Читать книгу Marianne - Robert Halt - Страница 5

Оглавление

III

Après avoir refermé la porte, Mlle Augustine alla à l’enfant et, tout en lui caressant les joues, lui dit:

–Cesse de pleurer.

Le ton, comme la caresse, était si ferme, que Marianne, frappée, s’arrêta au milieu d’un sanglot:

–Bien, dit maternellement Mlle Augustine, très bien!

Elle tira de la valise la belle poupée et la lui donna; puis, s’adressant à Théodosie:

–Viens te déshabiller.

Elles gagnèrent la chambre et ôtèrent leur robe marron, la robe des grands moments, pour une autre d’étoffe grise, très âgée, très luisante, et qui datait à peu près de leur arrivée à Paris, sept ans auparavant.

Tout en rangeant soigneusement le costume de fête dans l’armoire, Mlle Augustine demanda à sa sœur de qui elle avait causé avec M. Fréault.

–De l’enfant.

–C’est tout?

–Et aussi des gens du pays.

Ses lèvres palpitèrent sur ce qui lui restait à dire; mais Mlle Augustine, un peu pâle, fit un geste pour imposer le silence:

–Ote ce velours de tes cheveux, dit-elle ensuite.

–Il soutenait ma coiffure, répondit-elle en ôtant lentement le velours. Quel luxe pourtant!

–Une fille pauvre n’a pas le droit d’être coquette.

Mlle Théodosie prit un air lamentable:

–Il est vrai, dit-elle, que j’ai promis de rester fille avec toi.

–Tu l’as promis, ma sœur, mais encore une fois, ta liberté te reste, répondit Mlle Augustine. Nous nous sommes associées contre la misère qui attend toujours une femme seule; si tu souffres ici, je ne te retiens pas.

L’autre se mit à pleurer:

–Mon Dieu! Augustine, que tu es dure avec moi pour un morceau de velours! Est-ce que je songe à te quitter?

–Eh bien alors, laissons cela. C’est une sottise de geindre sur une honnête résolution une fois prise. Il y a trois ans, quand nos parents retournèrent à Clermont, et que nous refusâmes de les suivre, nous avions, moi trente ans, toi vingt-cinq. A ces âges, on sait ce qu’on fait.

–Toi, tu es forte comme un homme, dit Mlle Théodosie en essuyant ses yeux.

–Pour vivre, une femme doit être plus forte qu’un homme, ma sœur; nous avons maintenant la charge d’un enfant, car son père.

Elle secoua la tête:

Enfin, il vaut mieux sans doute que Marianne soit avec nous. Viens.

Sa voix s’était adoucie. La sévérité de corps et d’âme de la-brave fille s’attendrit encore devant Marianne, sur qui elle se pencha un moment avec une grâce maternelle, en admirant la belle poupée qu’elle tenait aux mains.

Mais l’enfant, un reste de larmes dans les yeux, ne jouait qu’à moitié.

Quelques minutes après, la valise déballée, les effets rangés, les deux sœurs étaient à leur métier à tapisser, et rapidement perçaient le canevas de leur aiguille, suivant un dessin de grande pantoufle.

Depuis trois ans, elles travaillaient ainsi et vivaient de cette pantoufle dont elles faisaient des centaines pour le même magasin de la rue Montmartre.

Ensemble, à cette unique besogne, elles gagnaient de cent soixante à deux cents francs par mois; et leurs fournisseurs, leur propriétaire surtout, qui, pour sa seule part, prélevait là-dessus trois cent soixante francs, sans compter l’impôt des portes, des fenêtres, le décime, le droit proportionnel, et autres petits gouffres qu’il leur faisait aussi combler, tenaient les deux demoiselles pour les plus honorables des Batignolles.

C’étaient, en effet, de rudes créatures, impitoyable à leurs yeux, à leurs forces, de ces dures et vénérables guerrières pour l’existence la plus réduite, qu’on rencontre à chaque pas dans l’immense pays de Pauvreté.

