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IV

La petite Marianne semblait donc en bonnes mains, et M. Fréault, qui se sentait aussi peu de goût que possible à élever lui-même sa fille, savait l’honnêteté des deux sœurs, ses cousines maternelles; il était directement venu frapper à leur porte.

Deux cents francs de plus par mois qu’il apportait, c’était la fortune pour les pauvres brodeuses, au moins pour Mlle Théodosie qui proposa aussitôt de broder un peu moins, de souffler un peu plus, d’aller aux magasins du Louvre choisir de belles étoffes, et, chez le pâtissier, des petits fours qu’elle adorait pour y avoir goûté une fois, à l’arrivée à Paris.

Rondement l’aînée écarta ces propositions et se contenta de prendre une bonne pour le gros ouvrage, tandis que les métiers à tapisser iraient de plus belle:

–Cela, et peut-être un demi-verre de vin de plus par jour, c’était tout le profit qu’on pouvait décemment tirer des deux cents francs qui appartenaient à l’enfant, rien qu’à elle!

Poirette, la bonne, débarqua de Clermont, le pays natal, où Mlle Augustine avait écrit.

C’était une brave vieille, aux gros yeux myopes, à l’air fatigué de vivre, dont, jusque-là, le temps s’était employé à l’élevage de huit enfants, qui tous, filles et garçons, élevaient maintenant les leurs, et y avaient trop à faire pour que la vieille mère pût leur réclamer les moyens de s’asseoir un peu sur la route et de respirer avant de mourir.

Elle connaissait les demoiselles Beynaguet, leur histoire, leurs parents, et, de nom, M. Fréault, et avait immédiatement accepté l’offre de venir à Paris pour quinze francs par mois.

D’ailleurs ne sachant, en cuisine, que faire la soupe aux choux, et cuire des ronds de pommes de terre sur le couvercle du poêle. Mais les deux sœurs la jugèrent éducable, malgré son âge, et grâce aussi à ces quinze francs par mois dont elle se contentait.

Après ce premier objet de luxe, on songea à un autre: une pension distinguée pour mademoiselle, une excellente éducation: l’histoire sainte, la grammaire française, les rois de France et la division! tout ce que les deux sœurs avaient appris elles-mêmes jadis à Clermont, chez les Ursulines, où allaient quelques demoiselles riches de la ville.

Mais, avant de chercher la pension, elles voulurent savoir si Marianne y tiendrait sa place et l’interrogèrent.

Elle ne savait rien, absolument rien!son père Pavait terriblement négligée pour la Caroline du Sud.

Elles retrouvèrent dans une armoire un abécédaire de leur enfance, avec couverture de papier à chandelle, aux grandes lettres, extrêmement vilaines.

Heureusement l’enfant était curieuse, et ce fut assez vite fait que de lui apprendre à lire à peu près.

Facilement aussi elle apprit à marquer ferme sur du papier blanc des bâtons, des ronds et des jambages:

–Maintenant, à l’arithmétique!

On mit aux mains de la petite une ardoise et un crayon. Et, en avant les comptes.

De toutes ses forces, de tous ses doigts mignons, Marianne crayonna dans son coin, près de la fenêtre, tandis qu’à côté, avec la même ardeur, allaient les aiguilles à tapisserie.

Mais l’addition fut d’une terrible difficulté à franchir. A chaque retenue à poser, plus de mémoire, plus de Marianne.

Enfin elle se levait, apportait l’ardoise en soupirant:

–Cousine Augustine!…

Cousine Augustine levait le nez, jetait le maître coup d’œil de la personne la plus forte peut-être de la rue dans l’art de saisir les relations des «poses et des retenues», et répondait:

–Il y a deux chiffres de mauvais!

Avec un autre soupir, petite Marianne regagnait son coin pour s’y colleter de nouveau avec l’ennemi, puis revenant:

–Cousine Augustine!…

Et la cousine:

–Il y a trois chiffres de mauvais

L’enfant allait se rasseoir, suait sang et eau, et revenait, le regard suppliant, l’ardoise tremblante au bout des doigts. On y regardait:

–Tous les chiffres sont mauvais!

Et Mlle Théodosie s’agitant sur sa chaise, l’aiguille en l’air:

–Oh! oh! oh! tous mauvais! elle ne saura jamais compter; si son père ne rapporte pas de là-bas des millions, voilà une jolie fille!

–Mon Dieu! mon Dieu! soupirait Marianne devant ce double mur de bronze de l’arithmétique et des arithméticiennes.

Mais elle ne pleurait pas, Mlle Augustine interdisant les larmes.

Pour la formation de ce caractère, la rude fille ajouta à l’arithmétique d’autres ingrédients:

Marianne passait un peu de son temps à déshabiller sa poupée «Niceton» et à l’habiller tour à tour des trois belles toilettes de sa garde-robe: l’une toute d’or, l’autre d’argent et de rose, la troisième d’azur. Ah! que c’était beau! Elle arrangeait chaque fois la robe et le chapeau d’une façon gentille, un peu fantaisiste; un petit coup de doigt, et voilà un chapeau et une robe à regarder.

Un jour, Niceton déshabillée, l’enfant reçut l’ordre de la laisser ainsi; Mlle Théodosie qui, depuis quelque temps, regardait, mais de travers, ces jolies choses et Marianne, s’empara des robes merveilleuses, et tendit, en échange, des morceaux de percale grise, en disant:

–Voilà une robe.

Et comme l’enfant semblait fort étonnée:

–Tu vas la coudre.

–Il faut apprendre à coudre, ajouta Mlle Augustine en piquant son aiguille sur le talon de la grande pantoufle; il n’y a que des enfants mal élevés qui s’amusent à leur poupée. Les poupées ne nous sont données que pour que nous apprenions à coudre.

