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CHAPITRE XI
ОглавлениеTandis que Michel et Noémi s’en allaient à Férolles, une scène d’un autre genre se passait dans le cabaret même du village, lequel était porte à porte avec la forge de Mathurin Baudry.
Il y avait eu la veille une noce.
Les noces ne se font pas à la campagne autrement qu’à la ville.
On mange et on boit avant la danse; au milieu du bal, les mariés s’en vont et les invités se remettent à boire et à manger.
Le soleil avait surpris une vingtaine de paysans des deux sexes dans le cabaret.
Les femmes dormaient debout, les hommes buvaient toujours.
Tout à coup il y eut comme un froid au milieu de cette gaieté avinée.
Un homme qui n’était pas invité, que personne n’attendait, entra dans le cabaret.
Cet homme qu’on estimait peu et qu’on redoutait beaucoup, dont les haillons sordides contrastaient tristement avec les habits du dimanche des gens de la noce, n’était autre que le père Brûlart.
Il avait un sac sur le dos, et dans ce sac une demi-douzaine de lapins pris au collet.
— Il paraît qu’on s’amuse ici, dit-il d’un ton ironique; vous êtes bien heureux d’être de noce, vous autres, cela vaut mieux que de traîner toute une nuit dans les bois.
— Pour colleter les lapins de M. le maire, sans doute, fit Mathurin Baudry, qui était de la noce.
— Le gibier n’est à personne quand il court, répondit Brûlart. Il est à celui qui le prend.
— Ah! tu crois ça, toi?
— Pardi! et c’est la vérité pure. Est-ce que vous n’allez pas m’offrir un verre de vin, vous autres?
— Tiens, bois, vieux coquin, dit Mathurin qui lui tendit un verre plein.
— Tu es honnête avec les camarades, ricana le père Brûlart. A votre santé, vous autres!
Et reposant son verre vide sur la table:
— Voici quinze jours que je suis dans les bois, dit-il, et que je ne sais rien de rien; qu’est-ce qu’il y a de nouveau?
— Pas grand’chose, dit l’un.
— L’avoine augmente toujours, dit le charretier Nicolas Maurey, qui était pareillement de la noce.
— On se bûche toujours là-bas, dit le forgeron.
— Où donc ça qu’on se bûche? fit le père Brûlart avec étonnement.
— En Italie. Tiens, il ne le sait pas!
— Je vous l’ai dit, je ne sais rien de rien. Je n’ai seulement pas vu Michel depuis quinze jours.
— Michel est au moulin.
— Oh! c’te farce!
— Il y est pourtant.
— Alors, fit naïvement le père Brûlart, c’est que l’autre est revenu.
— Laurent?
— Pardi! il n’y a que lui, au moulin, qui aime Michel.
— Laurent n’est pas revenu.
— Il est donc toujours à Lyon.
— Non, il est en Italie.
— Et il doit avoir chaud, dit un des convives, car on se bat rudement.
Comme il entendait ces derniers mots, le père Brûlart fit un brusque mouvement et laissa tomber son verre qui se brisa sur le sol.
— Qu’est-ce que vous avez donc, père? demanda le charretier étonné.
Brûlart ne répondit pas au charretier; mais il prit celui qui venait de parler au collet et lui dit:
— Ce n’est pas vrai, au moins, ce que tu as dit là ?
— Quoi donc?
— Qu’on se battait en Italie!
— Mais si.
— Et que Laurent y était?
— Il y est si bien, qu’on ne dort, ni on ne mange au moulin, tant on a peur qu’il ne soit tué.
Le père Brûlart se laissa tomber sur un banc:
— O mon Dieu! dit-il, c’est y possible!
Et on le vit pâlir et trembler.
Puis tout à coup il prit sa tête dans ses deux mains et demeura immobile et comme absorbé par quelque douloureuse pensée.
Les hommes de la noce le regardaient avec étonnement.
Mathurin Baudry disait:
— Comme ça lui fait de l’effet!
— Qu’est-ce que ça peut lui faire? dit le charretier, c’est pas son fils.
Mais tout à coup le père Brûlart éclata en sanglots:
— Ah! misérable que je suis! s’écria-t-il. Ah! j’ai commis un crime et je suis puni.
Et cet homme s’abandonna à une douleur bruyante, qui acheva de stupéfier les spectateurs.
Jusque-là on n’avait jamais vu le père Brûlart aimer personne, pas même son fils Michel. Et voici qu’il pleurait et sanglotait, s’arrachait les cheveux et criait avec l’accent du désespoir:
— Mon enfant! mon pauvre enfant!
En ce moment, Michel et le Grillon arrivaient à Férolles.