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II

Le fiacre les mena aux Batignolles, au numéro35 de la rue de la Condamine.

Là, deux demoiselles qui, de leur fenêtre, guettant la voiture, étaient rapidement descendues, les reçurent à la portière.

Elles étaient en cheveux à bandeaux plats, vêtues d’une robe marron surmontée d’un petit col blanc, et serrant énergiquement au corps, assez raide; elles ne se ressemblaient guère que par cette raideur.

L’aînée, Mlle Augustine, grande brune, maigre, avait le visage d’une belle régularité de lignes, mais grave jusqu’à la sévérité, et qu’accentuait encore une auréole de bistre s’étendant autour des yeux noirs.

Ceux de sa sœur, Mlle Théodosie, étaient d’un bleu d’azur et d’une mobilité inquiétante; le nez fort s’épatait au bout; les lèvres, d’un rouge vif, dominaient un tout petit menton.

Les bandeaux plats de ses cheveux châtains luisaient de pommade; un velours ponceau s’y dissimulait, comme craintivement, de l’oreille à la nuque.

A la vue des arrivants, avec des cris de joie presque enfantins, elle s’empressa d’embrasser l’enfant et de prendre la valise aux mains de M. Fréault qui disait avec amabilité:

–Mes cousines, voici Marianne.

Mlle Augustine regarda un instant la petite, puis l’embrassa sur les deux joues, gravement.

On monta au second étage. Trois pièces propres comme des sous neufs, merveilleusement cirées, aux meubles en acajou plaqué, reluisants à s’y mirer; le salon en velours grenat tranchant ferme sur le papier blanc à raies violettes; raies et blanc qui se continuaient dans la chambre dont le lit occupait presque les trois quarts et la commode le reste.

La salle à manger, avec sa table, son petit buffet, ses chaises de paille, son poêle de fayence tout brillant, un bureau minuscule dans un coin, et deux gravures qui se faisaient face: l’Absence et le Retour, avait cet air d’intimité des pièces toujours habitées. Deux métiers à tapisserie devant la fenêtre montraient en effet qu’on vivait surtout là.

C’était le triomphe de la propreté. Pas une miette de pain à terre, pas un fil, pas un grain de poussière. Et tout à sa place, dans une composition d’une harmonie puritaine, qui fut à peine troublée d’une ligne lorsque Mlle Augustine apporta le café, car la corbeille à pain posée de travers par Mlle Théodosie, que la présence des invités troublait sans doute, ne resta dans cette position extraordinaire que le temps d’un coup d’œil de Mlle Augustine à sa sœur.

Et alors ce fut admirable de symétrie; la corbeille en ligne parallèle avec le beurre, la cafetière avec le pot au lait, et les quatre tasses à distance juste les unes des autres, comme les quatre personnes.

On dépêcha le déjeuner. M. Fréault, pressé de retourner à l’hôtel pour en emporter ses bagages à la gare de Lyon, mangea avec rapidité en essuyant nerveusement à tout coup sa forte moustache, tandis que la petite Marianne, devant sa tasse de café, levait par sursaut ses yeux navrés sur les deux visages nouveaux.

–Mange, mon enfant, mange, disait le père, la bouche pleine et les yeux humides.

–Mange, ma petite Marianne, mange, ajoutait Mlle Théodosie en souriant de toutes ses dents à M. Fréault.

Sur la dernière bouchée, Mlle Augustine se leva en faisant signe au père de la suivre au salon.

La porte fermée derrière eux:

–Mon cousin, dit-elle, cette enfant est sensible, trop sensible; elle a besoin d’énergie; contre l’existence, il n’y a d’autre ressource que l’énergie!

–Oui, ma cousine, je vous remets ma fille en mains pour que vous en fassiez une brave et vertueuse femme comme vous.

Il se mit à pleurer:

–Moi aussi, je suis sensible, trop sensible. pauvre petite! mon enfant! Je la quitte. Il n’y a pas à dire! je la quitte.

