Читать книгу Un scandale en province - Pierre L'Estoile - Страница 8
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Laruelle n’était pas lâche. En sortant du café, il éprouvait un réel et vif désir de se venger de l’offense que le capitaine lui avait faite.
Le lendemain matin, il est vrai, son ardeur s’était quelque peu calmée; la nuit avait passé sur sa colère, et, avec le sang-froid, la raison lui était revenue.
–Je me suis mis là une bien sotte affaire sur les bras, se disait-il. On saura tout au ministère, et je serai destitué ou au moins disgracié.
D’autre part, il n’était guère possible de ne pas donner suite à cette affaire. Laruelle s’était trop avancé pour pouvoir reculer.
Et cependant le percepteur ne désespérait pas encore de voir les choses s’arranger. C’est qu’il lui était venu une idée ingénieuse, et sur laquelle il comptait beaucoup. Il s’agissait seulement de trouver des témoins dociles et disposés à ne s’écarter en rien de ses recommandations. Voilà pourquoi, au lieu de s’adresser à des hommes sérieux, il choisit deux jeunes gens de la ville qui ne passaient pas précisément pour des aigles aux yeux de leurs concitoyens et auxquels il avait su imposer, comme nous l’avons vu, beaucoup d’admiration: Arthur Bruneau et Isidore Faucompret.
C’étaient deux de ces types qu’on ne rencontre guère que dans les cafés de petite ville. Bruneau avait une certaine fortune dont Faucompret l’aidait à dépenser les revenus: ils s’amusaient ensemble… dans les prix doux, ce qui n’empêchait pas les mères de famille de Péronne de les considérer comme des êtres absolument gangrenés, parce qu’il leur était arrivé une fois de jouer cent sous à l’écarté contre des commis voyageurs.
Lorsque Laruelle demanda à ces deux bons jeunes gens de lui servir de témoins, ils ouvrirent d’abord de grands yeux étonnés et furent sur le point de refuser; mais, quand ils se furent assurés qu’ils n’avaient aucun danger à courir, ils se ravisèrent et acceptèrent…. moins, il est vrai pour être agréables au percepteur que parce qu’ils étaient flattés de l’importance qu’une pareille mission allait leur donner dans la ville.
A dix heures, munis des instructions de leur client, ils se présentaient chez Guy de Mauzac. Celui-ci s’empressa de les mettre en rapport avec deux officiers de son régiment qu’il avait priés de l’assister dans cette affaire et auxquels il avait recommandé d’accepter, sans discussion, toutes les conditions de son adversaire.
Ce fut Isidore Faucompret qui prit la parole.
Il exposa aux deux officiers de chasseurs que son camarade et lui venaient, au nom de M. Laruelle, demander à M. de Mauzac des excuses ou une réparation par les armes.
L’un des officiers ayant répondu qu’il ne pouvait être question d’excuses, Arthur Bruneau intervint d’un air important:
–Je le regrette, messieurs, car j’aurais voulu éviter l’effusion du sang; mais, puisque cela est impossible, je dois vous rappeler que M. Laruelle est l’offensé et que, à ce titre, il a le choix des armes.
Les témoins de Guy s’inclinèrent en signe d’adhésion.
–Eh bien! messieurs, poursuivit le jeune homme, puisque ce point n’est pas contesté, il ne me reste plus qu’a vous dire que M. Laruelle veut se battre à trois pas, avec un seul pistolet chargé.
Et Bruneau, qui avait prononcé ces derniers mots d’une voix emphatique, s’arrêta, pour jouir de la surprise que sa proposition lui paraissait devoir causer aux amis du capitaine.
Son attente fut trompée.
Les deux officiers restèrent impassibles; ils échangèrent un regard, puis l’un d’eux répondit froidement:
–Votre proposition est-elle sérieuse, messieurs?
–Sans doute! répliqua Faucompret d’un air pincé, pendant que Bruneau, décontenancé, se disait à part lui qu’il avait manqué son effet.
–Eh bien, reprit l’officier, nous vous demandons la permission de la transmettre à M. de Mauzac
Et les deux militaires passèrent dans la pièce voisine, où Guy les attendait.
En quelques mots, ils l’eurent mis au fait de la situation:
–Acceptez, leur répondit le jeune homme; M. Laruelle veut me faire peur et sera le premier, n’en doutez pas, à demander qu’on modifie les conditions du combat.
C’était aussi l’opinion des témoins du capitaine. Cependant l’un d’eux crut devoir objecter:
–Après tout, il n’est pas impossible que M. Laruelle soit de bonne foi.…
–Tant pis!… répondit Guy, j’en passerai par où il voudra…. Que puis-je faire?
–C’est fort bien, reprit l’officier qui avait déjà parlé, et je comprends le sentiment auquel vous obéissez; mais ce n’est plus un duel alors, c’est un jeu de hasard, et, pour ma part, je me verrai forcé de me retirer.
–Vous ne ferez pas cela, mon cher!…. s’écria Mauzac avec vivacité; j’ai compté sur votre amitié…
–A quoi bon discuter cette hypothèse qui ne se réalisera pas? interrompit l’autre témoin. L’affaire n’est pas assez grave pour que M. Laruelle veuille réellement jouer sa vie à pile ou face… D’ailleurs, s’il persiste, il sera toujours temps d’aviser.
