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CHAPITRE XII
ОглавлениеLes deux jeunes gens étaient obligés de passer devant le cabaret pour se rendre à l’église.
Cependant ils eussent très-certainement passé outre si un homme, qui se trouvait sur la porte, n’eût crié :
— Hé ! Michel?
— Qu’est-ce qu’il y a? demanda le jeune homme.
— Ton père est là qui est en train de devenir fou, répondit l’interlocuteur.
En effet, prêtant l’oreille, Michel et le Grillon entendirent des gémissements et un certain tumulte qui sortait du cabaret.
— Mon père? dit Michel.
Et il entra.
Le Grillon, non moins étonnée, le suivit.
Le père Brûlart, que personne n’avait vu pleurer de sa vie, même le jour où on avait enterré sa femme, le père Brûlart, disons-nous, à demi couché sur un banc, tenait sa tête dans ses deux mains et poussait des cris déchirants.
— Mais qu’est-ce qu’il y a donc? fit Michel qui marcha droit à son père. Qu’est-ce que vous avez, papa?
Le père Brûlart le regarda, et au travers de ses larmes on vit briller un regard de colère.
Michel voulut lui prendre la main.
Le vieillard le repoussa durement:
— Va-t’en, dit-il, je ne te connais pas...
— Mais, papa...
— Je ne suis pas ton père! s’écria Brûlart qui passa tout à coup de la douleur à la colère.
Et il le repoussa durement.
Puis, comme s’il eût regretté d’en avoir dit autant, il se leva du banc où il était et voulut s’élancer vers la porte.
Le Grillon l’arrêta et lui dit avec douceur:
— Mais qu’avez-vous donc, père Brûlart? que vous est-il donc arrivé ? Ne peut-on pas vous venir en aide?
Il la regarda d’un air farouche:
— Non, dit-il, non... laissez-moi, mamzelle, je suis un misérable que Dieu punit...
Et il sortit.
Les gens de la noce se regardaient consternés.
— Ah! ah! pensait Michel, c’est la petite comédie dont il m’a parlé cette nuit... C’est bien... c’est très-bien...
— Je n’aurais jamais cru ce vieil ivrogne si sensible que ça, murmura Mathurin Baudry.
— Mais pourquoi pleure-t-il? demanda encore le Grillon.
— Je vas vous dire ça, mamzelle. On lui a appris que Laurent, votre prétendu et son fils de lait, était parti à la guerre.
— Comment! dit le Grillon tout ému, et il s’est mis à pleurer ainsi?
— Vrai.
— Je crois, dit un autre paysan, qu’il avait bu un coup de trop, ça lui arrive souvent, du reste.
— Oh! pour ça non, dit le forgeron.
— Il n’avait pas bu?
— Ni bu ni mangé.
— Il n’était pourtant pas bien tendre pour Laurent, observa Michel.
— Il ne l’a pas été pour toi non plus, dit Mathurin, à preuve qu’il t’a dit que tu n’étais pas son fils.
— Des bêtises, quoi! fit Michel.
Et il entraîna le Grillon hors du cabaret.
Tous deux s’en allèrent à l’église.
Le Grillon était de plus en plus émue, et Michel jurait qu’il ne comprenait absolument rien aux paroles ambiguës de son père.
Ils allèrent trouver le curé qui venait de dire sa messe et se dépouillait, dans la sacristie, de ses habits sacerdotaux. Le Grillon lui exposa sa requête, et Michel lui fit part du singulier état de son père.
— Ah! dit le prêtre, il pleure?
— Oui, monsieur.
— Il a raison.
Le Grillon regarda le curé avec de grands yeux étonnés. Mais le prêtre ne voulut point s’expliquer.
Il bénit et alluma le cierge et les deux jeunes gens s’en allèrent.
Comme ils sortaient de Férolles, ils virent un groupe arrêté dans le chemin de Brin-d’Amour et formé d’un homme et d’une femme.
L’homme était assis sur une borne, la femme se tenait debout.
— Hé ! dit Michel, c’est mon père.
— C’est ma tante, dit en même temps le Grillon.
C’était en effet mame Suzon.
La meunière en se levant avait demandé où était le Grillon.
Un domestique lui avait répondu:
— Mamzelle s’en est allée avec Michel au-devant du facteur qui avait bien sûr une lettre, car il venait par ici...
Puis ils sont partis tous deux à Férolles.
— Une lettre!
Mame Suzon n’en avait pas entendu davantage.
Une lettre de son fils!
Et elle avait pris le chemin de Férolles, elle aussi, murmurant:
— Cette petite folle! croit-elle donc que je dors jusqu’à midi? Pourquoi donc a-t-elle emporté la lettre?
Comme mame Suzon allait atteindre le chemin qui croise le sentier, elle avait aperçu un homme assis sur une pierre et qui, la tête dans les mains, pleurait silencieusement.
Elle s’était approchée et avait reconnu le père Brûlart.
— Hé ! lui dit-elle, qu’est-ce que vous faites donc là, et qu’est ce que vous avez?
Le père Brûlart la regarda.
— Ah! c’est vous? dit-il.
— Sans doute, c’est moi. Qu’est-ce que vous avez à pleurer?
— Oh! rien, dit-il, ça me regarde.
Et il pleura de plus belle.
— Mais qu’est-ce que vous avez donc? répéta la meunière.
Brûlart ne répondit pas.
Michel et le Grillon arrivèrent.
— Mais qu’a-t-il donc, ton père? dit marne Suzon.
— Il pleure comme ça depuis une heure.
— Pourquoi?
— Parce qu’on lui a dit que Laurent était parti à la guerre.
Marne Suzon tressaillit.
— Comment, dit-elle émue, vous aimiez donc un peu mon fils, père Brûlart?
Les larmes du vieux braconnier redoublèrent.
Il se leva brusquement, regarda mame Suzon et lui dit:
— Vous êtes plus heureuse que moi, vous! Et il prit la fuite.
— Je crois qu’il est fou, murmura Michel, tandis que la tante et la nièce se regardaient avec stupeur.