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VII

Le duel avait eu lieu le jeudi. C’était jour de musique, et les deux petits jeunes gens que Laruelle avait, choisis pour témoins, Arthur Bruneau et Isidore Faucompret, se promettaient bien de profiter d’une aussi belle occasion pour répandre dans le public le bruit de l’affaire qu’ils avaient eue le matin.

Tous deux, en effet, avaient fini par se persuader que l’affaire leur était personnelle.

Dans cette disposition d’esprit, un peu après midi, les deux amis se dirigèrent ensemble vers le Quinconce; et là, personne n’étant arrivé encore, ils s’installèrent dans un coin, sur un banc, et se mirent à regarder travailler (c’était leur expression) les chasseurs, avec un air de dédain que justifiaient mal leurs prouesses de la matinée.

A Péronne, en ce temps-là, la musique avait lieu vers deux heures, après l’exercice, et tandis que les officiers devisaient en se promenant sur la pelouse, déblatérant tout doucement contre le ministère et discutant ligne par ligne le tableau d’avancement.

Donc, à partir d’une heure et demie, Arthur Bruneau et Isidore Faucompret virent arriver un à un tous les habitués du Quinconce. D’abord, quelques vieux rentiers qui avaient jadis vendu, à Amiens, des bonnets de coton ou des denrées coloniales, et qui, revenus s’installer, pour leurs derniers jours, à Péronne, leur ville natale, partageaient maintenant leur temps entre le café et la promenade publique. Puis mademoiselle Duvivier, tenant en laisse l’horrible petit roquet dont la vieille voltairienne avait fait son dieu.

–Oh! oh! s’écria tout à coup Bruneau en se levant vivement, voici venir la grande élégante: c’est le moment de se montrer.

En effet, deux heures moins un quart venaient de sonner dans la ville, et l’on pouvait voir au loin, sur la route d’Albert, la calèche découverte de la comtesse de Labassère tournant, au grand trot de deux carrossiers superbes, l’angle du Quinconce.

En même temps, de l’autre côté, paraissaient madame Robin, madame Desrivières, quelques officiers marchant par groupes, madame d’Ivry, la sous-préfète, à pied, avec madame de Serve,

...tout le monde enfin.

Bruneau et Faucompret laissèrent de côté tout ce menu fretin des élégances péronnaises, et se dirigèrent en toute hâte vers le point de la grande allée où ils supposaient que madame. de Labassère mettrait pied à terre. Ils furent trompés: la voiture les dépassa rapidement, et la comtesse, préoccupée, leur rendit à peine le salut ridiculement humble qu’ils s’étaient crus obligés de lui adresser. Ils revinrent donc sur leurs pas.

Mais, au champ de manœuvres, nouveau désappointement: madame de Labassère était restée dans sa voiture, aux côtés du général, qui l’accompagnait, et le capitaine de Mauzac causait tranquillement, accoudé sur la portière, avec la jeune femme et le vieillard. Les deux amis furent donc réduits à se mêler aux autres groupes et à faire admirer ailleurs les grands hommes qu’ils croyaient être.

Ici encore–dans l’allée des promeneurs à pied, autour du cercle où la musique venait de commencer–leur vanité fut quelque peu déçue.

–En vérité, disait Bruneau–qui avait, on le sait, la prétention de parler le premier, –c’est du guignon. Tout le monde cause du duel de ce matin, et cependant personne ne paraît s’occuper de nous.

–En effet, acquiesça Faucompret.

–Ah! cependant… murmura le bel Arthur, écoutons ce qui se dit là.

Et tous deux se rapprochèrent d’un groupe où la conversation semblait des plus animées. Il y avait là les mêmes vieilles femmes ou filles qui s’étaient trouvées réunies la veille chez mademoiselle de Labassère et quelques hommes, parmi lesquels un officier originaire de Péronne, qui, pour cette raison, se tenait moins que ses camarades en dehors des cancans.

–Mais enfin, capitaine, demandait madame Robin au moment de l’arrivée des jeunes gens, comprenez-vous quelque chose à cette animosité de votre camarade contre ce pauvre M. Laruelle?

–Je ne comprends pas, répondit l’officier, mais je pense que, si Mauzac a jugé à propos de donner une leçon à votre petit percepteur, c’est qu’il avait une raison pour le faire.

–Sans doute, murmura madame Desrivières, mais… quelle raison?

–Je l’ignore, mesdames; M. de Mauzac…

–Allons! allons! interrompit mademoiselle Duvivier, il doit y avoir quelque femme là-dessous, et, s’il y a une femme, … du moment que M. de Mauzac est en jeu…

Mademoiselle Duvivier s’arrêta. court, mais madame Desrivières qui, on le sait, ne ménageait pas ses paroles, continua sa pensée.

–C’est évident, fit-elle: s’il y a une femme, c’est la comtesse.

Le mot jeta du froid.

Bruneau, dans cet instant, glissa à l’oreille de Faucompret quelques paroles que celui-ci devait seul entendre.

–Isidore, lui dit-il, je reste ici; toi, va là-bas sur la route et tâche de savoir ce qui se dit dans la calèche.

Faucompret ne répondit rien, mais il obéit-suivant son habitude.

Arthur Bruneau resta, et, rompant le silence:

–Il est possible, mesdames, dit-il d’un air important, que madame de Labassère soit en cause dans le duel. Je vous dirai cependant–moi qui. comme témoin de M. Laruelle, dois en savoir quelque chose, ajouta-t-il en se rengorgeant– que le nom de cette dame n’a pas été prononcé durant nos pourparlers d’hier.

L’officier retint un sourire.

