Читать книгу Noémi - Tony Révillon - Страница 7

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IV

Table des matières

Moïse, à genoux, penché sur elle, s’abandonnait à son désespoir:

–Ma fille! Ma fille bien-aimée! Mon cher trésor! Consolation de ma vieillesse! Image de ta mère! Reviens à toi! Cet homme est un misérable! J’entends encore son rire. Tu ne le reverras plus, tu l’oublieras. Reviens à toi! Je te trouverai des vengeurs. Si tu le veux, je le poursuivrai jusqu’au bout du monde. Entends-moi, réponds-moi, ma fille!

Noémi ouvrit les yeux. Elle les referma éblouie, les rouvrit de nouveau. D’abord, elle ne vit que son père, qui s’était emparé d’elle et qui la tenait soulevée dans ses bras. Puis, se souvenant, elle jeta un cri, voulut parler, mais les sanglots étouffèrent sa voix.

Ses femmes étaient venues. Moïse la remit entre leurs mains.

–Ne la quittez pas, leur dit-il, restez toutes auprès d’elle.

Il se leva, et s’adressant à ses commis et à ses serviteurs:

–Maintenant, à nous, mes amis! Que dans une heure toutes les marchandises soient en ordre et les magasins fermés. Toi, Ismaël, quand tombera la nuit, tu descendras au port. Tu diras au capitaine de la Nina de se tenir prêt à partir ce soir même, à dix heures, dès que le vent se lèvera de terre. Nathan, mon fils, écoute. Nous partirons cette nuit; j’ai peur pour ma fille. La mer, malgré ses périls, sera pour elle un asile plus sùr que Gênes. Quand la bande du brigand qui nous menace aura disparu, nous reviendrons. Je n’ai confiance qu’en toi. Tu aimes Noémi. Toi seul es assez prudent et assez courageux pour veiller sur elle. Arme-toi, arme-les. Que cette maison, jusqu’à ce que nous l’ayons quittée, soit gardée comme une forteresse! Je vais voir nos frères, régler mes comptes avec eux. Je chargerai Nephtali de mes intérêts en notre absence. Nous emporterons les diamants, les métaux, ce que je possède de plus précieux. Promets-moi, jusqu’au moment du départ, de ne pas quitter le seuil de Noémi et de te faire tuer, s’il le faut, pour la défendre!

–Je vous le promets, mon père.

–Bien, mon fils. A la besogne, mes amis.

Avant la fin du jour, la halle était close. Des commis armés remplissaient la salle d’entrée sur la rue des Magasins-Obscurs, entourant les coffres d’or et de pierreries tirés des caves. Nathan avait choisi les plus braves, et se tenait avec eux à l’autre extrémité du palais Adorno, gardant les issues de l’appartement de Noémi. Une sentinelle avait été placée sur la terrasse.

Moïse sortit alors pour se rendre chez son frère Nephtali, pendant qu’Ismaél prenait le chemin du port, où il devait trouver le capitaine de la Nina.

Le vieux commis se hâtait déjà il apercevait les mâts des navires, lorsqu’au détour d’une rue étroite une bande de soldats sortit en désordre d’un cabaret. Ces hommes criaient, juraient, paraissaient ivres. Ismaël voulut rebrousser chemin. Mais en un clin d’œil il fut entouré, saisi, bâillonné, poussé dans le bouge dont la porte se referma sur lui.

Quand la rue fut redevenue silencieuse, deux hommes quittèrent le seuil d’un porche en retrait d’où ils avaient assisté à cette scène.

–Jacques, dit l’un d’eux, vite fais embarquer nos hommes. Nous partirons cette nuit.

Jacques s’éloigna aussitôt. L’autre alla frapper à la porte du cabaret.

–C’est moi, dit-il, le baron de Gondio!

A neuf heures, le mouvement du port avait cessé. Des feux allaient et venaient à bord de la Nina. Dans les quartiers marchands, les boutiques étaient fermées, les rues désertes. Une vingtaine de mercenaires portant des échelles se rangèrent en silence au pied de la terrasse du palais Adorno. Ils appuyèrent les échelles contre la muraille, et, hardis, agiles, sans un bruit, en gens habitués aux surprises nocturnes, tous se trouvèrent à la fois sur la terrasse. Avant que la sentinelle eût pu donner l’alarme, dix poignards menaçaient sa poitrine.

–Où est la fille de ton maître? dit une voix.

Le juif hésita:

–Conduis-nous à son appartement, ou tu es mort!

Le malheureux sentit le fer d’un poignard. Il obéit, terrifié.

En ce moment, Moïse prenait congé de son frère Nephtali. En traversant un carrefour d’où l’on apercevait le port, il vit les feux de la Nina.

–Dans deux heures, nous serons en mer. Ma fille sera sauvée!

Dans la salle, sur la rue des Magasins-Obscurs, il trouva ses commis veillant sur ses richesses.

–Mes amis, tenez-vous prêts. Je vais chercher ma fille.

Il prit un passage qui conduisait à l’appartement de Noémi, précédé d’un de ses gens qui portait une lanterne. A peine avait-il fait quelques pas qu’il entendit des plaintes.

–Hâtons-nouss! dit-il à son serviteur.

Tout à coup celui-ci se heurta contre un obstacle placé à ses pieds en travers du chemin. Il baissa sa lanterne; l’obstacle était un homme. Il se pencha sur lui.

–Quel est le mauvais serviteur qui dort? dit Moïse.

