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LE MIROIR

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JE NE SAIS RIEN QUI NOUS SOIT PLUS mélancolique ni plus doux, pour ce que les songes sont les plus profitables de nos refuges, que de retrouver la maison où notre enfance a fleuri; et si je m’aventure à vous entretenir de ces sentiments, c’est que je suis bien assuré qu’ils sont aussi les vôtres et que j’ai pris comme règle de ne jamais vous parler que de ce que vous connaissez–et sais-je autre chose!–propos qui étonnera sans doute, si elles le lisent, ces personnes assez nombreuses, qui pensent n’ouvrir la bouche ni ne prendre la plume que pour nous révéler des aventures qu’elles jugent prodigieuses et dont elles ne sont elles-mêmes surprises que parce que leur ignorance les préserve de savoir que tout le monde en était depuis longtemps instruit. Elles ne cessent, comme on dit, de découvrir la lune et croient que nous pâmerons de délice quand elles nous offriront, sur un grand plat d’argent, quelque reflet de cet astre mystérieux; ou bien, elles s’enchantent à nous montrer de ces lièvres cornus ou de ces éléphants ailés qui ne respirent que dans l’imagination des hommes, et où nous ne prenions pas garde, parce que loin d’être miraculeux, ils ne sont que l’ornement de nos rêves et que, si l’on en veut disserter gravement, on ne rencontre en eux que des billevesées, si quelque poète n’y mêle point l’heureuse allégorie de nos extravagances; et je n’ai pas besoin de préciser que ce n’est pas seulement aux délires mesurés des Muses, quand leur souffle a gonflé les belles cornemuses, mais encore aux rêveries où s’abandonnent tous les humains que l’on contemple de tels lièvres, de tels éléphants, des libellules aux pieds de bœuf et des carpes qui jouent des cymbales.

Mais, dans la maisonnette natale, et loin tout à coup de la bataille quotidienne, au temps des vacances, on se rencontre soi-même et comme détendu. Le décor ancien, retrouvé brusquement, nous gouverne; sur les marches du vieil escalier qui gémit, nous avons tout à coup six ans. Comme l’on est faible et petit! Au même mur de la chambre de jadis, un miroir brille dans la pénombre, comme autrefois. Mais cet enfant que vous êtes soudainement redevenu, qu’il ne s’avise pas de s’y regarder, s’il n’a d’abord soigneusement clos les volets sur la fenêtre. Ce n’est que dans l’obscurité qu’il est prudent de se pencher sur cette glace. Les ténèbres, qui sont de puissantes fées, vous y montrent ce visage qui était le vôtre au temps lointain où, le deux octobre, vous deviez rejoindre le lycée. Ne poussez pas le contre vent; n’allumez pas la lampe: ce miroir cesserait d’être magique; l’enchantement se dénouerait aussitôt, et vous sentiriez battre votre cœur à la mesure de songes tristes et fameux. Sans qu’il vous soit besoin d’évoquer la reine Blanche comme lys, Berthe, Alix, Héloïs, Thaïs, ni la barbe de Charlemagne, vous improviseriez de ces petits couplets qu’Amertume en l’ombre accompagne, dès qu’on entr’ouvre les volets:

Rien n’est qu’hier en cette glace

Qui ne montre que le présent,

Sans qu’on puisse mettre en sa place

Quelque miroir plus complaisant.

Quel sorcier m’en ferait présent

Qui me sût rendre ma jeunesse?

Ferme les yeux: c’est reposant,

Et qu’en ton cœur elle renaisse!

Le vent souffle dans le maïs;

L’alouette s’est envolée:

Dites-moi où, n’en quel pays

S’en est ma chevelure allée.

Automne vient et la gelée.

Ma jeunesse, dont fus si fier,

Lamente au seuil du mausolée.

Mon bel ami, c’était hier.

Le poème des griffons

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