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UN FAMEUX CHIEN DE CHASSE

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IL ME SOUVIENT QU’UN JOUR, MON ONCLE me dit, tandis que nous déjeunions dans la salle à manger du rez de chaussée:

–Pour bien chasser, il suffit d’avoir un bon chien: Castor, que tu vois assis sur le parquet, près de moi, m’épargne beaucoup de peine et je suis toujours sûr que, par ses soins, notre table sera pourvue de gibier. C’est un animal extrêmement subtil et rapide... Il a remué l’oreille: il comprend tout ce que nous disons et il lui est très désagréable qu’on le nomme animal; mais sa sagesse est telle qu’il ne s’abandonne point à la colère sur ce propos, parce qu’il sait qu’il est très rare, au langage des hommes, que les mots dont nous nous servons conviennent tout à fait aux objets que nous pensons évoquer. S’il parlait, il saurait nous donner quelques leçons de vocabulaire, de style et de syntaxe, où il finirait, peut-être, par s’égarer, comme nous faisons. Il est très subtil, te disais-je, et grâce à lui, je n’ai plus à brûler une cartouche ni seulement à faire un demi-quart de lieue, quand je désire que nous dévorions un perdreau. Tu ne le crois point?... Castor! Castor, un perdreau!...

Mon oncle se leva; le chien, qui aboyait, courait devant lui. Mon oncle ouvrit la porte, qui donnait sur les prairies et les bois, en disant: «Vite, vite, un perdreau!...» et la referma brusquement, pour reprendre sa place à table. Un instant après, il s’écriait: «Ici, Castor! Apporte!»

–La porte est fermée, dis-je, il ne peut pas rentrer.

Mais déjà Castor était là, qui se ruait aux pieds de mon oncle et lui apportait un perdreau.

–Ce chien est fabuleux! disait tante Mathilde.

J’étais dans les émerveillements; et il ne se passait pas de jour que, pendant le déjeuner, ce chien n’apportât au commandement et de la même manière, des perdreaux, des palombes, des bécasses, des grives...

–Comment fait-il? demandai-je; mais mon oncle me disait qu’il est très difficile de démêler les mystérieuses pensées des chiens, et qu’il était bien regrettable que Castor, qui se montrait si savant, dédaignât d’écrire, comme de parler, car il nous eût révélé des secrets et des causes dont notre infirmité ne nous laissait voir que les apparences et les effets.

Mon oncle souriait; et si je n’avais point été si jeune, j’eusse vite compris que le chien, mis dehors, n’avait point d’autre idée que de revenir près de nous et qu’en faisant le tour de la maison, il trouvait rapidement la porte ouverte de la cuisine et la vieille Rameline, qui régnait sur les fourneaux et qui avait vite fait de lui mettre en la gueule le perdreau que mon oncle attendait.

Mais à quoi bon savoir les choses? Castor eût aussitôt cessé d’être fabuleux, comme parlait tante Mathilde qui, ses lunettes sur le front, s’enchantait, elle aussi de mes étonnements et qui n’ignorait point, pour ce que de longues années le lui avaient appris, que l’un des plus précieux éléments de notre bonheur, c’est de n’en point savoir les causes.

Le poème des griffons

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