Elles étaient venues à Paris huit ans auparavant, avec leurs parents, les Beynaguet, de petits merciers de Clermont qui, ambitieusement, voulurent se mesurer à la jolie et vigoureuse rouerie de la boutique parisienne. Ils fondèrent, dans la rue de l’Arbre-Sec, un magasin qui fut bientôt aussi sec que l’arbre, et, après avoir dévoré leurs profits provinciaux, repartirent malades de honte pour leur petite ville, sans autre espérance de vie désormais que celle de quarante francs par mois que leurs deux filles devaient aussi tirer de la pantoufle.

Celles-ci demeurèrent à Paris, ne pouvant guère gagner ailleurs la double pâture qu’il fallait maintenant.

Elles coupaient les liards en quatre; un verre de vin à elles deux par jour, c’était, depuis trois ans, toute leur fête de liquide; et jamais encore, jamais elles n’avaient franchi d’une goutte la loi établie; une marque au-dessus du verre indiquait le point sacré, au-dessus duquel le crime eût commencé. Et il fallait voir l’attention ardente de la main qui versait, et le plaisir de toucher juste du premier coup! Envers la nourriture, même traitement, interrompu seulement çà et là, du côté de Mlle Théodosie, par de terribles fringales de gourmandise.

Le lever et le coucher se menaient avec une célérité qui ne permettait pas à la lampe de brûler un quart de seconde de plus qu’il ne lui était commandé.

A l’abri des mites, du soleil, de la poussière et des mauvais plis, les vêtements avaient la vie longue. La brosse ne passait sur eux qu’avec d’infinies précautions; les pauvres étoffes avaient beau maigrir à force d’usure, devenir transparentes, elles ne cédaient jamais; on les maniait comme des âmes.

Quant aux meubles, ils se montraient plus neufs, plus solides, à mesure de leur service, et acquéraient peu à peu la raideur, la sévérité de Mlle Augustine qui, à la façon des forts, mettait partout sa marque autour d’elle.

Et c’était principalement sur sa propre vie que cette marque s’était imprimée:

Elle aimait, depuis longtemps, d’un silencieux amour, Roudaire, le beau et fin commis-voyageur, quand sa sœur cadette, très jolie fille, l’épousa. Cette sœur morte, Roudaire, pour la remplacer, regarda vers Augustine, dont la passion lui apparut enfin, malgré la profondeur où elle l’ensevelissait. Il se mit à l’aimer aussi, et le lui dit un soir de dimanche qu’ils se promenaient aux champs.

Elle avait alors vingt-deux ans; la fraîcheur de la jeunesse et d’une belle pureté égayait son grave visage.

Aux premiers mots de Roudaire, une rougeur de pourpre, aussitôt suivie d’une grande pâleur, la couvrit.

Lentement, sans un mot, elle rejoignit ses parents et Théodosie qui marchaient devant.

Le lendemain, quand Roudaire lui demanda une réponse, elle lui dit:

–Jamais!

–Je croyais cependant que votre cœur. Augustine.

–Vous êtes mon beau-frère; il y a une morte entre nous. Je ne veux pas empoisonner la paix de ma sœur dans le ciel, lui retirer celui qu’elle y attend! Ce serait la plus grande des trahisons! J’aime mieux souffrir. Ne me parlez plus d’amour. Adieu!

La scrupuleuse conscience de la rude Auvergnate s’en tint là avec une inébranlable fermeté; ni par des raisons, ni par des larmes, Roudaire ne put la battre en brèche.

Mais il n’alla pas jusqu’à la dernière des Beynaguet, Mlle Théodosie, qui, sans condamner sa sœur, pleura avec lui très sympathiquement et, au bout de pleurs inutiles, finit par parler comme Augustine du crime des femmes capables d’épouser leur beau-frère.

Roudaire fit ses paquets et s’en alla voyager longuement à travers la France avec ses échantillons devin.

Dès lors, à Clermont comme à Paris, on ne prononça plus son nom devant l’austère fille qui enfouit son amour encore plus profondément dans son âme, comme un péché dont elle ne pouvait guérir, et sans paraître se douter qu’il existât d’autres hommes au monde.

Marianne

Подняться наверх