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CHAPITRE XV

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Table des matières

Trois mois s’étaient écoulés.

A la bataille de Magenta avait succédé celle de Solferino, bientôt suivie par la paix de Villafranca.

Pas de nouvelles du caporal Laurent Tiercelin.

Le comte de R..., le maire de Férolles, avait fait tout exprès le voyage de Paris.

Les prisonniers français faits par les Autrichiens avaient été rendus.

Laurent n’était pas revenu.

Donc, il n’était pas prisonnier.

Donc, il était mort.

Cependant son décès n’avait pu être régulièrement constaté.

Le capitaine de sa compagnie, devenu chef de bataillon après la campagne, avait écrit lui-même une longue et touchante lettre à la mère du pauvre caporal.

Laurent Tiercelin était un bon soldat, un brave cœur que tout le monde aimait, et son capitaine avait cru de son devoir de donner à la mémoire du pauvre garçon cette marque de sympathie.

La lettre de l’officier n’était pas plus rassurantes que la dépêche ministérielle; mais elle n’était pas absolument désespérée non plus.

Le capitaine affirmait qu’on avait cherché vainement sur le champ de bataille le corps du jeune soldat.

Il ajoutait que la chose n’était pas sans exemple; que ceu qu’on appelait les gens disparus reparaissaient quelquefois. Que tout en ne se berçant point d’un fol espoir, il ne fallait pas cependant perdre toute espérance.

Marne Suzon, courbée en deux, morne, les yeux secs, avait écouté la lecture de cette lettre avec une impassibilité farouche.

On eût dit que cette malheureuse femme ne fût plus de ce monde et que son âme fût depuis longtemps montée au ciel pour y rejoindre son fils.

Seule, le Grillon disait:

— Moi, je suis sûre que Laurent n’est pas mort.

— Dieu vous entende, Grillonnet! soupirait hypocritement Michel.

Ce dernier donnait aux gens de Férolles un exemple de ce que le repentir peut faire d’un mauvais sujet. Il ne quittait plus le moulin; il avait pour ainsi dire remplacé Laurent.

Travailleur infatigable, plein d’attentions délicates pour cette pauvre mère qui n’avait plus de fils, Michel avait fini par se rallier tous les cœurs.

Mame Suzon elle-même s’oubliait parfois à lui mettre la main sur l’épaule et à lui dire affectueusement:

— Tu veux donc essayer de me remplacer mon pauvre enfant?

Seule, le Grillon ne partageait pas plus cet enthousiasme qu’elle ne partageait la conviction que Laurent fût mort.

Michel lui inspirait une sorte de répulsion dont elle ne pouvait se rendre compte.

On n’avait pas revu le père Brûlart.

Qu’était-il devenu?

Les uns disaient qu’il avait perdu la tête, et s’en était allé dans son pays; les autres qu’il travaillait à Orléans.

D’autres encore, mais c’était le plus petit nombre, affirmaient l’avoir rencontré dans les bois, les cheveux tout blancs, d’une maigreur effrayante, à peine couvert de quelques lambeaux de vêtements, et disant que, puisque Laurent Tiercelin était mort, il ne comprenait pas que le bon Dieu le laissât sur terre.

Il y avait encore une histoire qui était revenue sur l’eau à Férolles, et dont on commençait à jaser depuis qu’il était avéré pour tout le monde que Laurent était mort.

On disait que la mère Brûlart avait dicté une lettre à son lit de mort, et que cette lettre avait été déposée chez un notaire de Jargeau.

. Cette lettre, prétendait-on, renfermait un secret, mais on ne le saurait qu’un an après la mort de la mère Brûlart, et voici qu’il y avait bientôt un an.

Enfin, on avait remarqué que lorsque tout le monde s’était étonné à Férolles de la douleur manifestée par le père Brûlart, une personne en avait paru beaucoup moins surprise.

Cette personne, c’était le bon vieux curé qui avait reçu la confession de la mère Brûlart mourante.

Au moulin, on jasait aussi.

On jasait quand la pauvre mame Suzon était remontée dans sa chambre avec le Grillon qui ne la quittait plus ni jour ni nuit, et lorsque Michel ne s’y trouvait pas.

Les gens de la ferme, les meuniers, les servantes, réunis à l’entour du feu, disaient chacun leur mot.

— Qui est-ce qui aurait jamais cru ça, disait le vieux pâtre en parlant de Michel, que ce garnement-là deviendrait si bon sujet?

Mame Suzon l’aime à présent quasiment comme son fils, observa un bouvier.

— Et moi, dit une des servantes, je sais bien comment ça finira.

— Qu’est-ce que tu dis, toi? fit le vieux pâtre.

— Suffit! je m’entends...

— Tu peux bien parler, dit le bouvier; nous sommes tous de tes amis, ici.

— C’est vrai, dit le pâtre.

— Eh bien, reprit la servante, je vais vous dire mon idée.

Elle baissa la voix:

— Mame Suzon n’en a pas pour longtemps, voyez-vous? peut-être un an... peut-être deux... mais la mort de son fils l’a tuée par avance... c’est comme une lampe qui n’a plus d’huile.

— A qui donc que ça ira tout ce beau bien?

— A mamzelle Noémi.

— Bon!

— Et j’ai dans mon idée que mame Suzon ne mourra pas sans l’avoir établie...

— Ah!

— Elle la marierait avec Michel que ça ne m’étonnerait pas.

Les uns se récrièrent, les autres dirent, qu’après tout, cela n’était pas bien extraordinaire, et la conversation était si animée que personne ne se retourna, que personne n’entendit un pas furtif qui traversait la salle basse du moulin.

C’était le Grillon qui sortait.

Mais la pauvre enfant avait entendu les dernières paroles de la servante, et quand elle fut dans la cour, elle cacha sa tête dans ses deux mains et se prit à fondre en larmes.

Le grillon du moulin

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