Читать книгу Parti en mer : récit d'un mousse - Thomas Mayne Reid - Страница 9
ОглавлениеOU LE NÉGRIER EST POURSUIVI PAR UN CROISEUR ANGLAIS.
Le navire cinglait vers le tropique du Cancer. Plus nous avancions, plus la température augmentait; il faisait si chaud que le goudron fondait et que nos souliers s’attachaient au plancher.
Aucun des navires rencontrés jusqu’alors n’avait semblé désireux de faire connaissance avec le négrier, lequel, de son côté, évitait soigneusement de se trouver sur leur route. Nous étions arrivés ainsi dans le golfe de Guinée, à cent milles environ de la côte d’Or, lorsque nous aperçûmes un voilier qui paraissait au contraire chercher à se rapprocher de nous et à nous gagner de vitesse. A la marche de ce navire, à la forme de son gréement, qui était celui d’un cutter , à l’audace avec laquelle il poursuivait un bâtiment bien plus grand que le sien, le capitaine reconnut qu’il avait affaire à un croiseur beaucoup mieux armé que la Pandore, et sans doute à l’un des vaisseaux de la marine royale d’Angleterre chargés précisément d’empêcher dans ces parages la traite des nègres.
Cependant le cutter se rapprochait. Le doute n’était plus permis; le pavillon de la Grande-Bretagne était arboré à son mât. C’était bien un croiseur anglais qui nous donnait la chasse, et nulle rencontre ne pouvait être plus inquiétante pour un navire comme le nôtre.
Cette découverte jeta la plus grande confusion à bord de la Pandore. Mais bientôt le capitaine donna l’ordre de larguer toutes les voiles et de fuir à toute vitesse devant le cutter, dont la silhouette se dessinait plus nettement à chaque minute.
Quant à moi, j’étais agité de sentiments divers. D’une part je souhaitais vivement que la prise de la Pandore vînt m’arracher enfin à l’horrible existence à laquelle j’étais condamné ; mais à la pensée du châtiment réservé à Ben, déserteur de la marine royale, si l’équipage était fait prisonnier, je me prenais à former des vœux pour le salut du négrier.
Longtemps je flottai ainsi entre la crainte et l’espérance. Le vent soufflait avec violence, et cette circonstance favorisait le cutter, aussi fin voilier que la Pandore, mais bien plus résistant: il voguait toutes voiles dehors, tandis que notre navire avait été contraint de baisser ou carguer une partie des siennes. Le croiseur gagnait donc du terrain; et il était évident que, si la force du vent se soutenait pendant deux heures encore, nous allions être rejoints et capturés.
Sous l’empire de cette crainte, le capitaine fit aussitôt disparaître tous les objets qui devaient servir à son trafic de chair humaine; carcans, menottes, chaînes furent cachés dans une tonne que l’on hissa parmi les voiles et les agrès; la grille que le charpentier venait d’achever fut brisée. Quant aux armes, dont on ne pouvait songer à faire usage contre un adversaire muni de canons, elles furent serrées à fond de cale dans une cachette préparée à cet effet. Enfin le capitaine sortit ses papiers de bord, destinés à établir qu’il était parfaitement en règle, et se tint prêt à subir la visite qu’il ne pouvait plus éviter.
Le cutter arrivait à un mille du négrier. Un boulet vint s’enfoncer dans l’eau près de nous, un pavillon fut hissé pour ordonner à la Pandore de s’arrêter immédiatement.
Soudain, comme si le canon lui en eût donné le signal, le vent se calma, s’atténua en brise légère; les voiles, détendues, se balancèrent mollement. Du premier coup d’œil, le capitaine comprit tout le parti qu’il pouvait tirer de ce changement, produit sans doute par le soleil qui était sur le point de se coucher. Au lieu d’obéir au croiseur, il donna l’ordre de déployer toutes les voiles; tous les matelots se précipitèrent dans les agrès pour exécuter ses ordres, et la Pandore fila rapidement devant le cutter qui fit feu de toutes ses pièces sans nous atteindre et ne tarda pas à être distancé. Avant même que la nuit fût venue, le croiseur ne formait plus à l’horizon qu’un point imperceptible.