Читать книгу Louis XIV et Marie Mancini d'après de nouveaux documents - R. de Chantelauze - Страница 3
INTRODUCTION
ОглавлениеOpinion de Voltaire sur les amours du Roi et de Marie Mancini.—Les trois projets de mariage de Louis XIV.—Documents inédits consultés par l'auteur.
Le vif intérêt que présente la passion de Louis XIV pour Marie Mancini, passion qui faillit provoquer de si graves événements entre la France et l'Espagne, n'a pas échappé à l'œil pénétrant de Voltaire. «Louis XIV, dit-il, mit dans sa cour, comme dans son règne, tant d'éclat et de magnificence, que les moindres détails de sa vie semblent intéresser la postérité, ainsi qu'ils étaient l'objet de la curiosité de toutes les cours de l'Europe et de tous les contemporains. La splendeur de son gouvernement s'est répandue sur ses moindres actions. On est plus avide, surtout en France, de savoir les particularités de sa cour, que les révolutions de quelques autres États... Voilà pourquoi il n'y a guère d'historiens qui n'aient publié les premiers goûts de Louis XIV pour la baronne de Beauvais, pour Mlle d'Argencourt, pour la nièce du cardinal Mazarin, qui fut mariée au comte de Soissons, père du prince Eugène, surtout pour Marie Mancini, qui épousa ensuite le connétable Colonne. Il ne régnait pas encore quand ces amusements occupaient l'oisiveté où le cardinal Mazarin, qui gouvernait despotiquement, le laissait languir. L'attachement seul pour Marie Mancini fut une affaire importante, parce qu'il l'aima assez pour être tenté de l'épouser, et fut assez maître de lui-même pour s'en séparer. Cette victoire qu'il remporta sur sa passion commença à faire connaître qu'il était né avec une grande âme [1].»
Ce sujet a même paru si grand, si dramatique, qu'il a, comme on le sait, tenté la muse de deux de nos plus grands poètes au XVIIe siècle: «Lorsque Madame, dit encore Voltaire, fit travailler Racine et Corneille à la tragédie de Bérénice, elle avait en vue non seulement la rupture du Roi avec la connétable Colonne, mais le frein qu'elle-même avait mis à son propre penchant de peur qu'il ne devînt dangereux [2].»
Au récit des amours du Roi et de la nièce de Mazarin, qui fut sur le point de devenir reine de France, se trouve étroitement mêlée l'histoire des deux autres projets de mariage de Louis XIV avec la princesse de Savoie et avec Marie-Thérèse. Ces trois projets se trouvent liés entre eux et enchaînés de telle sorte, qu'il est impossible de parler de l'un sans que l'on ne soit obligé de s'occuper de l'autre. C'est ainsi qu'à la naissance de la passion du Roi pour Marie Mancini, l'offre de la main de l'Infante vient tout à coup traverser et faire échouer le projet du mariage de Savoie; c'est ainsi que l'amour réciproque de Louis XIV et de la nièce du Cardinal tient pendant plusieurs mois en suspens le mariage espagnol et menace même de le rompre. Cette histoire forme donc comme un drame en trois actes, dont le premier se termine par la rupture de l'union projetée entre le Roi et Marguerite de Savoie; dont le second est rempli tout entier par la lutte de Mazarin avec Louis XIV et sa nièce, afin d'empêcher leur mariage, et dont le dernier, après les efforts suprêmes de cette lutte, a pour dénouement le triomphe définitif du cardinal et celui de l'Infante.
Jusqu'à présent on n'a connu la correspondance de Mazarin avec le Roi, avec Anne d'Autriche et d'autres personnages, au sujet du mariage d'Espagne, de l'amour de Louis XIV pour Marie Mancini et de la paix des Pyrénées, que d'après les Recueils fort incomplets et fourmillant d'erreurs qui ont été publiés au siècle dernier par des éditeurs aussi peu scrupuleux que peu instruits [3].
