pas à être surprise par ses espions;… que Dieu vous en garde! vous seriez perdue, et votre mère aussi.

– Hélas! que ne me demandez-vous une chose possible.

– Je n’exige rien de vous, ma fille; je vous prie seulement d’éviter un piége, je vous prie seulement de vous garder d’un abyme de maux; je vous supplie d’avoir pitié de moi!

Oppressée et sanglotante, Déborah tomba aux pieds de sa mère, et, dans cette pose, demeura taciturne et morne comme une sculpture. Après ce long silence, relevant la tête et soulevant ses paupières, elle dit froidement: Je ferai selon votre désir, ma mère, je me garderai de cet abyme de maux; accordez-moi seulement une grâce?

– Parlez, ma fille.

– Permettez-moi de revoir encore une seule fois M. Patrick, pour lui dire adieu, pour lui apprendre son arrêt au moins de ma bouche? Cette nuit, nous avons rendez-vous dans le parc: j’irai, je lui dirai tout!..

– Déborah, laissez que je vous presse sur mon cœur! je savois bien que vous étiez bonne. Ainsi, dorénavant, vous cesserez toute entrevue?

– Je vous le jure.

– Puissiez-vous toujours vous maintenir en aussi sage disposition; puisse ce changement ne pas être passager, votre mère sera bien heureuse! Ainsi vous ne démentirez pas mes dénégations? J’ai répondu à votre père de votre bonne conduite. Bientôt ses soupçons tomberont, et, honteux de vous avoir accusée faussement, peut-être reviendra-t-il à la douceur.

Il est juste, en effet, de prévenir ce pauvre garçon, et de le prévenir avec ménagement; ce seroit mal en effet de rompre malhonnêtement avec lui, et de le jeter dans l’inquiétude. Allez, une dernière fois, à votre rendez-vous; mais prenez garde de vous laisser surprendre par les gents de votre père.

Voici la cloche du déjeûner. Vite, retournez dans votre appartement: de là, comme de coutume, vous vous rendrez à la salle. Évitez d’avoir l’air embarrassé; il faut que votre père ignore ce qui vient de se passer entre nous.

Durant ces dernières paroles la comtesse Cockermouth tenoit embrassée Déborah, qui, préoccupée, restoit froide, semblant souffrir de ces caresses, et les recevoir de l’air paterne avec lequel on reçoit des félicitations non méritées.

Madame Putiphar, vol 1 e 2

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