–Maître, c’est Isaac. Mais il ne dort pas; il est mort.

–Mort!

–Oui, mort assassiné. Voyez, il a du sang sur le visage.

Moïse prit la lanterne. Les plaintes recommencèrent à l’extrémité du passage.

–Allons, vite! Allons!

Il jeta un cri.

Dans le vestibule éclairé qui précédait la chambre de Noémi, il se trouvait au milieu du massacre de ses serviteurs. Les uns morts et sans mouvement jonchaient les dalles; les autres se traînaient dans le sang, s’accrochaient aux meubles, s’appuyaient aux murs avec des gémissements de blessés.

Nathan se souleva sur ses mainss:

–Mon père, dit-il, j’ai tenu ma promesse. Pardonnez-moi, je meurs!

Moïse ne l’entendit pas. Enjambant les cadavres, écartant les blessés, il s’était jeté dans la chambre de sa fille.

Il en ressortit presque aussitôt et se précipita sur la terrasse.

–Ma fille! criait-il d’une voix rauque, ma fille!

Il vit les échelles dressées contre le mur.

–Ma fille! enlevée! On m’a volé ma fille!

Il se laissa glisser le long d’une des échelles, se mit à courir vers le port. Le désespoir lui donnait l’agilité et la force. Il eùt escaladé des murailles et combattu une armée.

–Ma fille! Mon vaisseau! La Nina! Ma fille!

–La Nina ? dit une voix.

Un homme s’était approché, un gardien du port ou un matelot.

–La Nina! Il y a un quart d’heure qu’elle a franchi la passe. Elle vogue à pleines voiles dans le golfe.

–La Nina Elle est à moi! Qu’on la poursuive! Qu’on la ramène! On me l’a volée. On m’a volé ma fille!

Des fenêtres s’ouvraient. D’autres hommes s’approchaient.

–A moi! Venez à mon aide! Un vaisseau! Tout de suite! Ma fortune pour un vaisseau! Je veux partir! Ayez pitié de moi! Aidez-moi! Vous me connaissez bien! Je suis un père à qui l’on a pris son enfant et qui veut le ravoir! Ils ont tué mes serviteurs, puis ils se sont enfuis! Ils m’ont enlevé ma fille, je veux les rejoindre! Un vaisseau, un vaisseau!

Il secouait ses cheveux gris en tendant les bras vers la mer.

Tout à coup, il crut entendre le rire de Gondio à son oreille. Il se retourna.

–C’est lui, lui le voleur, le ravisseur, l’assassin, lui qui a tout fait! Arrêtez-le, donnez-le-moi que je le déchire, que je le morde, que je le tue! Vous ne dites rien? Vous demeurez là sans bouger? Ah! j’ai mes gens là-haut, je vais les chercher! Ils viendront, eux! Ils m’obéiront! Ils m’aiment! A moi, à moi!...

Et il partit en courant dans la direction de sa maison. Les murs, sur son passage, lui envoyaient le rire de Gondio.

–Est-elle revenue? dit-il en poussant sa porte.–Ah! vous voilà! Vous êtes là, tous! Que faites-vous? Pourquoi ne m’avez-vous pas suivi? Nous aurions pris un vaisseau, nous aurions rejoint ma fille! Pourquoi rit-il toujours?...

Il passa ses mains sur ses tempes comme pour chasser la folie de sa tête. Et, l’écume aux lèvres, les yeux hagards, il se laissa tomber sur un des coffres qui contenaient son or. Les, siens, tremblants, se serraient autour de lui.

Subitement il se leva.

Il ouvrit le coffre et se pencha pour regarder l’or dont il était plein.

–Ecoutez, dit-il, je vais partir, rejoindre ma fille. En mon absence, vous veillerez surtout, et si mon fils revient avant moi vous lui rendrez vos comptes. Mon fils!...

Il s’arrêta, sembla chercher, puis avec un accent déchirant :

–Mon fils, je ne le reverrai plus! Je ne reverrai plus ma fille! Tout est fini pour moi! Ah! écoutez encore. Quand mon fils viendra, vous lui direz qu’un chrétien a tué son père, enlevé sa sœur, et que ce chrétien s’appelle Gondio! Nathan est mort, mais il a un père, des frères; vous leur direz le nom de son meurtrier: Gondio! Qu’ils s’unissent tous contre lui, qu’ils le poursuivent, qu’ils nous vengent! S’ils ne le pouvaient pas, que mon fils apprenne ce nom à ses enfants, que les frères de Nathan l’apprennent aux leurs, que, de génération en génération, ce nom maudit soit le premier mot que bégaieront nos fils, et que leurs mères leur fassent sucer, avec le lait, la haine des fils de Gondio! Tout ce que les chrétiens nous ont fait souffrir, leurs persécutions, leurs vols, leurs rapts, leur tyrannie, leurs assassinats, que tous ces crimes vivent éternellement dans la mémoire de notre race, afin qu’elle se venge! J’ai le don de prophétie: je vais mourir. Un jour nous serons les maîtres. Nous avons l’or avec lequel on achète les hommes. On nous le prend aujourd’hui. Un temps viendra où on ne nous le prendra plus, et alors nous dominerons le monde, et nous serons impitoyables à notre tour!– Tenez, cria-t-il en s’agenouillant auprès du coffre ouvert et en y plongeant les mains, le voilà: l’or ! l’or! l’or!

Il dit encore: «Ma fille!» et il s’abattit la face sur le carreau.

Noémi

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