Il se prit les cheveux à pleines mains et ne bougea plus, comme s’il voulait se fixer là, avec sa douleur, pour le reste de ses jours, et, dans cette position, continua:

–Je dois la quitter!.. la fortune à conquérir pour elle. l’obligation sacrée d’un père!… Et puis, un homme peut-il élever une jeune fille? Voyons, a-t-il les mains assez délicates pour cela? Comment songer à remplacer auprès d’elle sa mère, la bonne créature que j’ai perdue voilà onze mois!… Vous et votre sœur, vous êtes mon refuge. J’aurais pu m’adresser à vos parents, à Clermont. Mais la province!… J’ai préféré Paris, à cause de l’éducation.

–Vous partez pour longtemps, mon cousin? demanda Mlle Augustine que tous ces remords et la gesticulation qui les accompagnait ne semblaient pas toucher beaucoup.

–Je l’ignore, ma cousine; l’exécution de grands projets comme les miens peut demander du temps; mais je viendrai voir ma fille… ma chère petite fille!

Les larmes coulèrent de nouveau, quoique un peu moins abondantes.

–Enfin vous avez pris votre résolution! dit Mlle Augustine.

–Il le fallait bien!

Il s’essuya les yeux, puis tira de sa poche un portefeuille, et du portefeuille deux billets de mille francs, auxquels il ajouta, de son porte-monnaie, quatre cents francs en or.

C’était la pension pour un an de la petite Marianne, le prix arrêté depuis dix jours, dans un premier voyage de M. Fréault, à Paris. Deux mille quatre cents francs: il tenait, dit-il, à faire bien les choses.

Mlle Augustine plaça l’argent dans un coffret, sur la cheminée.

–Dès que je le pourrai, vous en recevrez le double, reprit-il en remettant en poche le portefeuille et le portemonnaie.

–Cela suffit pour longtemps encore, mon cousin; nous n’en demandions pas tant.

–Je veux que ma fille ne souffre de rien!

–Elle ne souffrira de rien.

–J’en suis assuré.

–Mais elle ne vivra pas ici en marquise!

–Bon.

–Nous la dresserons au ménage.

–Oui.

–On l’instruira dans une bonne pension du voisinage.

–Parfait!

–Elle reviendra dormir là. Voici son lit.

Mlle Augustine tira un rideau tout neuf de serge rouge qui, à la façon d’une tapisserie, couvrait un coin du salon.

Un petit lit de fer, aux draps très blancs, avec une couverture piquée de vieille indienne à grands ramages, était derrière le rideau.

M. Fréault toucha la couverture, les draps, le fer:

–C’est gentil, ce petit nid-là. Que ma pauvre mignonne y dorme chaque nuit, sans souci, du bon sommeil de l’enfance, tandis que je veillerai, que je travaillerai pour elle!

Il arrêta là son émotion sous le regard presque froid de Mlle Augustine,

En ce moment Mlle Théodosie entra, l’air assez étonné de la longueur de la conversation..

Sur quoi Mlle Augustine gagna la salle à manger en disant qu’il ne fallait pas laisser l’enfant seule.

M. Fréault prit les mains de Mlle Théodosie, lui confia sa fille comme il venait de le faire à l’aînée, et avec toute l’explosion d’un cœur qui s’était retenu.

Mlle Théodosie, elle, mêla ses larmes aux siennes, et M. Fréault, par sympathie, voulut l’embrasser.

Mais elle recula vivement d’un pas et, presque aussitôt, revint, toute rouge, avec un peu d’embarras en disant:

–Peut-être n’est-ce pas mal?

–Et pourquoi cela serait-il mal? demanda M. Fréault, surpris.

–Nous sommes seuls, mon cousin.

Comme, malgré ces mots, elle attendait visiblement l’embrassade, il la lui donna.

–Au revoir, dit-il.

Elle le retint par la manche et, baissant entièrement la voix, quoique la porte fût fermée:

–Vous avez vu Roudaire, à Clermont?