–C’est évident, conclut Guy. Allons! ne faites pas attendre plus longtemps ces messieurs; ils pourraient croire que nous hésitons.
Les deux officiers rejoignirent alors les témoins du percepteur et leur annoncèrent que le capitaine acceptait leurs conditions.
Ni Bruneau ni Faucompret ne s’attendaient à cette conclusion. Leur désappointement fut tel qu’ils ne surent même pas le dissimuler; et, lorsqu’il s’agit de fixer l’heure et l’endroit de la rencontre, ils balbutièrent quelques mots, puis finirent par déclarer que, n’ayant pas reçu d’instructions à ce sujet, ils se voyaient dans l’obligation d’aller consulter leur client.
Un nouveau rendez-vous fut donc pris pour midi.
Les deux jeunes gens furent exacts; mais leur attitude n’était plus la même: ils avaient perdu leur air fendant et leur ton provocant.
–Messieurs, dit Isidore Faucompret, non sans un certain embarras, nous avons beaucoup réfléchi depuis que nous vous avons quittés, et nous en sommes arrivés à nous convaincre qu’un duel à trois pas, avec un seul pistolet chargé, pouvait avoir des conséquences bien graves…
–Ah!… répondit froidement un des officiers, –et… il vous a fallu beaucoup réfléchir pour faire cette découverte?
Faucompret sentit que son interlocuteur se moquait de lui, ce qui acheva de lui faire perdre le fil de ses idées…
–Beaucoup n’est pas le mot reprit-il de plus en plus troublé…. C’est-à-dire que.… Enfin c’est très-grave, et il peut se faire qu’un des deux adversaires, au moins, perde la vie…
–Pardon, monsieur, interrompit l’officier. au moins est de trop, s’il n’y a qu’un pistolet chargé.
–Oui, c’est vrai! Vous avez parfaitement raison…. capitaine. Donc il y a de grandes chances pour qu’il y ait mort d’homme.
–Il fallait y songer plus tôt, observa sèchement le second témoin de Guy, qui fit un signe d’intelligence à son camarade.
Le malheureux Faucompret suait à grosses gouttes.
–Plus tôt!…. Ah! oui, sans doute…; mais c’est que nous ne pensions pas que…
Il allait dire: que vous accepteriez, lorsque Bruneau jugea à propos d’intervenir:
–Franchement, messieurs, ce ne serait pas un combat, ce serait un assassinat… dont nous ne voulons pas être complices.
–Alors pourquoi nous avez-vous proposé de l’être, à nous?
–Nous n’avions pas envisagé la question sous ce point de vue… Depuis, nous avons fait comprendre à M. Laruelle…
–Non sans peine, interrompit Isidore.
–Non sans peine, répéta Bruneau… C’est vrai, j’oubliais.…
Les témoins de Guy avaient toutes les peines du monde, eux, à garder leur sérieux:
–Enfin, dirent-ils, où voulez-vous en venir?
–Est-ce que vous ne pensez pas, soupira timidement Faucompret, qu’il serait possible de modifier les conditions dont nous étions convenus?
–Ah çà! vous vous êtes donc moqués de nous, ce matin?
Les deux jeunes gens se regardèrent avec stupeur, puis jurèrent leurs grands dieux que jamais une pareille idée ne leur était venue à l’esprit.
La scène devenait grotesque: les officiers y mirent fin en rédigeant un procès-verbal, aux termes duquel le duel devait avoir lieu le lendemain matin à cinq heures, dans les fossés des fortifications; il fut entendu que les adversaires, placés à trente pas l’un de l’autre, échangeraient deux balles au commandement, et que, dans le cas où aucun d’eux n’aurait été blessé, le combat continuerait à l’épée.
Bruneau et Faucompret signèrent sans faire la moindre observation, et sortirent en emportant une copie du procès-verbal.
Dès qu’ils furent dans la rue, ils respirèrent longuement, en hommes qui viennent d’échapper à un grand péril, et Arthur risqua cette réflexion:
–C’est égal, ce sont de rudes lapins!… j’ai vu le moment où ils allaient nous chercher querelle; et, sans notre attitude énergique…
–Oui, reprit Isidore, sans notre attitude énergique!…
Et ils s’éloignèrent, persuadés qu’ils s’étaient conduits en héros.
Le lendemain, à cinq heures, Guy, Laruelle et leurs amis se rencontraient dans les fossés de la ville. Les deux adversaires se saluèrent froidement, puis s’écartèrent chacun de leur côté, pendant que les témoins mesuraient le terrain et chargeaient les armes.
Les préparatifs terminés, le capitaine et le percepteur furent placés à trente pas l’un de l’autre.
Le signal fut donné:
–Feu!…. Un, deux, trois!
Les deux détonations retentirent presque simultanément.
Laruelle laissa échapper son pistolet: il avait le bras cassé.
Quant à Mauzac, quelques gouttes de sang perlèrent sur sa joue droite, à peine effleurée par la balle de son adversaire.