— Vraiment ? murmurèrent ensemble les trois femmes.

Après un nouveau silence un peu bien interrompu par quelques chuchotements de ces dames:

–Je ne sais, dit l’officier, si la comtesse.

Il ne put achever. Isidore Faucompret, accourant à perdre haleine, s’était précipité au milieu du groupe.

–Figurez-vous, dit-il tout essoufflé encore, que, comme j’arrivais auprès de la voiture.

–Quelle voiture? demanda quelqu’un.

–Celle de madame de Labassère, repartit Faucompret; et il continua:

...J’aperçus le général causant à quelque distance, sur la route, avec madame d’Ivry et madame de Serve, tandis que M. de Mauzac aidait madame de Labassère à mettre pied à terre, pour rejoindre ces dames.

–Joli trio! grogna mademoiselle Duvivier.

–Je vis bien, reprit Faucompret, tout étonné de l’attention qu’on lui accordait, que le général parlait du duel de ce matin…. Il gesticulait avec violence…

–Ah! ah! murmura madame Robin.

–Cela m’intéressait fort, mais…. d’abord, je pressai le pas jusqu’à ce que je fusse tout près de la voiture, et là, comme je m’avançais pour saluer madame de Labassère, je l’entendis qui disait au capitaine rapidement:

–«Un mot encore: nous allons donner un bal, vous ne conduirez pas le cotillon… et puis montrez-vous partout ces jours-ci; faites des visites, voyez tout le monde.…

–» Oui, oui, soyez tranquille, repartit M. de Mauzac. Mais, chut! prenez garde à cet imb…»

Bruneau éclata de rire.

–Ah! ah! ah! fit-il. Il a dit imbécile!…

–Le mot vous paraît trop doux, je pense, murmura l’officier, à qui le récit de Faucompret répugnait outre mesure.

–Oh! fit négligemment l’ami de Bruneau, il ne s’est peut-être pas servi de ce mot-là!…

–Qu’importe, d’ailleurs? Continuez, monsieur Isidore, dit madame Desrivières.

Faucompret reprit en ces termes:

–Alors, tout en les saluant et en causant, j’allai avec eux jusqu’au groupe du général, et j’entendis celui-ci qui disait:

–«Du reste, il faut que je monte au Quinconce pour voir un peu ce qui s’y passe, et –ajouta-t-il en se tournant du côté du capitaine –tu seras content de moi.»

Et je fus obligé de m’éloigner, conclut Faucompret. Seulement, je suis venu bien vite vous raconter cela, pensant que cela vous intéresserait.

–Sans doute, dit mademoiselle Duvivier de sa voix cassée. Et.…. vous ne savez que cela?…

–Pas autre chose.

–Ce n’est pas assez fit madame Desrivières.

–Non, ce n’est pas assez, reprit madame Robin.

Et, s’adressant à l’officier:

–Donc, vous disiez, capitaine?….

–Oh! madame, répondit l’officier, dégoûté de ce qu’il venait d’entendre et de voir, je ne disais rien et je n’ai rien à dire. M. Faucompret vient de parler pour moi, et il a dit, certes! beaucoup de choses que je n’eusse pas dites.

–Voyons, capitaine, insista mademoiselle Duvivier en essayant de devenir câline, vous disiez: «Je ne sais si la comtesse…»

–Vous le voulez? fit l’officier. Eh bien, je ne sais si la comtesse est pour quelque chose dans le duel de ce matin, mais j’avoue que je ne puis croire–en admettant la réalité de ce que l’on raconte–que votre petit M. Laruelle soit le rival de mon ami de Mauzac

–Pourquoi donc pas? murmura haineusement madame Robin.

–Non, reprit l’officier en riant. Je crois bien plutôt que Mauzac aura eu envie de tirer les oreilles à votre Laruelle à propos de quelque inconvenance de celui-ci.

–Allons donc! lit madame Desrivières.

–Oh! c’est qu’il est fécond cninconvenances, M. Laruelle! J’ajouterai seulement, continua le camarade de M. de Mauzac, que mon ami a été trop loin peut-être, en châtiant ainsi votre percepteur, à cause du bruit que cela devait faire dans la ville.

Le général de Labassère s’approchait du groupe.

–… Cependant, reprit le camarade de Guy, je pense que si Mauzac a agi comme il l’a fait, c’est qu’il le devait, et… sans plus ample informé, je l’approuve complétement.

–Et vous avez raison, capitaine! interrompit alors le général en frappant amicalement sur l’épaule de l’officier.

–Mon général!… murmura celui-ci, tandis que tous les yeux se tournaient vers M. de Labassère.

–Oui, reprit ce dernier, tout haut et de façon à être bien entendu, votre ami le capitaine de Mauzac, mon pupille, mon-enfant, a fait son devoir en punissant cette vipère qui a nom Laruelle. Ce misérable s’est permis de m’écrire une lettre anonyme remplie d’accusations immondes contre ma femme, et je suis venu trouver Guy, et je lui ai montré la lettre, et je lui ai dit que je n’étais plus en âge de venger moi-même mon honneur, et je l’ai prié de s’en charger.…

...Vous m’entendez bien, conclut le général encore plus haut, c’est pour moi, c’est à ma place qu’il s’est battu, et c’est moi qui l’ai prié de se battre!

Le capitaine salua respectueusement M. de Labassère; quelques hommes serrèrent la main du vieillard; les femmes s’écartèrent, feignant l’émotion.

Personne ne s’aperçut que la présidente donna un prétexte ridicule pour se séparer de ses deux amies et pour rentrer en ville avant tout le monde.

Un scandale en province

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