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CHAPITRE II

Table des matières

MES SOUFFRANCES A BORD DE LA Pandore. — MON PROTECTEUR BEN BRACE.

Je n’étais pas embarqué depuis douze heures, que dis-je? — douze minutes, que j’étais tout à fait guéri de ma fièvre maritime. Le mal de mer me prit aussitôt, et je souffrais tellement que je pensais mourir. J’aurais donné beaucoup pour me retrouver sur la terre ferme.

Même pour un passager de première classe, bien soigné dans une cabine confortable, le mal de mer est toujours douloureux: que l’on juge de mes souffrances à moi, pauvre enfant isolé, que le capitaine bousculait, que le contremaître battait, que l’équipage raillait! Si j’avais vu le navire s’ouvrir, je n’aurais pas fait un mouvement pour éviter la mort. Mais l’intensité même de mon mal en abrégea la durée: au bout de deux jours, je cessai de vomir et je me sentis assez fort pour me lever et me promener dans le navire.

Le contremaître était une brute, l’équipage un ramassis de bandits, à l’exception d’un ou deux braves garçons. Quant au capitaine, méchant par nature, il se montrait féroce toutes les fois qu’il avait bu ou qu’il était en colère, ce qui lui arrivait souvent. Malheur à qui lui tombait alors sous la main, et surtout malheur à moi! car sa fureur s’exerçait le plus volontiers sur les êtres faibles.

Trapu, les traits réguliers, les joues potelées, les yeux à fleur de tête et le nez retroussé du bout, il offrait toute l’apparence d’un brave homme et d’un joyeux vivant. Mais sous ce masque de triviale jovialité se dissimulait la fourberie la plus cynique, la cruauté la plus impitoyable: et voilà à quel individu j’avais eu l’imprudence de me livrer!

Un contremaître, plus sobre (il ne buvait jamais), mais aussi brutal que le capitaine, un troisième officier, homme assez insignifiant et sans grande autorité, un charpentier toujours ivre de rhum, un gros nègre hideux, à la fois cuisinier et commissaire des vivres, complétaient le cadre de nos officiers. Et c’était à ces gens-là que ma vie était liée! C’était pour en arriver là que j’avais fui les miens, si tendres, si affectueux! J’étais déchiré par le repentir et le remords.

Mes regrets stériles étaient encore avivés à la pensée de l’engagement que j’avais signé sans même le lire et dont les clauses, ainsi que le capitaine me l’avait dit, m’obligeaient à servir pendant cinq ans à son bord, cinq ans d’esclavage, sous les ordres d’une brute qui pouvait me frapper, me fouetter, me jeter au cachot à sa fantaisie! Impossible de fuir sans être aussitôt déclaré déserteur et poursuivi comme tel dans tous les ports du monde. Je n’entrevoyais d’autre issue à mes longues tortures que dans le suicide; et je me serais pendu à une vergue ou jeté dans la mer, si le souvenir de mes parents ne m’avait retenu.

Oh! que d’avanies, que de coups, que de cruels traitements j’eus à subir! Je n’avais pas même un coin à moi pour dormir tranquille, et j’étais, par surcroît de misère, accablé de besogne la nuit comme le jour. Esclave des officiers, je devais obéir aussi à chaque homme de l’équipage; et le hideux nègre, Boule-de-Neige, s’arrogeait le droit de me commander. Bref, j’étais le valet et le souffre-douleur de tous les matelots.

Longtemps je souffris en silence; pourquoi me serais-je plaint, et à qui? Personne à bord ne s’intéressait à moi. A la fin, cependant, un hasard heureux me concilia la protection de l’un des matelots, qui, impuissant contre les brutalités du capitaine, pouvait au moins me défendre contre les mauvais traitements de ses compagnons. Il s’appelait Ben Brace.

C’était le meilleur matelot de la Pandore, ainsi que s’appelait notre navire. Encore jeune, grand, souple, bien découplé, la physionomie énergique et loyale, la tête comme casquée d’épais cheveux bruns et frisés, la barbe et la moustache toujours rasées avec soin, sa large poitrine tatouée, comme moulée dans une chemise de jersey bleu foncé, tel était mon ami Ben Brace. Voici dans quelles circonstances il se constitua mon protecteur.

Peu après mon embarquement, je reconnus non sans surprise que les étrangers composaient les trois quarts de l’équipage. Il semblait que chaque nation, France, Espagne, Hollande, Suède, Amérique, Italie, eût envoyé, pour la représenter dans cette assemblée de bandits, le plus crapuleux de ses membres, exception faite en faveur de Ber. Brace et d’un Hollandais, garçon sans malice et fort malheureux.

Parmi les Américains, un nommé Bigman se distinguait par son humeur querelleuse et féroce. Grossier, gras et trapu, barbu comme un pirate, il était, au demeurant, courageux, bon marin, et faisait partie, avec Ben Brace, de la petite bande qui s’arrogeait le droit de battre les autres et de tout régenter à bord. C’est à la rivalité qui existait entre les deux hommes, rivalité encore attisée par le préjugé national, que je dus la protection de Ben Brace.

J’avais, je ne sais comment, froissé l’Américain qui, pour se venger, en vint un jour à me frapper au visage. Devant cette agression aussi cruelle qu’injustifiée, Ben ne put contenir son indignation, et, sautant hors de son hamac, il s’élança vers Bigman et lui assena sur le menton un maître coup de poing à la John Bull.

L’autre chancela, puis, se remettant, il monta sur le pont avec Ben Brace, et tous deux, sous les regards attentifs des matelots, se livrèrent à une véritable partie de boxe, qui se termina, comme il arrive toujours entre Anglais et Américain, par la défaite de l’Américain: bourré de coups, la figure bleuie, il finit par s’abattre sur le pont comme un bœuf assommé.

— Assez pour aujourd’hui, n’est-ce pas? lui cria Ben. Eh bien, si tu touches encore cet enfant, je doublerai la dose... Et vous, là-bas, ajouta-t-il en se tournant vers ses camarades, ne le tourmentez plus, si vous ne voulez pas avoir affaire à moi.

Les matelots se le tinrent pour dit; personne ne me maltraita plus, à l’exception des officiers, contre lesquels mon nouveau défenseur se trouvait impuissant.

Et tous deux, sous les regards attentifs des matelots, se livrèrent à une véritable partie de boxe.


Parti en mer : récit d'un mousse

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