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LA PETITE VILLE

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C’EST PAR L’AIR CALME ET NONCHALANT du bel été que j’ai retrouvé la petite ville. Elle n’a point du tout changé et j’en déduis qu’elle se trouvait heureuse, si elle n’a pas connu le besoin de se donner une autre forme, où elle eût pu rêver de rencontrer plus de bonheur. Dans certaines rues, comme autrefois, les chiens dorment à égale distance des deux trottoirs et, parfois, d’un brusque mouvement de la queue, chassent leurs mouches. C’est vous dire que par ces rues ne passe pas grand charroi: les piétons même y sont rares; et le soleil fait briller les toits d’ardoise, dont la pente est vive pour qu’en hiver la neige glisse rapidement. Mais on me dit qu’il ne neige plus à la froide saison, ou presque plus. Tout s’en va... Je me demande si les averses de neige étaient vraiment moins rares, comme nous le croyions à peu près tous, au temps que nous étions écoliers. La neige nous étonnait beaucoup plus qu’elle ne fait, et si, deux ou trois fois, elle avait blanchi les rues dans l’année, nos souvenirs restaient et demeurent encore tout éblouis de ce prodige: il avait neigé tout l’hiver!

A l’entrée de la vieille boulangerie, au bord de cette rue qui descend vers la rivière, un petit chat gris se chauffe au soleil incertain. Il y a quarante ans, je l’avais vu, je m’en souviens, au même endroit. Vous me direz que ce n’était pas le même et il est vrai que je n’ai pas entrepris de vous surprendre par quelque fabuleux exemple de la longévité des chats qui, rarement, mathusalémisent... Vous supporteriez, d’ailleurs, difficilement que celui dont je vous parle fût demeuré si jeune. Nous l’envierions.

–Comment l’appelez-vous?

Je l’avais demandé à la boulangère, qui m’avait répondu:

–Il n’a pas de nom. Nous l’appelons minet.

Celui-ci doit s’appeler aussi minet. Rien n’a changé, vous dis-je. Les boulangers ont toujours des chats et si les Égyptiens, jadis, rendaient hommage à ces bêtes silencieuses ou miaulantes, et s’ils les adoraient c’est, je le pense, parce qu’il avaient beaucoup de blé, comme les boulangers. Il convient de remercier les ennemis de nos souris, et nous songerons que c’est donc aux chats que nous devons le pain. Trimalcion en avait dit autant des bœufs: boves, quorum beneficio panem manducamus: les bœufs... C’est grâce aux bœufs que nous mangeons du pain; ils tirent la charrue. Partageons donc, pour ne mécontenter point le mystérieux Pétrone, notre gratitude entre les fils de la chatte et les descendants du taureau, si le laboureur du moins et le boulanger nous en donnent licence.

Je vais d’un pas tardif de la chapelle au pont... Lamartine disait, et mieux:

Je vais du lac au pic et de la grotte au pont...

et je ne saurais dire à quel point je regrette qu’il ne soit en ces lieux, ni lac, ni pic, ni grotte; et que vois-je! le pont, le vieux pont, on l’a, si n’est point quelque rêve, élargi! Il est vrai que deux charrettes ne s’y pouvaient croiser. Eh bien! l’une attendait que l’autre eût passé l’eau. On avait le temps, au bon temps! On me répête qu’on n’a plus une minute; vous avez dû l’entendre aussi et tant de gens qui, durant un quart d’heure ou pendant toute une après-midi, vous expliquent furieusement qu’ils ne savent, comme ils parlent, où donner de la tête, tant ils ont d’occupations. Dans leur voiture, ils roulent comme le tonnerre et passent le pont maintenant sans seulement ralentir. Ils s’arrêtent sur la place et s’assoient au petit café. Il n’y a qu’eux et les mouches fatiguées. Ils s’ennuient.

Le poème des griffons

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