–Je l’ai rencontré chez votre père, la veille de mon départ.

–Il est toujours commis-voyageur?

–Toujours; et encore beau garçon.

–Et son amour pour Augustine?

–On l’en dit guéri; on conte même qu’il va se remarier.–

–Ah!

Les yeux d’azur de Mlle Théodosie prirent une teinte sombre.

–Dam! Votre sœur l’a repoussé. L’aime-t-elle encore?

–Et comme il faut! c’est pour la vie. Mais, voyons, pouvait-elle épouser son beau-frère, le mari de notre sœur? C’eût été monstrueux!

–Mais pas tant…

–Épouvantable! Dieu ne l’eût pas permis.

–On voit pourtant de ces mariages-là.

–Nous sommes plus délicates que d’autres, voilà tout, mon cousin! Et ma sœur a le caractère plus fort que l’amour.

–Vous aussi, ma cousine?

Elle devint encore plus rouge:

–Moi, dit-elle vivement, je n’ai pas aimé Roudaire; on ne peut pas m’accuser de cela! C’est vrai qu’il m’a regardée un peu en même temps qu’Augustine, qu’il m’a fait des compliments et des cadeaux, car les hommes sont extrêmement larges de cœur et peuvent courtiser à la même heure deux, quatre, seize femmes; mais je ne l’ai pas aimé! je ne me suis pas occupée de lui, je l’ai laissé à ma sœur!

Sa voix et ses yeux étaient troublés à faire penser que la pauvre fille s’était non-seulement occupée jadis de son beau-frère, mais aussi qu’elle s’occupait maintenant du cousin.

Celui-ci tira sa montre:

–Neuf heures, déjà. Il me faut partir, et au galop!

Ils rentrèrent dans la salle à manger:

L’enfant, sur sa chaise, les bras écartés, tenait un écheveau de fil que dévidait devant elle Mlle Augustine, déjà assise auprès de son métier à tapisser.

–Je la distrais, ne l’attendrissez pas trop, murmura-t-elle au père, après un regard au visage de Théodosie.

L’écheveau tirait à sa fin. Elle en enroula le bout autour de la bobine. M. Fréault prit sa fille dans ses bras:

–Va, va, tu as de bonnes cousines, ma chérie, lui dit-il; toutes les petites filles n’ont pas cela. Ne pleure pas, Mariannette! je reviendrai bientôt, je te l’ai promis.

–Oh! papa, vous me quittez!

–Je reviendrai.

–Oh.! oh! oh!..

De gros-sanglots secouaient sa petite poitrine; les larmes inondaient son visage; de ses bras elle se cramponna à son père.

Quoique attendris, les yeux noirs de Mlle Augustine regardaient attentivement cette sensibilité comme pour en bien prendre la mesure; Mlle Théodosie pleurait. M. Fréault, n’en pouvant plus, remit Marianne sur sa chaise, se tourna vers le mur et, le front dans ses mains, parla ainsi à demi-voix:

–Je suis incapable de partir. parfaitement incapable. je ne partirai pas!

–Oh! restez, papa! restez ou emmenez-moi!

Il demeura là une minute; après quoi, se retournant, les mains dans ses cheveux embroussaillés, avec un mouvement tragique:

–La vie a des nécessités terribles! la volonté est une plaisanterie! un homme, surtout un père, ne s’appartient pas; adieu, mon enfant!

Deux fois, très chaleureusement, il embrassa Marianne qui continuait de sangloter, et gagna la porte où il embrassa aussi les deux sœurs en leur recommandant sa fille par des gestes d’une vivacité éplorée. Les bras tendus au ciel, la tête en arrière, il ajouta:

–Donnez-lui la belle poupée qui est dans la valise! et les robes d’or, d’argent et d’azur!

L’escalier rapidement descendu, M. Fréault se jeta dans la voiture qui l’attendait. Et le voilà parti pour la Caroline du Sud, pour les montagnes de millions et pour la liberté qu’il aimait par-dessus tout.

Marianne

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