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L’ONCLE PHILIPPE

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CETTE PETITE VILLE, JE LA REVOYAIS toutes les années, lorsque j’étais enfant et que je venais chez mon oncle Philippe, qui avait une longue et large barbe blanche où, le jour de sa fête, à table, il nouait tous les rubans roses, bleus, jaunes, verts, à mesure qu’il ouvrait les menus paquets que ses petits-fils et ses neveux avaient glissés sous sa serviette. Nous étions enchantés de cette barbe multicolore ou, s’il vous plaît mieux, polychrome.

Sa maison était à une demi-lieue de la ville et il me souvient qu’un certain soir, j’avais six ans, comme je venais de descendre de l’omnibus et que le vieux cocher avait posé sur le seuil ma petite malle, que j’aimais beaucoup pour ce qu’elle portait sur le dos deux bandes grises et velues de peau de chèvre, mon oncle me présenta ses trois poissons rouges, ses deux canaris et son chat jaune et gris, qui était tout petit et qui, magnifiquement se nommait Agamemnon. Après le repas, ce chat se tenait assis devant les chenets, encore que le feu ne fût point allumé, et mon oncle nous révéla qu’Agamemnon écoutait ainsi, par la cheminée, les bruits subtils de l’air extérieur, d’où il déduisait, à la mode chatte, le temps qu’il ferait. Il ajouta que si nous savions comprendre le muet langage de cette bête pré cieuse, nous aurions continuellement part à ses divinations, mais qu’on était du moins assuré que, si elle se frottait l’oreille avec l’une de ses pattes, il ne manquerait pas de pleuvoir le lendemain. Au reste, chaque fois qu’il pleuvait, l’oncle Philippe nous disait que le chat s’était, la veille, fort longuement frotté l’oreille et si nous surprenions Agamemnon à cet exercice et que la journée suivante ne fût pourtant qu’azur ensoleillé, notre oncle nous expliquait qu’il ne fallait pas douter de notre fourré météorologue, qu’il n’avait point voulu nous tromper ni ne s’était égaré, mais qu’en se grattant, comme il avait fait la veille, il avait seulement apaisé quelque démangeaison, sans songer du tout à prédire le temps.

Je me rappelle que ce même soir quand on m’eut conduit à ma chambre et que je m’y trouvai seul, j’ouvris la grande armoire pour m’assurer que quelque voleur n’y était pas caché? Il en sortit aussitôt un agneau, qui se mit debout sur le tapis où, demeurant immobile et les jambes écartées, il entreprit de bêler d’une voix éperdue. Je poussai de grands cris et mon oncle, qui accourut, me dit qu’il ne se fallait jamais étonner et non pas même de trouver des agneaux dans les armoires. Nous descendîmes tous trois à la bergerie, où l’agneau bondit et se coucha près de sa mère brebis.

Le lendemain matin, quand je revins à la salle à manger, je fis entendre de bien autres cris: les deux canaris avaient disparu et, dans leur cage, le petit chat ronronnait.

–Le misérable! dit mon oncle. Les aurait-il dévorés?

Nous l’interrogeâmes vainement: les chats ne parlent guère et peut-être ne consentiraient-ils à dire quelques mots qu’assistés d’un avocat chat. Au bureau, les canaris étaient dans le bocal vide où tournaient hier les poissons rouges: une poignée de grains était entre leurs pattes, et un gros livre, nonchalamment posé au-dessus de leurs petites têtes étonnées, leur interdisait de s’envoler.

–Ce chat est sorcier, dit mon oncle.

Mais quand je voulus me baigner, ce fut encore une autre affaire: les trois poissons rouges nageaient allègrement dans la baignoire à demi-pleine d’eau fraîche.

–Ce chat!... dit mon oncle.

Mais c’était mon oncle que je regardais.

–Tout cela n’est rien, reprit-il, et quand j’étais petit garçon, comme tu es, j’avais un oncle qui était encore plus habile qu’Agamemnon. Tu sais que, par les après-midi les plus chauds de la fin de l’été, les serpents sur les pierres des collines sont engourdis dans la béatitude. Mon oncle, tout doucement, s’approchait d’eux, et n’osait qu’à peine souffler...

Par les jours les plus lumineux,

Il réalisait ce chef-d’œuvre,

En caressant une couleuvre,

De lui faire deux ou trois nœuds...

Le poème des griffons

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