–Nous n’avons pas appris autrement, dit la sœur cadette, son aiguille fièrement en l’air, ainsi qu’un drapeau conquis.

La petite Marianne prit les morceaux de percale grise qui représentaient la grande chose à apprendre et la robe à faire, et s’y noya aussitôt entre le corsage, la jupe, et les bras.

Deux grands mois entiers, Niceton resta déshabillée par un froid rigoureux qui empêchait les menottes de Marianne de tirer l’aiguille aussi vite qu’il l’eût fallu pour arracher la poupée au danger des rhumes et des engelures. Pauvre Niceton!

Son infortune navrait l’enfant. Et l’une ou l’autre des deux sœurs tendant un doigt vers les membres toujours épars de la toilette en percale grise:

–Il y a cinq points. dix points de mauvais!. tous les points sont mauvais!

Les points, les chiffres, les jours, hélas! tout était mauvais.

La pauvre petite avait des découragements noirs, pleurait, mais en cachette et avec d’autant plus de raison que les pleurs aussi étaient mauvais et qu’elle usait plus de fil que la ration donnée tous les matins: autre sujet de gros reproches.

Elle en vint pourtant à s’abandonner devant la vieille Poirette qui, malgré tout, lui montrait bon visage:

–Ah! Poirette! je suis si malheureuse! je voudrais mourir, je ne fais pas bien les surjets, et je n’ai jamais assez de fil!

Les mains jointes, elle parlait avec un accent désespéré.

Poirette fut fort émue. Elles se trouvaient en ce moment dans la rue Legendre, revenant du parc Monceau. La vieille servante avait ordre de prendre une livre de pruneaux à80centimes.

Elle en prit à70, et acheta ensuite chez la mercière d’à côté deux sous de fil, que l’enfant, avec un soulagement infini, mit dans sa poche.

Mais ces pruneaux!

A leur mine seule, les deux sœurs virent le crime et demeurèrent un moment consternées à l’idée que l’honnête Auvergnate était déjà changée en cuisinière de Paris, et qu’il allait falloir exercer contre elle toute leur science en arithmétique:

–Pruneaux de70centimes! Les deux sous? dit, la première, Mlle Théodosie, après une déclaration un peu molle de Poirette que les pruneaux avaient sans doute augmenté.

La vieille servante répéta son appréciation avec de grands mouvements de bras pour l’appuyer.

Alors Marianne, toute pâle, et dont les yeux allaient douloureusement de la bonne à Mlle Théodosie, et de celle-ci à Mlle Augustine, dit:

–Poirette m’a acheté du fil, parce que je n’en ai pas assez.

Elle le tira de sa poche.

Aussitôt, la face éclairée par le sentiment d’une belle trouvaille, Mlle Théodosie reprit en montrant l’enfant:

–C’est elle qui a eu la ruse d’acheter des pruneaux à70?

Mlle Augustine demanda:

–Est-ce toi, Marianne, qui, pour avoir du fil?…

–Oui, c’est moi, dit l’enfant.

Poirette eut beau protester, la confession était acquise.

La cadette, surtout, n’en revint pas de toute la soirée:

–Ma sœur, dit-elle avant de s’endormir, prenons garde; cette petite s’annonce comme bien habile.

–Nous verrons cela, répondit l’aînée.

Les mauvais surjets, la disette de fil et l’abondance de chagrin continuèrent de plus belle.

Il devint tel, qu’un jour, les deux sœurs étant dans leur chambre, Marianne, dans la salle à manger, l’aiguille aux doigts qui allaient plus de travers que jamais, laissa tomber sa percale, et se leva:

–Plus d’espoir! c’est fini!

La fenêtre était entr’ouverte à cause du poêle qui fumait. Des petites filles jouaient dans la cour. Une d’elles qui avait le nez en l’air lui sourit. Marianne secoua la tête, fit un cornet de ses mains jointes, et d’une voix qui pleurait presque:

–Veux-tu que je te donne quelque chose?

–Oui, répondit l’autre.

–Tiens!

Alors, successivement, elle lui jeta son aiguille, sa pelote, son dé, puis la toilette en expectative de Mlle Niceton; ce fut ensuite le tour de Mlle Niceton en personne, qui se fracassa la tête et le reste, sur le pavé.

Après quoi Marianne se pencha un peu hors de la fenêtre, comme si elle voulait suivre tout cela.

Heureusement les deux sœurs entrèrent au bruit pour contempler l’énormité de ce qui venait de se passer: tout l’outillage du travail et du devoir jeté à la rue!

L’enfant ne s’expliqua pas sur le motif de son incroyable action; silencieusement, en larmes, elle reçut le terrible orage de stupéfaction et de reproches qui fondit sur elle, la menace qu’on allait écrire à son père et le serment que jamais, jamais plus, elle n’aurait de poupée!

–Caractère en dessous. Il y a longtemps qu’elle méditait ce coup-là, dit Mlle Théodosie, d’un air satisfait. Elle veut nous effrayer, nous dominer!

Plus grave que jamais, Mlle Augustine commanda à l’enfant de se rasseoir et lui mit aux doigts du fil, une aiguille, de nouvelle percale grise à habiller Niceton, tout comme si Niceton eût été encore là!

Et les combats contre les surjets, les ourlets, recommencèrent.

Le plus gros de l’aventure pour Marianne et qui lui gonflait surtout le cœur, c’est qu’elle avait tué Niceton, sa pauvre amie qui lui venait de son papa, parti aussi!

Parfois cependant, elle se disait que peut-être ce n’était pas si malheureux, puisque maintenant Niceton pouvait rester déshabillée sans danger: au ciel elle n’avait pas froid!

Enfin l’heure de l’instruction chez une bonne institutrice sonna.

Marianne

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