Il existe deux Recueils manuscrits de ces mêmes lettres, en copies authentiques, l'un qui fait partie de la Bibliothèque Mazarine, l'autre des archives du ministère des affaires étrangères. Les lettres qui composent le premier n'ont été publiées qu'en partie; parmi elles on en trouve un assez grand nombre d'inédites. Ce ne sont point, il est vrai, des originaux, mais des copies ayant la valeur des originaux, puisqu'elles ont été prises par les ordres et sous les yeux mêmes de Colbert et qu'elles ont fait partie de sa bibliothèque. Le second Recueil, beaucoup moins complet, renferme, entre autres, les deux lettres les plus importantes, qui furent adressées au Roi par Mazarin afin de le dissuader d'épouser sa nièce. L'une est datée de Cadillac, le 16 juillet 1659, l'autre de Saint-Jean-de-Luz, le 28 août suivant.
Bien différents des textes donnés au XVIIIe siècle et qui présentent à chaque page des erreurs, des non-sens, des omissions, des mots tronqués, des chiffres sans leur clé, les textes de la Mazarine et des archives des affaires étrangères [4] sont presque toujours très corrects, beaucoup plus complets, et ils offrent de nombreuses variantes. Nous avons eu soin, pour tous les passages que nous avons cités, de ne jamais laisser passer un chiffre sans en donner la clé d'après celle de Baluze, l'archiviste et le bibliothécaire de Colbert.
Nombre des lettres inédites du Cardinal, dont nous venons de parler, sont adressées au Roi, à la reine Anne d'Autriche, à Marie Mancini, et à Mme de Venel, gouvernante des nièces de Mazarin.
Ajoutons que nous avons eu la bonne fortune de pouvoir copier dans les archives du ministère des affaires étrangères, plusieurs lettres inédites de Louis XIV adressées à l'infante Marie-Thérèse [5], avant son mariage, lettres dont la lecture est des plus piquantes, lorsqu'on vient de parcourir la correspondance de Mazarin, qui reflète si vivement l'ardente passion du Roi pour Marie Mancini.
La plupart des lettres du Cardinal roulent sur les préliminaires du traité des Pyrénées et sur l'amour du Roi pour sa nièce. Il avait à la fois à lutter, pour mener sa grande œuvre à bonne fin, et contre les exigences de l'Espagne et contre cette passion du Roi qui pouvait l'entraîner à faire de Marie Mancini une reine de France.
Les négociations qui préparèrent le traité sont trop en dehors de notre sujet, pour que nous ayons cru devoir faire le moindre emprunt sur ce point aux lettres du Cardinal.
Il n'en est pas de même de l'autre question qui le préoccupait si vivement. Jusqu'à présent on n'avait montré que les principales péripéties de ce drame intime, mais sans en indiquer l'enchaînement, et, parfois, sous de fausses couleurs. La correspondance manuscrite, et souvent inédite de Mazarin, beaucoup plus complète que celle qui a été publiée, nous permettra de suivre l'action pas à pas, d'en montrer toutes les phases successives. A côté des grandes questions qui s'agitaient sur les bords de la Bidassoa, la passion orageuse du Roi et de Marie Mancini faillit rompre les négociations, déchaîner de nouveau la guerre sur l'Europe et bouleverser le royaume.
Tel est le récit que nous allons dérouler de nouveau sous les yeux du lecteur. Afin de ne pas en interrompre le fil, nous avons eu soin de n'insérer dans notre texte que les passages les plus saillants des documents consultés, en rejetant la plupart d'entre eux dans l'Appendice de ce volume, ou dans les notes.
Marie Mancini étant la principale héroïne de notre récit, nous n'avons pas cru que ce fût un hors-d'œuvre de raconter la fin de sa vie, qui fut traversée par de si étranges aventures. D'ailleurs, cette dernière partie ne se lie-t-elle pas intimement aux précédentes par les vaines tentatives qu'elle fit plusieurs fois pour rentrer en France, afin de reconquérir l'amour de Louis XIV et de supplanter les favorites?
Pour cette dernière partie, nous avons consulté les sources contemporaines et, en première ligne, les Mémoires authentiques de Marie Mancini, qui, malgré le vif intérêt qu'ils présentent, sont à peine connus à cause de leur extrême rareté.